CONTROVERSE ET FLEUR DE LIS
Dans le numéro 342 (juillet 2006) du Bulletin de l’AIS, a été publié un long texte émanant de Madame Kristen Faith Laing, intitulé « Spéculations sur l’origine de la Fleur de Lis ». Cette thèse, fort intéressante, rattache la naissance de la pièce héraldique baptisée « fleur de lis » tout d’abord à la légende selon laquelle Clovis, en guerre contre Alaric, aurait découvert un gué pour traverser une rivière grâce à la présence d’iris pseudacorus. En hommage à cette fleur à qui il aurait du la victoire, il l’aurait placée dans ses armes. Elle note qu’en fait la fleur de lis est apparue dans les armes des rois de France, soit sous Louis VI (vers 1096), soit sous Louis VII (vers 1270). L’auteur ajoute que : « Après avoir examiné les légendes et l’histoire, les seuls faits qui semblent vrais sont que la fleur de lis, au moins dans la culture française, est basée sur une fleur, l’iris pseudacorus, et qu’elle fut adoptée comme symbole de la France pendant les Croisades. » Elle se demande alors « Comment se fait-il donc qu’un objet aussi étrange que la fleur de lis héraldique, qui ne ressemble pas vraiment à cette simple fleur, ait pu être dessinée d’après elle ? » Elle analyse alors les formes, de la plus simple à la plus complexe, que revêt la fleur de lis dans ses représentations, et note que « toutes ont trois grands pétales dans leur partie supérieure, et trois plus petits en bas, ainsi que une, deux ou trois bandes horizontales un peu en dessous du milieu », et que, « traditionnellement la plupart sont colorées en jaune, tout comme le pseudacorus ». Ce sont ces bandes horizontales qui l’intriguent parce que rien de tel n’existe dans la nature. Elle en attribue l’origine à une sorte de lien, qui serait là pour maintenir ensemble les différents éléments de la fleur de lis. L’auteur a ensuite essayé de reconstituer la manipulation qui, partant de la fleur de pseudacorus, aboutit à la fleur de lis ayant servi aux artistes à créer la pièce héraldique. Elle décrit ainsi son travail : « Pour créer une fleur de lis classique, les anthères et les petits pétales insignifiants sont enlevés. Cela laisse les larges sépales et les styles attachés au pédoncule. Partant de l’idée que la fleur de lis est une fleur pressée et séchée, ce qui est sans doute une méthode pour la conserver, les étapes suivantes sont évidentes. Le style est délicatement replié vers le bas pour couvrir le pédoncule plutôt inesthétique. Une fois le pédoncule ainsi couvert par le style et correctement arrangé, on lie autour de l’ensemble un ou deux brins, pour le maintenir pendant qu’il sèche. Quand il est replié et attaché, le style est un peu plus long que le pédoncule et si tout cela est bien fait, il donne bien l’aspect des petits pétales du bas de la fleur de lis sur les dessins. » Elle relève ensuite l’un des sépales vers le haut et replie les deux autres aux 2/3, avant d’enfermer cette construction entre deux feuilles de buvard pour la faire sécher. Un tel assemblage aurait été l’œuvre de jeunes femmes sur le point d’âtre abandonnées par leurs preux chevaliers partant à la Croisade et remis à ceux-ci en guise de gage d’amour. Le lien central pouvant alors être constitué d’une tresse des cheveux de la belle pour accroître encore l’intimité du talisman. Pour terminer, l’auteur remarque tout de même qu’on trouve des fleurs de lis plus ou moins semblables dans les hiéroglyphes égyptiens, dans l’art de Mésopotamie et même comme un symbole sacré dans l’Inde ancienne. Elle conjecture enfin que le nom même de fleur de lis ne dériverait pas comme beaucoup le pense d’une altération de « fleur d’iris », mais, en rapport avec les fils qui semblent là pour maintenir ensemble les divers éléments, d’une déformation de l’expression « fleur de liasse ».
