3.6.22

ET INVERSEMENT

Chez les iris bicolores, la couleur claire est normalement celle des pétales, tandis que la couleur sombre concerne plutôt les sépales. Mais inverser cette disposition traditionnelle a tenté certains hybrideurs. Ils ont eu du mal, mais ils sont parvenus à leurs fins ! Maintenant on ne compte plus les amoenas et les bicolores inversés. En 2010 ici même deux articles ont abordé ce sujet. Douze ans plus tard on peut y revenir. C'est ce que nous allons faire aujourd'hui.


 Les gens bien informés, en matière d'inversion des couleurs parlent de trois souches : trois variétés par lesquelles tout a débuté. Keith Keppel dans son approche des « dark tops » (comme on appelle les iris inversés en langue anglaise) commence par la souche ‘Avis’. ‘Avis’ (Varner, 1963) présente bien les traits spécifiques des amoenas inversés. Cette apparence ne lui vient pas directement de ses parents, on peut donc dire qu’il constitue le point de départ d’un nouveau modèle. ‘Avis’ provient d’une part de ‘Arctic Skies’, déjà légèrement inversé, d’autre part de deux cultivars dans les tons de rose orangé, l’un issu de ‘Mary Randall’, l’autre provenant d’un semis de David Hall. Ce semis a été recroisé avec ‘Enchanted Pink’, puis, à la génération suivante, avec un jaune de la famille de ‘Mary Randall’ pour donner enfin naissance à cet ‘Avis’ qui nous intéresse. Parmi les descendants de ce précurseur, le plus intéressant est ‘Sea Venture’ (Bennett Jones, 1972), qui provient du croisement d’ ‘Avis’ et d’un blanc teinté de lilas : ‘Eternal Love’ (Schmelzer, 1966). C'est un véritable « dark top» aux pétales tendrement bleus et aux sépales qui, s’ils n’ont pas « la blancheur sanglotante des lys » comme disait Stéphane Mallarmé, n’en sont pas moins plus clairs que les pétales. A partir de ‘Sea Venture’, on est véritablement dans le domaine des « dark tops ». ‘Spécial Mozart’ (Anfosso, 1991) est directement issu de ‘Sea Venture’ et on verra plus loin qu’il a contribué lui-aussi au développement des amoenas inversés bleus. 

 Cependant la souche ‘Avis’ n’est ni la principale, ni la plus prolifique. La suivante, sur ce plan, est plus importante. Il s’agit de la souche ‘Surf Rider’. Cet iris a des pétales parme, des sépales d’un blanc laiteux où le bleu resurgit au cœur, ainsi que des barbes blanches. La fleur est peu ondulée, mais de texture épaisse ce qui lui confère une bonne tenue. Néanmoins ce qui a fait le succès de ‘Surf Rider’ (Tucker, 1970) c’est l’originalité de son coloris. Pour en arriver là, James Tucker a utilisé un semis de ‘Stepping Out’, associé à ‘Joy Dancer’. On ne décrit plus le premier, plicata emblématique mis sur le marché par la maison Schreiner en 1964 et récompensé de la Médaille de Dykes en 68. ‘Joy Dancer’ est un autre produit Tucker, enregistré en 1969, qui a attiré sur lui l’attention à Florence où il a obtenu la seconde place en 1974. C’est un mauve lilas à barbes jaunes qui a pour pedigree (Crinckled Beauty X Rippling Waters). Ni l’un ni l’autre de ces antécédents ne sont des « dark top », ‘Surf Rider’ est donc le point de départ d’une nouvelle souche. Si son originalité et sa fraîcheur lui ont valu une renommée mondiale, elles ont aussi tenté certains hybrideurs qui ont essayé d’en améliorer les caractéristiques. Trois des plus grands noms s’y sont essayés : Joë Ghio, Ben Hager et Sterling Innerst. Ghio a obtenu ‘Little Much’ (84) dans lequel se rejoignent les souches ‘Avis – par ‘Sea Venture’, encore une fois – et ‘Surf Rider’. Il est décrit comme ayant des pétales bleu moyen, des sépales blancs et des barbes blanc bleuté. Il répond bien à la définition des « dark tops ». A la même confluence que ‘Little Much’ se trouve ‘Incantation (Ghio, 1987) qui se présente un peu comme un amoena inversé mais le contraste y est atténué car la base des pétales est plus vivement colorée que le haut, pratiquement blanc, tandis qu’on retrouve le bleu des pétales aux épaules des sépales. ‘Ballerina Blue’ (Innerst, 1986) réunit ‘Surf Rider’ et ‘Sea Venture’, mais il n’a pas les qualités de ses cousins Ghio, ni celles de ses cousins Hager, et en particulier de ‘Timescape’ (1990). 


