UN CHARDON DANS LA PIMPRENELLE
(désherbage et méditation)
« Je me rend compte que j’ai une différence d’appréciation avec Dame
Nature à propos de mes massifs de vivaces. Je pense qu’il s’agit d’un jardin
fleuri, elle croit que c’est une prairie où il manque de l’herbe, et elle
essaie de corriger l’erreur. »
Sara Stein(1).
Ça va vous paraître paradoxal si je vous annonce que je vais faire ici
l’éloge du désherbage. Pourtant c’est ce dont il va être question dans cette
chronique. En effet, au mois de juillet, j’ai passé plusieurs journées à ce
travail qui a mauvaise réputation, et, somme toute, je n’ai pas détesté
ça !
Je m’y suis mis entre la fin de la pluie et le début de la chaleur. C’est
qu’un jardin d’iris, c’est un endroit dégagé, où le vent est vif et le soleil
vigoureux ! La perspective de plusieurs heures dans ces conditions exige
qu’on choisisse précisément les conditions météo. Vous me suivez ?
Vous vous dites peut-être que je vous fait le coup de la
coquetterie : « Il tient à tout prix à se montrer intéressant, le
vieux, mais il est en fait comme les copains, le désherbage, ça le barbe et ça
lui fait mal au dos ! » Eh bien vous n’y êtes pas du tout ! Je
suis sincère. Je ne dis pas que j’aime le désherbage, mais je lui trouve des
agréments. Je vous explique, et je commence par vous décrire comment je
désherbe. Puisque mes iris se présentent sur deux rangs parallèles, j’arrache
d’abord sur une moitié de la bordure, puis sur l’autre. Et comme le milieu de
la bordure se trouve à peu près à l’extrémité de mon bras tendu, je puis
tranquillement m’asseoir dans l’allée et arracher sans me plier l’échine. Vous
allez vous moquer de moi : « Ha ! Le beau jardinier qui se
traîne dans l’herbe ! Ça c’est du boulot ! » Vous pouvez dire ce
que vous voulez, cela ne m’émeut pas et je continue d’affirmer que, ridicule ou
pas, ma position de travail est confortable et peu fatigante. Dans une autre
vie, j’ai été formé à l’ergonomie, et j’ai passé beaucoup de temps à expliquer
à des manutentionnaires comment il devaient se positionner pour soulever des
colis. Je sais de quoi je parle quand je vous dis qu’assis, je ne plie pas le
dos et que je n’ai pas mal au rein en fin de journée. Pratiqué dans ces
conditions, « à sa main » et sans se presser, le désherbage ne
s’avère pas une corvée trop pénible. Il semble même que ce soit un moment
auquel on peut trouver de l’intérêt. J’en vois sur deux plans : La tête à
proximité du sol, on apprécie les moindres détails de la vie du jardin ;
pendant que les mains travaillent, l’esprit peut librement vagabonder.
Le désherbage manuel vous fait vivre votre jardin comme vous ne le
vivriez pas en restant dans la position verticale. Rien ne vous échappe :
les plus infimes variations de la composition du sol, immédiatement repérées à
l’apparition ou la disparition de telle ou telle espèce d’adventice, les petits
hôtes des massifs, fourmis, punaises, petits coléoptères… Les plus insidieuses
attaques de maladie, aussi, hélas et heureusement ! La moindre variation
de l’environnement apporte son lot de modification dans la flore : tel
arbuste a-t-il pris un peu d’extension, aussitôt les herbes qui poussent à son
pied vont changer. Un peu plus d’ombre et la vesce cède la place à la violette,
un peu plus de sécheresse et le sédum fait son apparition… Le spectacle change
à peu près tous les deux mètres, et sans cette proximité qu’autorise le
désherbage, on le manquerait à coup sûr.
Ce travail en lui-même n’exige pas une tension intellectuelle, et les
gestes laissent le temps à la méditation. C’est un peu comme la pêche à la
ligne : on fait attention à ce qui se passe, mais l’esprit est tout de
même suffisamment libre. Alors pourquoi la pêche est-elle considérée comme un
loisir, alors que le désherbage fait figure d’épouvantail ? Est-ce donc si
plaisant de planter un hameçon dans l’abdomen d’un asticot ? Est-ce donc
si fastidieux d’attraper des poignées d’herbe en se tenant au plus près du
sol ? Choisissez le désherbage : les sujets de réflexion les plus
divers vous viendront à l’esprit, dans un désordre total, un peu comme un rêve
éveillé, inspirés aussi bien par le spectacle de la nature que par les bruits
de l’environnement : le gazouillis du rouge-gorge qui est au-dessus de
vous et qui guette le vermisseau dérangé par votre passage et qui va faire son
repas ; le vrombissement d’une machine agricole qui moissonne sur le
coteau ; la sirène d’une ambulance qui passe là-bas sur la route ;
chez le voisin, le caquètement de la poule qui vient de pondre…Tout cela
devient l’occasion d’une réflexion qui peut fort bien devenir des plus
sérieuses, allant d’un petit événement familial aux conséquences des dernières
élections ; mais qui peut tout aussi bien évoquer les usages différents de
la ponctuation en anglais et en français, tout comme l’intérêt d'adapter la Constitution
allemande à l’organisation d’une hypothétique Europe Fédérale !
Souvent, un détail, un minuscule incident détourne votre attention :
Tiens ! Voyez cette grosse épeire au ventre tout rond qui se dépêche de
quitter la zone de désherbage ; et pourquoi cette touffe de chardon
est-elle venue se loger au milieu de ces pimprenelles ?
Le temps s’écoule et les grandes herbes qui enlaidissent votre plantation
passent de la plate-bande à l’allée qu’elles quitteront bientôt pour le
compost. Me prendrez-vous au sérieux si je vous affirme, parodiant Mme de
Sévigné, que désherber est la plus agréable des choses, c’est arracher de
l’herbe en rêvassant dans le jardin ?
(1) – Cité dans le blog de Terry Johnson.
C'est sans doute la première fois que je commente dans ton blog, mais je voulais dire que j'avais apprécié, énormément apprécié, ce post.
RépondreSupprimersuperbe réflexion à laquelle j'adhère pleinement.... quand je suis énervée, contrariée ou pire, je me jette au sol pour désherber, c'est une excellente thérapie!
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