29.9.06


IL N’Y A PAS QUE LA COULEUR

Ici, nous parlons souvent de la couleur des fleurs d’iris. Cependant l’attrait d’une fleur ne tient pas seulement à cela. Plusieurs autres traits concourent à l’élégance, la grâce, et, en un mot, la beauté d’un iris. Au cours du siècle dernier, et essentiellement dans la période entre les deux guerres, l’aspect des iris a profondément évolué, passant d’une forme molle et vieillotte à ce que nous connaissons aujourd’hui.

Deux et deux font quatre.

Ce que l’on nomme les vieux iris était des plantes d’environ 70 cm de haut, aux tiges grêles, souvent incapables de tenir en hauteur des fleurs petites et caractérisées par des pétales étroits et des sépales pendants. La première étape du changement a consisté à faire acquérir aux tiges une taille majestueuse et une vigueur telle qu’en presque toutes circonstances, les fleurs soient portées haut et fièrement. Cette étape est celle qu’on a baptisé la révolution tétraploïde, celle qui a consisté à faire passer dans les petits iris traditionnels du début du XXeme siècle la force des iris originaires d’Asie Mineure qu’on trouvait dans certains jardins d’Angleterre ou de France, plus grands et plus robustes que les précédents. Sans qu’on le sache à l’époque, les petits iris étaient diploïdes : ils avaient deux paires de chromosomes, ce qui limite forcément les possibilités de développement. Les grands avaient quatre paires, ce qui était la raison de leur taille plus imposante. Mais ces gros iris n’offraient qu’un choix réduit de couleurs (divers tons de violet et de lavande), alors que les anciens, hybridés depuis longtemps, avaient acquis un éventail de coloris remarquable et varié. De plus ils avaient conservé de leur origine moyen-orientale une fragilité aux rudesses du climat de l’Europe du Nord ou des Etats-Unis. Pour allier les avantages des deux plantes, les hybrideurs tentèrent de croiser les unes avec les autres. Les débuts furent laborieux, car les nouveaux cultivars, plus grands, certes, ne donnaient que des plantes pratiquement stériles, sans autres avantages que leur taille. On n’en savait rien, à l’époque, mais ces hybrides stériles, croisements entre diploïdes et tétraploïdes, étaient des triploïdes, incapables de se reproduire. Il arrive cependant que des croisements de parents diploïdes et tétraploïdes donnent naissance à de vrais tétraploïdes, pour peu que se produise la rencontre rarissime d’un parent tétraploïde avec le gamète - non réduit – d’une variété diploïde. Instinctivement, ce sont ceux-là que les hybrideurs ont sélectionné, et c’est grâce à leur travail acharné que les qualités des diploïdes ont pu être introduites dans des plantes à quatre chromosomes, plus grandes et plus belles. On n’apprendra qu’au cours des années 20 la raison scientifique de ces caractères, lorsque le comptage des chromosomes sera devenu possible. Mais la révolution avaient déjà eu lieu chez les iris : presque toutes les variétés nouvelles, dans les années 30, étaient tétraploïdes. Ce qui n’avait pas pour résultat que de donner des plantes plus grandes et plus fortes (près d’un mètre de hauteur), mais aussi cela ouvrait pratiquement à l’infini les variations possibles dans les coloris et associations de coloris.

SNOW FLURRY

Jusqu’à l’apparition de SNOW FLURRY, en 1939, les fleurs d’iris ne présentaient pas d’ondulations : pétales et sépales restaient plats, presque comme ayant été repassés. La Californienne Clara Rees a eu la bonne fortune, en croisant PURISSIMA (tétraploïde) et THAÏS (diploïde), d’obtenir un extraordinaire iris blanc à barbes jaune primevère, dont les fleurs s’ornaient de gracieuses ondulations. Bien qu’un peu pauvre en pollen, SNOW FLURRY a été infiniment utilisé en hybridation et a donné naissance a des variétés nouvelles magnifiques et dans à peu près toutes les couleurs. C’est à tel point que de nos jours il est pratiquement acquis que tous les hybrides ont du sang de SNOW FLURRY dans leurs vaisseaux. Certains hybrideurs développent maintenant des variétés sans ondulations, ou presque, mais c’est pour rechercher un effet particulier : on s’efforce de supprimer une caractéristique devenue universelle, ce qui peut paraître paradoxal, mais qui n’est pas forcément dénué d’intérêt. A la force de la tétraploïdie s’est ajoutée la grâce des ondulations.

CHANTILLY

Dès les années 30, de petites granulosités étaient apparues à l’extrémité des parties florales de certains semis. Les obtenteurs de l’époque considéraient cela comme des anomalies et rejetaient les plantes atteintes, mais certains y virent l’amorce de ce qui pouvait devenir un ornement supplémentaire, pour peu que ces granulosités évoluent en petites échancrures fines analogues à ce que l’on voit sur les œillets. Les frères Sass, puis Agnes Whiting, se lancèrent dans l’aventure, bientôt suivis du précurseur que fut David Hall. C’est lui qui enregistra en 1940 un iris mauve à cœur jaune, baptisé CHANTILLY. Ce CHANTILLY présentait, au bord de ses pétales de délicates dentelures. En dehors de cela CHANTILLY n’était pas une fleur vraiment jolie, mais le départ était donné pour une diffusion étendue de cette dentelle à laquelle il doit son nom. Tous les obtenteurs se sont lancés dans l’aventure, et en particulier Robert Schreiner, à qui l’on doit des variétés frisées qui vont de CRISPETTE (57) à LACED COTTON (80) et tous leurs descendants.

