Il est évident que ces iris qu’on appelle aujourd’hui variegatas sont issus de l’espèce I. variegata. Mais il y a eu de sérieuses transformations ! La principale a été de répandre uniformément la couleur brune ou violacée qui figure dans les veines des sépales de l'espèce d'origine sur toute la surface du sépale. L’affaire n’a pas été simple, et les premiers variegatas ne s’éloignaient guère du modèle naturel. Témoin le travail de Goos et Koenemann qui, compte tenu de la petite taille de l’espèce-mère, a été classé parmi les iris intermédiaires : ‘Iris König’ (1910) ou ‘Flamenschwert’ (1920) en sont des exemples. Peu a peu cependant la couleur brune ou rousse a gagné la totalité des sépales et c’est une nouvelle fois dans la pépinière de Hans Sass qu’ont été sélectionnés les premiers iris jaune/bordeaux dont on peut dire qu’ils ont été les premiers variegatas au sens où on entend cette appellation aujourd’hui. Au tout premier rang on peut mettre ‘King Tut’ (H. Sass, 1926), suivi quelques années plus tard de ‘City of Lincoln’ (H. Sass, 1937), lequel a fait une carrière commerciale brillante et a frôlé la DM en 1942. En France, Ferdinand Cayeux n’était pas en reste. Avec son ‘Vision’, de 1932, il égale ses rivaux américains, tandis que ‘Constellation’ (1936) fait le pendant de ‘City of Lincoln’.
Le modèle variegata est devenu au fil des ans une tribu immense et il en apparaît chaque année de nouveaux. Mais dans ce que nous appelons maintenant variegata, il y a en fait deux familles, les variegatas à sépales brun-rouge et les variegatas à sépales violets. Ils découlent tous d’une même base, mais pour obtenir la combinaison jaune/mauve ou violet les hybrideurs des années 60 ont associé le modèle amoena (type ‘Whole Cloth’) au modèle variegata (ou jaune issu de variegata) ; de ces croisements sont issus les iris clairs comme 'Swedish Modern' (Babson, 1976) ou foncés comme ‘Milestone’ (Plough, 1965) qui se trouve derrière le fameux ‘Edith Wolford’ (Hager, 1986). Ce sont de ceux-là que l'on va plutôt parler aujourd'hui.
Prenons le cas de 'Swedish Modern'. Ses parents sont : 'Tambourine' et 'Shipshape'. 'Tambourine' (Babson, 1969) est un variegata classique aux pétales dorés au-dessus de sépales vieux rose. On n'a guère d'information sur ses origines... 'Shipshape' (Babson, 1969) est beaucoup plus connu puisqu'il a obtenu la Médaille de Dykes en 1974 et qu'il a fait une carrière commerciale mondiale. C'est un iris bleu drapeau qui avait tant de qualités qu'il a résisté aux injures du temps et figure encore dans bien des jardins. Il est lui-même issu d'un vrai bleu, 'Pacific Panorama' (Sexton, 1960 – DM 65) et d'un bleu clair veiné de sombre, 'Epic' (Babson, 1965). C'est ce bleu clair qu'on retrouve dans les sépales de 'Swedish Modern', élégamment associé au jaune tendre des pétales. 'Milestone', lui, a pour pour pedigree (Rainbow Gold X Whole Cloth). 'Rainbow Gold' (Plough, 1959) est beau jaune d'or, et 'Whole Cloth', le parangon des amoenas bleus. Une variété très voisine (en coloris) de 'Swedish Modern' est 'Betty Simon' (Hamblen, 1976), mais question pedigree, on en est assez loin puisque 'Betty Simon' provient de 'Foggy Dew' (Keppel, 1969), qui est un plicata, et de 'Diplomacy' (Keppel, 1965) qui, lui, vient effectivement de 'Whole Cloth'. Dans la version, la plus colorée, on trouve aujourd’hui des iris spectaculaires, comme ‘Gambling Man' (Keppel, 2014) dont les couleurs sont sans bavures, même si le bleu lobélia des sépales est ceinturé d'un liseré brunâtre, mais bien défini. Toujours est-il que depuis le début des années 1970 on était parvenu à présenter des variegatas jaune/bleu, baptisés ainsi même si leur côté proprement variegata est plutôt problématique. On devrait plus justement parler de bicolores, voire même d'amoenas jaunes.
