28.10.11

MARRAINES DE GUERRE

Au cours des deux dernières guerres, les gens de l’arrière, pleins de compassion pour ceux du front, avaient inventé les marraines de guerre. Des femmes et de jeunes filles correspondaient avec des soldats pour adoucir leur sort en évoquant les bonheurs simples du foyer et leur offrir la tendresse d’une pensée féminine. Souvent chacune envoyait sa photo que le poilu, dans sa casemate ou dans sa tranchée, regardait avec nostalgie en se disant : « La verrai-je un jour ? »

Lorsqu’il s’agit de nos fleurs préférées, nous avons nous aussi nos images personnelles, ces variétés dont on rêve, dont on s’est fait envie en feuilletant tel ou tel catalogue. Ce sont nos marraines de guerre à nous…

J’en ai eu beaucoup. Au cours de cette séquence « nostalgie » je vais en évoquer quelques-unes.


‘Evening Echo’ (M. Hamblen, 1977).

C’est en lisant le joli livre du photographe Jos. Westrich que j’ai eu le coup de foudre pour ‘Evening Echo’. La photo de la page 92 en montre le cœur, entre le blanc glacier et le mauve parme, et laisse voir les barbes, violet sombre pointées de brun. Le commentaire, signé de ce grand humaniste que fut Ben Hager, a aussi contribué à ma dévotion : « …on a réussi à élaborer toute une gamme de couleurs de barbes que l’on trouve à présent dans tous les jardins. Dans la nature, les couleurs sont plus stables. Le choix dont nous bénéficions aujourd’hui n’est que le fruit du désir qu’éprouve l’homme de rechercher, dès que cela lui est possible, ce qui est nouveau et différent. Peut-être le coloris spectaculaire de la barbe représentée ici nous permettra-t-il de comprendre le pourquoi de cette irrésistible quête. » J’ai cherché avec détermination à me procurer cette variété. Mais aucun catalogue français, à l’époque, ne la proposait, et ne parlons pas de catalogues américains qui ont toujours fait la part belle aux dernières nouveautés. J’avais pour ainsi dire fait mon deuil de ‘Evening Echo’ et j’allais me tourner vers l’un de ses descendants quand, à l’occasion d’un échange de plantes, Igor Fédoroff me le propose ! Quelques années auparavant il avait écrit à Melba Hamblen et celle-ci lui en avait envoyé quelques rhizomes.

Dois-je décrire mon attente de la floraison ? Tout était là : les tépales blanc fumé, et les barbes brunes. Mais les fleurs, de petite taille, pour ainsi dire sans ondulations, manquaient de grâce et d’élégance. Autant d’espérance pour un iris bien banal en dehors de l’unique attrait des barbes…


‘Verde Luna’ (V. Romoli, 1996).

Je ne me souviens plus en quelles circonstances j’ai eu connaissance de l’existence de cet iris. Toujours est-il que je m’en suis fait envie et que, lorsque j’en regardais la photo, cela redoublait mon impatience. Mais c’est encore une variété introuvable dans le commerce, et mon attente a duré longtemps ! Il a fallu l’opportunité du concours FRANCIRIS de 2005, et de la présence de Valeria Romoli dans le jury pour que j’ose lui demander de m’en donner un morceau. La réponse a été positive, mais j’ai bien cru qu’elle avait été oubliée. Les semaines et les mois passaient sans que le facteur n’apporte ce petit colis d’Italie auquel je tenais tant. Quand l’hiver est venu, j’avais abandonné tout espoir, mais peu avant Noël le colis est enfin arrivé ! Sans me faire trop d’illusions, j’ai soigneusement planté mes deux rhizomes. Janvier 2006 a été froid, en Touraine. J’ai bien cru que malgré mes précautions mon ‘Verde Luna’ ne repartirai pas.

