L’histoire des iris a été écrite par un certain nombre de femmes remarquables. On pense généralement aux grands hommes qui ont marqué cette histoire, mais on parle moins des femmes. Elles sont pourtant nombreuses à avoir contribué à l’extension de ce petit monde. On ne peut pas les citer toutes. Certaines ont une place plus anecdotique que fondamentale, comme Mme Kuntz, qui n’a enregistré qu’une seule variété, mais qui a obtenu une Médaille de Dykes pour cet unique chef d’œuvre. D’autres sont restées dans une ombre qui ne rend pas justice à leur rôle, comme Clara Rees, dont le ‘Snow Flurry’ figure parmi les variétés les plus importantes pour toute l’iridophilie. Il y a celles dont la réussite a été récompensée, comme Neva Sexton, et celles qui ont joué de malchance, comme Melba Hamblen. Il y a enfin celles dont l’importance ne se situe pas exclusivement dans leur travail d’hybridation, mais qui se sont signalées soit par leurs recherches scientifiques, comme Bee Warburton, soit leur influence plus générale. C’est à l’une de ces dernières que je vais rendre hommage aujourd’hui en la personne de Alice Harding.
Alice Harding (Howard de son nom de jeune fille), née dans le New Hampshire, était issue d’une famille de la grande bourgeoisie de Nouvelle Angleterre. Elle a reçu l’enseignement d’un précepteur, à son domicile, puis fut envoyée en Europe pour compléter l’éducation d’une parfaite jeune fille de la bonne société. En 1900 elle a épousé Edward Harding, un éminent juriste et homme d’affaire new-yorkais. Quelques années plus tard, le couple s’offrit une maison de campagne dans le New-Jersey, avec un jardin décrit comme « d’une taille et d’une beauté inhabituelles ». Alice se fit jardinière, et cultiva toutes sortes de plantes, avec un soin et un discernement remarquables. Peu à peu elle s’est acquis une certaine renommée en ce domaine, car elle savait intelligemment sans états d’âme distinguer le meilleur et écarter le moins bon. Elle a écrit à ce sujet en 1926 :
« Une des phases les plus intéressantes du jardinage est, chaque année, la sélection des plantes. Il faut pour ce travail faire preuve d’un jugement impartial, d’une ferme résolution ainsi que d’une main assurée… »
Cette sévérité s’appliquait entre autre au domaine des iris, dont elle devint rapidement une amatrice experte et respectée.
Elle fut membre de l’AIS et se lança elle-même dans l’hybridation, enregistrant pendant quelques années ceux de ses semis qu’elle considérait comme digne de cette reconnaissance. Il y en a six : ‘Arsinoe’ (1929) ‘Caroline Clement’ (1929), ‘Elizabeth Howard’ (1934), ‘Commodore Fellows’ (1934), ‘Nicole Lemoine’ (1934), et ‘Topgallant’ (1935). Mais aucun de ceux-ci n’a été mis sur le marché. Son intérêt n’était pas là. En revanche elle l’a marqué en contribuant généreusement (500 FF de l’époque) à la Conférence Internationale sur les Iris qui s’est tenue à Paris en 1922.
Ses goûts ne la portaient pas exclusivement vers les iris, mais comme beaucoup d’irisariens, elle aimait aussi les pivoines à propos desquelles elle a écrit deux ouvrages : « The Book of the Peony » (1917), et « Peonies in the Little Garden » (1923) qui lui valurent la Médaille d’Or de l’APS (American Peony Society) et la Médaille de la SNHF, en notre pays. Car elle avait conservé de son séjour de jeunesse en Europe un réel amour de la France. Elle a d’ailleurs écrit un autre livre « Lilacs in My Garden » (1933), préfacé par son ami Emile Lemoine, célèbre obtenteur de lilas. Elle fut également faite Chevalier du Mérite Agricole, et déclarée « Dame Patronnesse » de la SNHF. Elle fit de nombreux voyages en France et fréquenta Ferdinand Cayeux qui lui dédia l’une de ses plus belles réalisations, l’un des tout premiers iris jaunes, le fameux ‘Alice Harding’ (1933), à qui fut attribué l’une des Médailles de Dykes françaises. Déjà en 1925, l’obtenteur anglais Amos Perry lui avait dédié une de ses obtention, ‘Mrs. Edward Harding’.
Son décès, en 1938, fut durement ressenti par tous ceux qui l’avaient appréciée. Avec elle disparaissait l’un des derniers représentants d’un monde qui savait mettre sa fortune au service de ses passions et des causes qu’il entendait soutenir, sans en tirer ni gloire ni vanité. Un monde qui, de toute façon allait s’éteindre dans la conflagration mondiale qui se préparait et qu’elle a eu, en quelque sorte, la chance de ne pas connaître.
Source : article de Anner Whitehead in ROOTS, Vol. 13 n° 1, automne 2000.
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