Ces dernières années, on a vu les obtenteurs partir à la recherche de nouveaux coloris et parmi ces innovations il y a ce qu'on appelle des variegatas inversés. C’est une jolie performance que d’avoir réussi à obtenir des iris aux pétales bleus et aux sépales jaunes. Mais peut-on parler à leur propos de « variegata » ? Il semble bien que cette dénomination ne soit pas adaptée, même si le résultat visuel est bien celui d’un variegata inversé, en effet aucun des iris présentant cet aspect particulier n’est issu d’une famille de variegata ! En fait ces iris sont plutôt apparentés aux amoenas inversés. Prenons le cas de ‘Wonderful to See’ (Kerr 2000). Celui-ci a deux amoenas inversés dans son arbre généalogique : d’un côté de ‘Sea Quest’ (Shoop 90) et de l’autre de ‘Little Much’ (Ghio 84). Voilà pour les pétales bleus, mais pour les sépales jaunes ? Il faut chercher pour cela du côté des amoenas jaunes, en l'occurrence son « père », ‘Arc de Triomphe’ (Kerr 95), un enfant de notre ‘Echo de France’ bien connu.
Keith Keppel a une explication lumineuse du phénomène : « Le bleu, pigment anthocyanique, est contrôlé par un gène ou un ensemlble de gènes. Le jaune, pigment caroténoïde, par une autre série de gènes.La situation idéale peut se produire si vous pouvez prendre un amoena inversé (pétales bleus, sépales blancs) et le superposer à un amoena jaune (pétales blancs, sépales jaunes). Ce n'est malheureusement pas simple, car il y a beaucoup de facteurs qui interviennent. Les amoenas jaunes ont souvent beaucoup de jaune qui déborde vers les côtes des pétales. Ils contiennent aussi souvent un inhibiteur de la production d'anthocyanine qui va ternir le bleu de l'amoena bleu inversé. Tous débordements dans le système des couleurs va avoir pour effet de créer un mélange, le plus souvent vers le gris ou un crme ou jaune verdâtre. Les pétales bleus vont tendre à devenir d'un bleu plus foncé au centre plutôt que d'un bleu uniforme. Le jaune des sépales va être plus intense aux épaules. Il faut donc nécessairement sélectionner les semis qui montrent la démarcation des couleurs la plus nette de même que ceux qui ont la plus uniforme application des couleurs. » Keith Keppel propose un autre exemple : 'Party's Over' (D. Meek, 2005)(1). « C'est l'un des premiers et des meilleurs du genre. Notons qu'il est issu de 'Champagne Frost', pétales blanc bleuté légèrement infus de rose, avec des sépales pèche. Quand, lors d'un croisement, le facteur mandarine se trouve délayé, le rose devient jaune. C'est pourquoi 'Champagne Frost' est plutôt à considérer en hybridation comme un amoena jaune. »
K. Keppel a réalisé un croisement de 'Alpenview', amoena bleu inversé, par 'Party's Over', numéroté 07-21, qui a donné naissance, explique-t-il, à : « un premier semis où les couleurs sont assez régulièrement réparties, mais où les traces de bleu dans les sépales donnent une teinte d'un vert sale. Un second semis ressemble davantage à 'Party's Over' mais le jaune des sépales n'est pas assez vif pour en faire quelque chose d'unique. Bref il reste du pain sur la planche ! »
Ne doutons pas de la perspicacité et de la persévérance des hybrideurs pour nous donner un jour prochain un de ces « variegatas inversés » aux couleurs nettes et bien tranchées.
(1) pedigree = (Color Magician X Champagne Frost) – par 'Color Magician' c'est un descendant de 'Condottiere'.
Illustrations :
'City of Lincoln'
'Swedish Modern'
'Gambling Man'
'Party's Over'
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