Je n’ai aucunes connaissances particulières en héraldique, mais les spéculations de Madame Faith Laing ne laissent pas de m’interpeller. J’apprécie à sa valeur la légende de Clovis décidé à célébrer les pseudacorus salvateurs, mais je me demande si toute la construction qui en découle n’est pas tout autant légendaire et contestable. Je pense notamment au fait que, dans les représentations les plus anciennes de l’iris, qui concernent des fleurs, très vraisemblablement d’iris germanica, ou de cousins de celui-ci (Iris albicans, iris florentina, iris variegata…), le dessin représente l’iris vu de profil, un pétale vu de dos en premier plan avec deux sépales, récurvés, sur les côtés. Cela ressemble diablement à la fleur de lis héraldique, bien plus que le pseudacorus auquel il faut infliger un traitement laborieux pour arriver à lui donner l’aspect recherché. Quant aux fameuses barres horizontales, plutôt que représenter des ficelles ou des tresses, ne s’agirait-il pas d’une stylisation de cette spathe, parcheminée et ridée, qui entoure la base de la fleur ? Enfin, pour confirmer cette thèse, n’oublions pas que les armes de la ville de Florence portent une fleur de lis rouge (de gueules) sur champ blanc (d’argent). Ce qui n’est d’ailleurs pas la forme originale, qui était, à l’inverse, une fleur blanche sur fond rouge, et qui était liée à la présence d’iris à parfum, blancs, dans la campagne environnant la ville. L’iris pseudacorus est bien loin. Et je ne parle pas de cette « fleur de liasse » bien naïve et lexicalement fort peu probable !
S’il y a parmi les lecteurs de ce blogue des personnes qui ont un avis sur cette question, qu’elles veuillent bien s’exprimer pour faire avancer la réflexion.
Dans le numéro 342 (juillet 2006) du Bulletin de l’AIS, a été publié un long texte émanant de Madame Kristen Faith Laing, intitulé « Spéculations sur l’origine de la Fleur de Lis ». Cette thèse, fort intéressante, rattache la naissance de la pièce héraldique baptisée « fleur de lis » tout d’abord à la légende selon laquelle Clovis, en guerre contre Alaric, aurait découvert un gué pour traverser une rivière grâce à la présence d’iris pseudacorus. En hommage à cette fleur à qui il aurait du la victoire, il l’aurait placée dans ses armes. Elle note qu’en fait la fleur de lis est apparue dans les armes des rois de France, soit sous Louis VI (vers 1096), soit sous Louis VII (vers 1270). L’auteur ajoute que : « Après avoir examiné les légendes et l’histoire, les seuls faits qui semblent vrais sont que la fleur de lis, au moins dans la culture française, est basée sur une fleur, l’iris pseudacorus, et qu’elle fut adoptée comme symbole de la France pendant les Croisades. » Elle se demande alors « Comment se fait-il donc qu’un objet aussi étrange que la fleur de lis héraldique, qui ne ressemble pas vraiment à cette simple fleur, ait pu être dessinée d’après elle ? » Elle analyse alors les formes, de la plus simple à la plus complexe, que revêt la fleur de lis dans ses représentations, et note que « toutes ont trois grands pétales dans leur partie supérieure, et trois plus petits en bas, ainsi que une, deux ou trois bandes horizontales un peu en dessous du milieu », et que, « traditionnellement la plupart sont colorées en jaune, tout comme le pseudacorus ». Ce sont ces bandes horizontales qui l’intriguent parce que rien de tel n’existe dans la nature. Elle en attribue l’origine à une sorte de lien, qui serait là pour maintenir ensemble les différents éléments de la fleur de lis. L’auteur a ensuite essayé de reconstituer la manipulation qui, partant de la fleur de pseudacorus, aboutit à la fleur de lis ayant servi aux artistes à créer la pièce héraldique. Elle décrit ainsi son travail : « Pour créer une fleur de lis classique, les anthères et les petits pétales insignifiants sont enlevés. Cela laisse les larges sépales et les styles attachés au pédoncule. Partant de l’idée que la fleur de lis est une fleur pressée et séchée, ce qui est sans doute une méthode pour la conserver, les étapes suivantes sont évidentes. Le style est délicatement replié vers le bas pour couvrir le pédoncule plutôt inesthétique. Une fois le pédoncule ainsi couvert par le style et correctement arrangé, on lie autour de l’ensemble un ou deux brins, pour le maintenir pendant qu’il sèche. Quand il est replié et attaché, le style est un peu plus long que le pédoncule et si tout cela est bien fait, il donne bien l’aspect des petits pétales du bas de la fleur de lis sur les dessins. » Elle relève ensuite l’un des sépales vers le haut et replie les deux autres aux 2/3, avant d’enfermer cette construction entre deux feuilles de buvard pour la faire sécher. Un tel assemblage aurait été l’œuvre de jeunes femmes sur le point d’âtre abandonnées par leurs preux chevaliers partant à la Croisade et remis à ceux-ci en guise de gage d’amour. Le lien central pouvant alors être constitué d’une tresse des cheveux de la belle pour accroître encore l’intimité du talisman. Pour terminer, l’auteur remarque tout de même qu’on trouve des fleurs de lis plus ou moins semblables dans les hiéroglyphes égyptiens, dans l’art de Mésopotamie et même comme un symbole sacré dans l’Inde ancienne. Elle conjecture enfin que le nom même de fleur de lis ne dériverait pas comme beaucoup le pense d’une altération de « fleur d’iris », mais, en rapport avec les fils qui semblent là pour maintenir ensemble les divers éléments, d’une déformation de l’expression « fleur de liasse ».
