On a coutume de dire que le plus bel iris du monde est celui qui, une année donnée, a obtenu la Médaille de Dykes américaine. Quel crédit faut-il accorder à cette affirmation ? Le plus bel iris du monde existe-t-il ? Le plus beau, s’il existe, est-il le meilleur ? Ce sont ses considérations dont on va parler dans cette chronique.
Les limites de la Dykes Medal Américaine.
Pour obtenir la Dykes Medal américaine (USDM) il faut être un iris né sur le sol des Etats-Unis, introduit sur le marché américain, et soumis à l’appréciation d’un nombre considérable de juges pendant un grand nombre d’années. La Dykes Medal est le sommet d’une pyramide qui débute par l’obtention d’une HM (Honorable Mention), puis d’un AM (Award of Merit) ; avoir concouru pour l’une des médailles spécifiques à chaque catégorie d’iris est impératif mais il n’est pas nécessaire d’en avoir obtenu une, cependant. Tout ce cursus doit s’être déroulé en un certain nombre d’années… Ajoutons à cela que, pour être noté, il faut que les juges aient l’occasion de voir l’iris en compétition, ce qui implique une large diffusion à travers tous les Etats-Unis, et par conséquent, une commercialisation par un ou des réseaux puissants. Cet argument commercial est ce qui nuit à la pertinence du choix des juges. Un iris superbe, obtenu par un particulier, vendu par une pépinière locale, n’a aucune chance d’être suffisamment vu et noté. Mais une fleur magnifique, provenant d’une plante fragile ou qui pousse mal, même si elle est commercialisée par le plus grand producteur, n’obtiendra pas non plus la récompense suprême. N’a pas davantage de chances un iris d’une catégorie peu recherchée par les amateurs, donc rarement vu par les juges, ce qui fait que cette DM n’est qu’exceptionnellement attribuée à autre chose qu’un grand iris (TB). Il ne suffit pas d’être beau, il faut être de bonne famille, costaud et riche ! La DM ne couronne donc pas le plus bel iris de l’année, mais une fleur de grande qualité, née chez un grand obtenteur et abondamment vendue. Et, forcément, américaine ! Ce sont là ses limites. Pendant longtemps les iris américains ont écrasé la concurrence. Puis les Australiens ont montré ce qu’ils savaient faire, et quelques Français, comme les Cayeux, ont fait de même. Mais peu à peu le monde des iris s’est élargi, notamment en Europe où l’on trouve maintenant des iris beaux et bons. Aujourd’hui la Dykes Medal américaine a perdu un peu de son aura, tout au moins dans le milieu des amateurs éclairés. Mais y a-t-il une autre référence ?
Les autres récompenses.
Que valent les deux autres Dykes Medal : l’australienne et la britannique ? Elles souffrent d’un handicap : l’étroitesse du choix offert. En effet l’une comme l’autre s’adresse aux obtenteurs de pays où la concurrence est faible. Il n’y a que trois ou quatre obtenteurs compétitifs en Australie (et autant en Nouvelle Zélande) ; en Grande Bretagne ils ne sont pas plus nombreux et, à l’heure actuelle, ils n’atteignent pas le niveau international. Cela fait que la médaille australienne est thésaurisée par deux obtenteurs, quand elle est attribuée, et que la britannique ne trouve preneur que de façon épisodique. Le même problème affectait la Dykes Medal française pendant la décennie au cours de laquelle elle a existé puisqu’elle n’a été attribuée qu’à des variétés signées Cayeux.
Les autres récompenses sont distribuées à l’issue de concours largement ouverts, mais au cours desquels les plantes ne sont appréciées que sur une période d’une semaine au maximum, ce qui élimine les variétés dont la floraison ne se produit pas exactement pendant la semaine du concours. De plus l’existence de plusieurs compétitions concurrentes, se déroulant presque simultanément, ne peut pas déboucher sur la désignation du plus bel iris du monde. Tout au plus les variétés primées font-elles parties des plus belles du moment. Heureusement ces concours, qui ont lieu maintenant un peu partout, permettent à des variétés non américaines de se mesurer à ses dernières et à prouver qu’elles ont atteint le même niveau d’excellence. On peut être allemand, slovaque ou italien et faire la nique aux américains.
En tout cas, quelle que soit la compétition, Dykes ou concours, on peut être assuré que les iris récompensés sont de beaux iris, biens sous tous rapports, qui vont fournir à ceux qui les achètent des fleurs de qualité. Il y a peut-être dans le paquet le plus bel iris du monde, c’est tout ce qu’on peut dire. Mais ce plus bel iris du monde est-il le meilleur ? C’est une autre affaire !
Plus beau ou meilleur ?
Quel pourrait être le meilleur iris du monde ? On peut se contenter de dire qu’il s’agit de celui qui porte les plus belles fleurs. Mais la beauté parfaite ne fait pas forcément progresser le domaine de l’hybridation, et en désignant un iris comme le plus beau on peut passer à côté d’une variété qui aura une influence majeure sur les iris du futur. C’est ainsi que ‘Snow Flurry’ (Rees, 1939) n’a pas été récompensé à son époque par une éminente distinction alors que pour ainsi dire tous les iris d’aujourd’hui le portent dans leurs gênes. En revanche ‘Rippling Waters’ (Fay, 1961), Médaille de Dykes en 1966, a bien été jugé selon sa valeur. Aurait-on du donner une DM à ‘Sky Hooks’ (Osborne, 1980) au motif qu’il allait être le champion des géniteurs de son époque, comme on a fait pour ‘Honky Tonk Blues’ (Schreiner, 1988) qui a une descendance presque aussi importante ? Et ‘Wild Jasmine’ (Hamner, 1983), à l’origine de tout un pan de l’iridophilie actuelle, n’aurait-il pas eu plus de mérites qu’un ‘Jesse’s Song’ (Williamson, 1983) enregistré la même année ?
C’est généralement après de nombreuses années qu’on peut dire si un iris a influencé durablement son univers. Et ce n’est pas parce que cette influence a été importante, voire primordiale, que l’iris qui l’a eue était d’une beauté particulière. ‘Chantilly’ (Hall, 1940) n’était qu’un pauvre fleur molle et terne, pourtant on lui doit les bords dentelés qui agrémentent nos iris modernes. Et ‘Progenitor’ (Cook, 1951), à l’origine de nos iris amoenas et bicolores, n’aurait jamais obtenu la moindre récompense dans un concours ! Il faut donc se contenter de ce que l’on a. Les diverses compétitions, prises dans leur ensemble, désignent des variétés importantes et belles. C’est parmi elles que se trouve le plus bel iris du moment. A chacun de choisir celui qu’il place au premier rang.
Le commentaire est tout à fait pertinent. L'hybridation réserve bien des surprises et le patrimoine génétique ne se détecte pas nécessairement au coup d'œil. Des iris jugés "laids" peuvent être porteur comme il est dit, d'améliorations décisives. Seul l'hybrideur qui a "travaillé" des lignées est à même d'en juger, car il sait ce qu'il attend.
RépondreSupprimerC'est pourquoi les résultats d'une tentative demandent du temps et souvent plusieurs générations pour produire leurs effets.
La photo de Rippling Waters est très belle. Dans mon jardin, il n'a jamais été aussi beau, malgré ses réelles qualités