 Parlons maintenant de la troisième souche, la plus exemplaire et la plus productive. Elle a pour origine l’espèce I. imbricata. Voici ce qu’écrivait Keith Keppel à son sujet : « Originaire des montagnes du Caucase et du nord de l’Iran, ce diploïde de taille moyenne a des fleurs jaune verdâtre marquées de veines brun pourpré aux épaules. » Et Paul Cook, qui l’a utilisée en premier a écrit : « I. imbricata comporte indubitablement un gène inhibiteur qui supprime, certes incomplètement, les anthocyanes des grands iris. Cette suppression est d’habitude plus complète dans les sépales de la fleur que dans la partie supérieure, ce qui caractérise les bicolores inversés. » 

Partant de ce constat Paul Cook a utilisé I. imbricata pour obtenir ‘Wide World’ (1953), lequel peut être considéré comme cette fameuse troisième souche. Derrière lui, la première étape fut ‘Blue Fantasy’ (Louise Branch, 1958), puis vint ‘Edge of Winter’ (Schreiner, 1983). A partir de là on est en plein dans les « dark tops » avec au premier rang ‘In Reverse’ (Gatty, 1993) qui est proche de la perfection, avec des pétales nettement bleus et des sépales blanc bleuté ( sans parler de la qualité de la fleur qui a la grâce onduleuse de tous les iris de Gatty). Cet ‘In Reverse’ est à la base d’un grand nombre de « dark tops », notamment par l’entremise de ‘Honky Tonk Blues’, une variété qui a un grand rôle dans la multiplication actuelle des bicolores inversés. ‘Honky Tonk Blues’ (Schreiner, 1988) n’en est pas un, même s’il manifeste quelques signes d’inversion des couleurs, mais il a démontré son aptitude à engendrer des inversés de qualité, notamment par une amélioration du contraste entre pétales et sépales. De nombreux hybrideurs ont voulu exploiter cette aptitude. Ils ont intégré ‘Honky Tonk Blues’ à leurs lignées d’amoenas inversés, qu’elle soit de souche pure ou issues d’un mélange des souches. Pour ce qui est de la souche ‘Avis’, c’est sans doute Bernard Laporte qui en a tiré le meilleur parti en associant ‘Honky Tonk Blues’ et ‘Special Mozart’ pour obtenir ‘Iriade’ (2004), une variété désormais bien connue, même aux Etats-Unis. C’est encore Bernard Laporte qui a réalisé le croisement (Honky Tonk Blues X Timescape), lequel a produit une série de semis, très proches les uns des autres, mais nettement « dark top », avec, ce qui ne gâte rien, des fleurs bien formées et délicatement ondulées. Ces jolies fleurs n’ont pas été enregistrées, ce qui est bien dommage. 



 On a parlé un peu plus haut de ‘In Reverse’. Cet iris-là a eu une descendance remarquable. Ainsi de lui viennent directement ‘Reversi’ (Michaël Sutton, 2005) qui a pour pedigree In Reverse X (Bye Bye Blues x (Honky Tonk Blues x Dauber's Delight)), et ‘Crowned Heads’ (Keppel, 1997) (In Reverse X Honky Tonk Blues). 


 Croisé avec d’autres variétés a priori pas destinées à donner naissances à des inversés, ‘Honky Tonk Blues’ en a quand même engendré, et non des moindres ! Prenez ‘Quite the Reverse’ (Maryott, 1998), qui est de (Yankee Pride X Honky Tonk Blues), et surtout ‘Fogbound’ (Keppel, 1997) qui est à lui seul une souche d’amoenas inversés. ‘Honky Tonk Blues’, associé à ‘Battle Fury’ (Varner, 1978) a donné naissance à ce ‘Fogbound’. Celui-là a été mis à toutes les sauces et est devenu l’un des principaux géniteurs de ce siècle. Dans le domaine des amoenas inversés bleus, il est à l’origine de ‘Alpenview’ (Keppel, 2002), ‘Dance Recital’ (Keppel, 2005), ‘Endimanché’ (Bersillon, 2008), ‘Soiree Girl’ (B. Blyth, 2005), et ‘Waterfall Mist’ (P. Black, 2006), pour ne citer que quelques-uns. Quant à ‘La Part des Anges’ (Bersillon, 2008), il fait, le lien entre la souche ‘Fogbound’ et la souche ‘Surf Rider’. 


 Comme il fallait s’y attendre, les hybrideurs se sont mis à mélanger les différentes souches, comme ils ont fait pour les autres modèles ou coloris. Un exemple parfait de ce mélange est ‘Cloudscape’ (Paul Black, 2007) qui a pour pedigree Quite the Reverse X (Crowned Heads x Fogbound). Voilà un exemple de « tout en un » ! 



 Il est aujourd’hui assez facile d'obtenir des amoenas inversés ; A tel point que, chacun ayant montré son savoir-faire, les nouveautés dans ce domaine sont devenues plutôt rares. On en trouve partout y compris chez les hybrideurs de Russie ou d’Ukraine. Ainsi Igor Khorosh a produit ‘Zaprosy Mene u Sny’ (2009) dont le pedigree est (Kathleen Kay Nelson X In Reverse). En Italie, avec (Edge of Winter x Soap Opera) X Honky Tonk Blues, Augusto Bianco nous a offert ‘Aldo Ratti’ (1998) qui n’est pas tout à fait inversé, mais presque, de même qu’en France Lawrence Ransom est l’auteur de ‘Claude Louis Gayrard’ (1996) qui vient lui-aussi de ‘Edge of Winter’. Enfin en Slovaquie, Anton Mego a obtenu 'Dunajec' (2012) qui est une pure merveille… Mais le fait que ces iris soient devenus relativement communs n’enlève rien à leur charme, et c’est bien agréable d’avoir l’embarras du choix.


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