Fiction
PARIS, 24 mai, 16.10 (de notre correspondant particulier).
Le concours « Iris en France » vient de se terminer. Le jury s'est réuni en fin de matinée et les discussions viennent seulement de prendre fin. Rappelons que les juges sont originaires d'Australie -1-, Lettonie -1-, Italie -1- et France -2-. L'un d'entre eux a bien voulu me communiquer les notes qu'il a prises au cours des discussions. Elles démontrent combien il a été difficile de se mettre d'accord sur un palmarès.
Le dépouillement des votes a mis en évidence que cinq variétés, assez dissemblables, étaient arrivées « dans un mouchoir de poche » pour reprendre une expression populaire bien connue. En voici la description dans l'ordre de leur numéro de compétition :
13 : pétales jaune éteint, sépales blanc bleuté sous les barbes, devenant progressivement bleu vif en gagnant vers le pourtour, lequel est brun café ; barbes moutarde.
17 : Pétales et sépales blancs, cœur de la fleur rose crevette, barbes roses avec éperons mandarine.
63 : pétales blanc glacier, fin liseré bleu marine, styles blancs bordés de bleu marine ; sépale violet pourpré presque noir ; barbes tabac brun.
92 : pétales et sépales blancs, cœur infus de jaune vif, barbes jaunes.
108 : fleur uniformément rouge pompier, barbes jaune doré, peu visibles.
Après un premier tour de table où chacun s'est exprimé sur ses préférences, le n° 92, en dépit de qualités horticoles évidentes, a été classé en cinquième position, essentiellement parce que ses concurrents présentaient des coloris ou des modèles plus spectaculaires.
La variété n° 13 a été considérée comme originale mais, pour au moins deux juges, d'un coloris vulgaire et trop voyant. Les qualités végétatives de la plante ont été mises en avant par son principal soutien sans pour autant convaincre les autres juges sur l'intérêt de lui accorder une préférence. Elle se trouve classée en quatrième position.
Un second tour de table n'a pas permis de dégager une majorité en faveur de l'une ou l'autre des variétés restant en lice.
Le cas de l'iris n° 17 a fait l'objet d'une discussion très vive. En effet l'ensemble du jury s'est accordé pour dire que le modèle et le coloris de la fleur étaient tout à fait remarquable, mais la controverse a porté sur ses qualités générales : feuillage étroit et rabougri, vigueur insuffisante, nombre de boutons un peu faible. Deux juges ont insisté pour mettre en avant l'originalité de la fleur et se montrer indulgent sur les défauts végétatifs. Mais deux autres juges ont été intransigeants à ce sujet et ont fait remarquer que dans une compétition internationale, les récompenses ne peuvent aller qu'à des variétés au-dessus de tout reproche. L'avis du cinquième juge a été déterminant et, comme il s'est finalement rangé aux arguments des deux juges « sévères », le n° 17 a pris seulement la troisième place.
Une autre discussion très animée a marqué l'étude du cas n° 63. L'accord est intervenu rapidement à propos de ses qualités horticoles, mais plusieurs juges ont considéré que le coloris blanc/noir, s'il pouvait plaire à certains collectionneurs, en particulier pour sa rareté et le caractère acrobatique de son obtention, nuisait à son avenir commercial auprès des simples amateurs. Les deux juges français auraient préféré qu'on leur présente une fleur dotée de barbes mandarine ou rouges, ce qui aurait relevé l'ensemble et l'aurait rendu plus attrayant. Mais le juge letton a insisté sur le caractère exceptionnel d'une telle fleur qui réalise une association parfaite de couleurs antinomiques qui constitue une avancée majeure en matière d'hybridation ; à son point de vue, une barbe vivement colorée aurait évidemment rendu la fleur plus gaie, mais aurait nui à l'effet recherché. C'est l'avis prépondérant du Président, australien, qui a emporté la décision de donner dans un premier temps la préférence à cette variété dans le classement final.
Particulièrement intéressante a été la discussion suscitée par l'iris n° 108. A l'issue du premier tour de table il semblait que la suite des débats pouvait tourner à son avantage pour le premier prix mais les choses ne se sont pas déroulées comme cela avait l'air acquis. Le côté sensationnel de cette plante, avec une couleur inconnue jusqu'à présent, irréalisable sans le secours de la science, a, dans un premier temps, séduit les membres du jury qui étaient cependant au courant de l'origine artificielle de cette variété. Mais des interrogations se sont élevées. Un point de friction essentiel a été le suivant : peut-on accorder la préférence à une variété qui résulte d'une manipulation génétique et non pas d'un travail horticole ne faisant appel qu'à des lois naturelles et à l'habileté de l'hybrideur ? Le juge letton a été spécialement alarmiste sur cette question. A son avis laisser ce répandre ce genre de plante portait le risque d'une disparition, à terme, des iris dépourvus de gènes artificiels. Il souhaitait donc que, compte tenu de ce risque, le concurrent n° 108 soit exclu de la compétition. L'un des juges français s'est partiellement rangé à cette opinion, sans aller, toutefois jusqu'à l'exclusion. Le débat a alors rebondi car, comme l'a fait remarquer le juge italien, si l'on redoute la dispersion des gènes artificiels, on ne peut pas récompenser le porteur de ce risque. Le second juge français a été beaucoup moins alarmiste que les précédents, laissant entendre que les conséquences d'une dispersion n'étaient peut-être pas si dramatiques que ses détracteurs tendaient à le démontrer. De nouveau des hésitations se sont fait jour et un vote, à bulletins secrets, a abouti à classer en deuxième position cette plante controversée. Cependant les membres du jury convaincus du danger ont de nouveau relancé le débat et, après de longs et vigoureux échanges, un nouveau vote a eu lieu. Cette fois l'iris rouge n° 108 a été retiré de la compétition. Une motion spéciale a été ajoutée aux résultats du jugement demandant à ce que l'autorité compétente (en l'occurrence l'American iris Society qui gère ces problèmes) interdise de façon générale les manipulations génétiques. Cette décision, la première du genre vu qu'auparavant il n'y a pas eu de compétition à laquelle une variété artificielle ait participé, devrait, en quelque sorte, faire jurisprudence.
Pour mettre les choses au clair le Président a demandé un dernier vote afin d'établir un classement unanime et cohérent. Une fois révélé le nom des variétés et celui de leurs obtenteurs, le vote a donné le résultat ci-dessous :
1) N° 92, 'Ma Payse' (Jean-Jacques Castagnède, France)
2) N° 63 'Porteur de Lumière' (Thomas Montjoye, Belgique)
3) N° 17 'If you Love me' (Greg Higgins, USA)
4) N° 13 'Give me your Hand' (Joel Stanley, Australie)
le N° 108 'Krasniyanka' (Sergeï Golotchenko, Ukraine) est déclaré hors compétition.
LOL !!! ��
RépondreSupprimerJérôme B.