De l’ampleur.

Il n’était pas suffisant de produire des grosses fleurs, encore fallait-il que celles-ci soient solides, résistantes aux intempéries, et conservant leur jolie forme le plus longtemps possible. Peu à peu, par sélections successives, les hybrideurs ont travaillé à l’obtention de pétales plus larges, avec des côtes plus robustes, qui conservaient leur verticalité malgré la pluie et le temps. De même, la largeur des sépales à leur base a été recherchée pour faire disparaître le côté disgracieux de sépales s’effondrant en « oreilles de cocker ». La force leur étant venue, ils se sont épanouis en délivrant les pétales tout en conservant une position proche de l’horizontale, beaucoup plus esthétique. Une jolie fleur d’aujourd’hui possède des sépales qui s’évasent très vite, allant jusqu’à déborder sur la base des pétales pour constituer un ensemble bien rond, très élégant. Pour arriver à ces résultats il a fallu donner davantage de substance aux pièces florales pour que celles-ci deviennent capables de se maintenir pendant trois ou quatre jours avant de faner, et de faire front sans faiblir aux attaques de la pluie et du vent.

Le nombre d’or.

Le chic d’une fleur provient aussi des proportions entre d’une part les différentes pièces florales, d’autre part la taille des fleurs par rapport à la hauteur de la tige. Tout ceci n’a pas été obtenu en un jour, et n’est donc pas l’apanage d’une fleur apparaissant subitement comme parfaite, mais le fruit d’une longue évolution faisant appel au goût et à l’application des obtenteurs. Il est apparu que la proportion idéale d’une fleur était non pas l’exacte égalité entre les dimensions des pétales et des sépales, mais provenait de pétales un tout petit peu moins hauts que les sépales. En ce sens, WHOLE CLOTH (Cook 57 – DM 62) (voir photo) a longtemps été considéré comme la perfection. De nos jours, les fleurs d’iris dignes d’être enregistrés ont presque toutes ces proportions idéales. Il en est de même pour l’harmonie entre la taille des fleurs et l’élévation de la tige florale. Pour les grands iris, les mensurations idéales sont : hauteur 90 cm, fleurs de 15/15 cm, ou un peu plus. Mais que serait-ce qu’une fleur bien proportionnée, isolée au sommet de sa hampe, ou des corolles en grand nombre, tassées le long d’une tige sans assez d’espace pour s’épanouir avec aisance ? En ces domaines aussi l’activité des hybrideurs s’est manifestée pour obtenir des fleurs en nombre suffisant pour que la plante dure aussi longtemps que possible en restant belle. Les hampes ont pris une forme onduleuse, en S, pour permettre que les fleurs placées de part et d’autre se développent harmonieusement. Dans les guides pour les juges aux concours internationaux, l’accent est mis sur ces caractéristiques, et notamment le nombre de boutons (minimum 7 par tiges) et celui des branches (3 au moins).

De la fantaisie.

D’autres améliorations sont intervenues au long du vingtième siècle, pour apporter de nouveaux attraits à nos fleurs préférées. On pourrait parler des recherches pour fidéliser la seconde floraison des iris présentant l’aptitude à remonter, mais on quitterait là le domaine de la forme. Pour ne pas s’éloigner du sujet, abordons la question des éperons, froufrous et autres appendices pétaloïdes.

Il s’agit, encore une fois, d’un avatar constaté depuis longtemps dans les champs d’iris, mais rejeté car considéré comme une malformation. Il faut rendre grâce à Lloyd Austin pour l’énorme travail de recherche et de croisement entrepris afin d’exploiter ce qui n’était dans les années 50 qu’une anomalie, et d’apporter à ces nouveautés toutes les améliorations qui étaient possibles, de manière à ce que les éperons et autres fantaisies, confèrent aux fleurs une personnalité excitante mais aussi esthétique. C’est lui qui a inventé l’expression « Space Age » pour désigner ces nouveaux iris, leur attribuant du même coup une identité synonyme de modernité. Après lui, bien d’autres hybrideurs se sont lancés dans l’aventure, utilisant les cultivars de Lloyd Austin comme base de leur recherches. Manley Osborne, Henry Rowlan ont été parmi les premiers à reprendre un flambeau qui ne s’est plus éteint et est parvenu à s’imposer dans un monde qui fit longtemps de la résistance. Les iris à éperons ne font plus discussion maintenant. Ils ont reçu la consécration de la récompense suprême, la Médaille de Dykes, attribuée à trois reprises à des variétés obtenues par Monty Byers, autre visionnaire.

D’autres perspectives.

Viendra le jour où les éperons se transformeront en pétaloïdes donnant aux fleurs d’iris l’aspect « flore pleno », qui existe déjà dans bien d’autres espèces de fleurs. Les iris doubles approchent à grandes enjambées. Mais ils ne sont pas les seuls à pointer leur nez : les fleurs sans pétales, donc ayant un aspect absolument plat, existent déjà. Et celles dont les styles se développeraient en nouveaux pétales, comme chez certains iris du Japon, ne sont pas loin. On parle également de variétés croisées avec d’autres espèces pour obtenir, par exemple, des iris « spider », aux tépales longs et étroits, tout comme d’iris dont les bords laciniés deviendraient de véritables cils, comme chez certains chrysanthèmes… La forme des iris n’est pas figée. Elle a subi au cours des décennies passées de profonds changements, elle en connaîtra d’autres, et l’on peut faire confiance à l’imagination, au bon goût et au travail des hybrideurs, pour nous surprendre et nous enchanter.

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