Et pourtant il a fleuri dès le premier printemps ! C’était bien ce que j’espérais : des pétales blanc verdâtre, des barbes jaunes pointées de bleu, des épaules couleur tilleul… Cela correspondait tout à fait à ce que j’espérais. Depuis, fidèle, ‘Verde Luna’ refleurit chaque printemps. J’en suis ravi. Encore mieux : Valeria m’a dit un jour qu’elle avait elle-même perdu la touffe d’origine, et je lui ai donc fourni de quoi la reconstituer !




‘Bateau Ivre’ (P.C. Anfosso, 1982).

Il faut se méfier des catalogues. La description que j’ai trouvée de cette variété dans le catalogue Iris en Provence m’a immédiatement attiré : « Harmonie baroque et raffinée pour cet iris aux pétales gris-rose froid, sur des sépales gris-rose légèrement plus soutenu, personnalisés par une ligne médiane plus sombre. Le cœur de la fleur est réchauffé par un ton plus doré et toutes ces nuances se retrouvent dans la barbe. » « Il me le faut », me suis-je dit.

Mais pour apprécier la description, il m’a fallu bien de la patience, et même de la ténacité : 9 ans !! Oui, pendant neuf ans j’ai attendu : pas la moindre tige florale, rien que des feuilles. Enfin, un jour, il a fleuri. Exactement ce que j’attendais. Satisfaction profonde. Puis plus rien de 1994 à 1999. Puis une autre floraison en 2002. Puis plus rien… Quand j’ai déplacé ma collection, je n’ai pas replanté ‘Bateau Ivre’. Mon ivresse était bien passée…

‘Spellbreaker’ (Schreiner, 1991).

En page 2 du catalogue Schreiner de 1991 il y a cette photo d’un iris d’un pourpre amarante splendide enrichi d’une barbe blanche irréelle. La description fait aussi venir l’eau à la bouche : « La photo de la page 2 capture l’effet ensorcelant créé par les ravissantes barbes blanches et touffues de Spellbreaker. C’est comme si la sorcière avait agité sa baguette ! Les pétales larges et ondulés se tiennent avec une grâce captivante dans un somptueux ton de violet canneberge. Ce charmeur est d’une excellente vigueur et donne trois ou quatre branches avec 8 à 10 boutons. » J’ai d’autant moins résisté que cette année-là (1998) j’avais d’une part vu fleurir pour la première fois l’excellent ‘Extravagant’ (Hamblen, 1983) dont j’avais bien apprécié le vigoureux coloris voisin de celui de ‘Spellbreaker’, et que, d’autre part, avec quelques amateurs passionnés, nous avions décidé de passer une commande chez Schreiner.

Patience, patience, encore. J’avais même oublié que quelque part, entre ‘Colette Thurillet’ et ‘Swedish Modern’, il y avait une variété qui végétait et que je n’avais pas encore vu fleurir, quand, en 2007, à cet endroit, est apparu une énorme fleur rouge fuchsia à barbes blanches ! Surprise et étonnement. Je n’attendais pas une fleur aussi volumineuse. A vrai dire, même bien trop grosse pour être vraiment jolie. Les rêves sont quelque fois trompeurs…

Toutes les marraines de guerre n’ont pas apporté autant de déception à leurs filleuls. Certaines même les ont épousés. Mais en ce qui me concerne, celles de mes attentes les plus vives ont bien souvent été des échecs. Nos marraines de guerre peuvent être moins séduisantes que leur portrait…

1 commentaire:

  1. Bonjour
    à l'instar des Roses , les Iris peuvent bien trop souvent nous décevoir .La faute en reviens indubitablement à cette frénésie de nouveauté qui viennent enrichir les catalogues tant sur un plan purement mercantil,que
    pour flâter les égos des hybrideurs .c'est assez lamentable , d'autant que nos jardins ne sont pas extensibles .Perso je ne débource mes deniers que pour des variètés qui ont fait leur preuve et tant pis si je passe à coté de certaines bonnes affaires .

    RépondreSupprimer