Je n’ai aucunes connaissances particulières en héraldique, mais les spéculations de Madame Faith Laing ne laissent pas de m’interpeller. J’apprécie à sa valeur la légende de Clovis décidé à célébrer les pseudacorus salvateurs, mais je me demande si toute la construction qui en découle n’est pas tout autant légendaire et contestable. Je pense notamment au fait que, dans les représentations les plus anciennes de l’iris, qui concernent des fleurs, très vraisemblablement d’iris germanica, ou de cousins de celui-ci (Iris albicans, iris florentina, iris variegata…), le dessin représente l’iris vu de profil, un pétale vu de dos en premier plan avec deux sépales, récurvés, sur les côtés. Cela ressemble diablement à la fleur de lis héraldique, bien plus que le pseudacorus auquel il faut infliger un traitement laborieux pour arriver à lui donner l’aspect recherché. Quant aux fameuses barres horizontales, plutôt que représenter des ficelles ou des tresses, ne s’agirait-il pas d’une stylisation de cette spathe, parcheminée et ridée, qui entoure la base de la fleur ? Enfin, pour confirmer cette thèse, n’oublions pas que les armes de la ville de Florence portent une fleur de lis rouge (de gueules) sur champ blanc (d’argent). Ce qui n’est d’ailleurs pas la forme originale, qui était, à l’inverse, une fleur blanche sur fond rouge, et qui était liée à la présence d’iris à parfum, blancs, dans la campagne environnant la ville. L’iris pseudacorus est bien loin. Et je ne parle pas de cette « fleur de liasse » bien naïve et lexicalement fort peu probable !
S’il y a parmi les lecteurs de ce blogue des personnes qui ont un avis sur cette question, qu’elles veuillent bien s’exprimer pour faire avancer la réflexion.
Sylvain, il faut lire les articles de M. Pastoureau sur ce sujet. Voir une référence en biblio de mon article dans iris et Bulbeuses n°150 p42.
RépondreSupprimerLe fleuron stylisé datant de l'antiquité ne pourra être rattaché à une origine précise.
Au cours des siècles, ce symbole préexistant sert successivement à symboliser diverses fleurs dont le Lilium, fleur symbole du Christ puis ensuite de Marie, sur des sceaux ou monnaies des évêques vers le XIe siècle.
Puis la royauté française, placée sous le patronage de la Vierge, en hérite (du lis/Lilium et du fleuron stylisé).
Ensuite au 14e siècle on a inventé ce fatras de légendes impliquant Clovis et l'iris... Pure invention de l'apologétique royaliste. Ce n'est qu'à partir de cette date que l'on peut admettre que la fleur de lys figure l'iris. Avant, c'était le lis de la Madone, ensuite...
Au Québec, la fleur de lys héritée de la France symbolisera le Lilium candidum de 1963 jusqu'à 1999, c'est maintenant le symbole de l'espèce indigène Iris versicolor.
Bref, impossible d'établir l'origine du fleuron, sa symbolique ne peut plus que varier selon les conventions des lieux et des temps. Seule la force de l'héritage royaliste fait aujourd'hui perdurer la légende de l'iris de Clovis, contre la réalité historique (et fait perdurer l'orthographe 'lys', plus "noble" !).
Pascal