27.5.06


PER LA FLOR DEL LLIRI BLAU

Le compositeur espagnol Joaquin Rodrigo est plus connu pour son « concierto d’Aranjuez » que pour son poème symphonique « Per la flor del lliri blau », qui se traduit du catalan au français par « Pour la fleur du lis bleu », c’est pourtant de celui-ci qu’il va être question aujourd’hui. Il est basé sur une sombre légende médiévale de la région de Valence, qui raconte comment les trois fils d’un roi mourant partent à la recherche du lis bleu dont les pouvoirs magiques pourraient sauver leur père. C’est le plus jeune des trois qui découvre la fameuse fleur, mais il est tué par ses frères qui veulent garder pour eux la gloire d’avoir rapporté le miraculeux remède. Je ne crois pas qu’il existe de lis bleu. Mais sans doute la légende fait-elle la même confusion que celle qui, en France, assimile lis et iris. Le légendaire lis bleu devait donc être un iris.

Mais de quel iris peut-il s’agir ? J’ai relevé six espèces d’iris bleus poussant spontanément en Espagne. Cette chronique va donc être l’occasion de faire un peu connaissance avec ces six espèces.

Commençons par parler de l’iris d’Algérie, I. unguicularis Poiret 1785. C’est sans doute l’espèce la plus connue, parce que la plus commune. Elle se rencontre spontanément en Espagne où elle trouve la douceur climatique qui lui convient et lui permet de développer ses fleurs bleues, parfumées, qui égaient nos jardins l’hiver. Mais est-ce l’espèce que les trois frères de la légende sont partis chercher ? Sans doute pas, car ce n’est pas une espèce rare. Elle n’est donc pas entourée du mystère que confère la rareté.

Serais-ce le cas de I. lutescens Lambert 1789 ? Voilà une espèce de la famille des pumilas, ces iris nains qui sont à la base de nos SDB hybrides, qui produit des fleurs aux pétales largement développés au-dessus de sépales petits et recourbés. Elle existe en plusieurs couleurs, dont le bleu, mais cela n’est pas sa couleur principale puisque quand on parle de I. lutescens on voit plutôt des fleurs jaunes. Certes cette espèce est présente en Espagne, mais ce n’est pas sur elle que je parie.

Pourquoi pas, alors, I. iberica var. elegantissima Fedorov/Takhtadjian 1915 ? Voici une espèce fort bien nommée pour une plante espagnole, mais, même si c’est une plante superbe, avec la classe indéniable propre aux iris oncocyclus et l’étrangeté qui peut porter à la légende, je ne crois pas que cela soit celle-là que les trois frères aient recherchée. En effet cette toute petite plante, dotée de fleurs plutôt grandes et toujours vivement colorées, n’est que très rarement dans les tons de bleu : elle affectionne en revanche les tons de blanc et de brun, avec des styles curieusement couchés sur les sépales, noirs, et qui lui donnent un vague air de museau de babouin.

Si ce n’est ce dernier, peut-on alors imaginer qu’il s’agisse de Xiphium vulgare Linné 1753, la base de la famille des Xiphium, connue vulgairement sous le nom d’iris d’Espagne ? Voilà une plante de bonne taille (60 cm) qui pousse dans les sols secs qu’on rencontre entre autre autour de Valence et qui se distingue par des fleurs souvent bleues et marquées d’un signal jaune. As-t-on trouvé le «lliri blau » qui a inspiré Joaquin Rodrigo ? C’est peu probable. Il ne s’agit pas d’une plante rare, elle est assez voyante, compte tenu de sa taille, et elle n’est pas forcément bleue… Le bleu, c’est plus précisément la couleur d’un autre Xiphium, le célèbre X. latifolium P. Miller 1768, l’iris bulbeux des Pyrénées, qui a été transporté en Grande Bretagne et s’y est si bien développé qu’on l’appelle communément l’Iris d’Angleterre. Mais cet iris-là aime les prairies de montagne humides et acides. Il est donc fort peu probable qu’il ait été un jour présent dans la région de Valence…

La légende valencienne ne serait-elle donc que légende ? N’y a-t-il pas d’iris bleu à proximité de la Méditerranée, dans le Sud de l’Espagne ? Ce serait oublier Juno planifolia Ascherson/Graeber 1906 (voir photo)(1). C’est une toute petite plante (pas plus d’une dizaine de centimètres) dont les fleurs s’épanouissent dès la fin de l’hiver, on l’appelle d’ailleurs en Espagne l’iris de Noël. Elles sont d’un bleu doux, lilacé, marquées de bleu plus vif sur les sépales et finement veinées de jaune. Elles se dissimulent sous le feuillage et se signalent alors surtout par leur délicat parfum. De là à penser qu’il se pourrait bien qu’elles soient ces lis bleus dont parle la légende, il n’y a pas loin, et, personnellement, je franchis le pas ! Les trois frères qui voulaient sauver leur père ont du découvrir, quelque part au-dessus de Valence, cette petite merveille à l’exceptionnel parfum. Mais l’amour filial n’a pas été la motivation principale des deux aînés. Ils ont commis l’irréparable pour tirer un égoïste et dérisoire profit de la découverte de leur cadet.

Aujourd’hui, quand on aime à la fois les iris et la musique, on a le bonheur de profiter à la fois de Juno planifolia et de « Per la flor del lliri blau ».

(1) Le photographe, Robert F. Hamilton, est un spécialiste des iris botaniques, domicilié en Tasmanie.

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