20.11.15

« BC » COMME « BROKEN COLOR »

Le mot « broken color » ne sonne pas bien à nos oreilles de français, et en plus il chatouille notre sensibilité et acte notre assujettissement à la langue anglaise. Dans plusieurs autres circonstances analogues, c'est un mot en latin « de sacristie » qui a été choisi pour désigner une disposition particulière des fleurs d'iris. Nous avons les anciens comme « plicata » ou « variegata » ; nous avons les plus récents comme « luminata » ou « distallata » (dont je sais qu'il ne plaît pas à tout le monde). Pourquoi, alors n'avoir pas fabriqué un néo-latinisme adapté à la spécificité des fleurs aux couleurs entremêlés, comme « maculosa » ou, mieux encore, « misculata », pour respecter la forme le plus souvent usitée dans ce genre de création ? On parlera de la domination américaine ou de l'anglomanie... Il semble cependant que celle-ci soit inévitable puisque la nouvelle désignation retenue pour les iris dont nous allons parler soit « Novelty ».

Quelle que soit notre réticence lexicale, il faut bien adopter ce qu'on nous impose et parler de « broken color » pour désigner ces fleurs sur lesquelles deux voire trois couleurs s'amalgament de façon aléatoire. Un peu comme lorsqu'on verse un colorant dans un pot de peinture et que l'on commence le mélange.

Pendant longtemps, les iris qui présentaient la physionomie de ce qu'on appelle maintenant les « broken color » ont été rejetés comme des monstruosités. Ce n'est qu'aux confins des années 1970 qu'on a commencé à s'intéresser à eux sérieusement. Le premier de l'espèce réellement intéressant qui ait été enregistré se nomme ‘Doodle Strudel’ (Ensminger 1977), un iris bleu ciel, taché de bleu marine, descendant perturbé de ‘Stepping Out’. L’année suivante, il a recommencé avec ‘Inty Greyshun’ (1978), qui est mauve améthyste et barbouillé de blanc. ‘Batik’, le plus célèbre, au point d’en être devenu la variété-repère, est apparu en 1981. Par la suite vinrent ‘Painted Plic’ (1983), ‘Maria Tormena’ (1987), ‘Isn’t it Something’ (1993) puis ‘Brindled Beauty’ (1994) et ‘Autumn Years’ (1995). Depuis on a fait bien plus étrange, voire extravagant, mais il n’empêche que la paternité du modèle doit être attribuée à Ensminger et pas à un autre.

 Vient ensuite le règne de Brad Kasperek. Ce dernier n’est pas parti du néant. Il a tout simplement utilisé les variétés d’Ensminger, notamment ‘Maria Tormena’ et ‘Painted Plic’, pour commencer sa nouvelle lignée. Dès le début, ses iris ont été remarqués, non seulement pour leurs noms qui surfent sur des jeux de mots que l'on n'est pas obligé d'apprécier, mais surtout pour leurs qualités et l’originalité de leurs coloris. Ces iris ne peuvent pas passer inaperçus. Ils ont incité quelques autres obtenteurs à se lancer dans l'aventure. C'est le cas de :

- Joyce Meek, avec‘Wild Card’ (1983), qui est presque un « broken color » en ce sens qu’il n’y a pas deux fleurs marquées de la même façon, mais qui reste néanmoins plus proche de la catégorie plicata, un peu comme était ‘Hey Looky’ (W. Brown 1970) ;
- Bill Maryott qui a proposé ‘Out of Control’(1995), violet pourpré balafré de blanc ;
- Keith Keppel lui-même, avec ‘Broken Dreams’ (1998), rose aspergé de blanc aux sépales.

Maintenant les « broken color » font complètement partie du paysage des iris. On peut même faire le tri entre les BC façon Kasperek, un peu canaille, et ceux façon Keppel, beaucoup plus raffinés.

Quand on sait que ces iris proviennent de plicatas chez qui les couleurs ne sont plus régulièrement réparties, tous les hybrideurs peuvent espérer obtenir un jour un « broken color ». Néanmoins le défi n'est pas mince car, dans les semis de « broken color » il y a beaucoup de déchet : plantes malingres, rabougries, fragiles… C’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup d’iris de petite taille (BB) dans la catégorie. Cela peut être une façon de commercialiser malgré tout des plantes qui n’atteignent pas la hauteur réglementaire pour les grands iris. Cela démontre également qu'il faut être particulièrement rigoureux quand on sélectionne un « broken color » car la tentation peut être forte de mettre sur le marché quelque chose sinon d’imparfait, tout au moins simplement d’esthétique discutable.

Comme pour les iris à éperons, certains hybrideurs font état de scrupules quant à l'intérêt de banaliser ces anomalies génétiques. Je ne sais pas si leurs craintes sont justifiées, mais je serais tenté de considérer ces iris seulement comme des curiosités dont il n'est pas souhaitable d'accroître indéfiniment le nombre. Mais je fais confiance d'une part à la pondération des grands maîtres des iris, d'autre part au bon goût des amateurs. Et si ceux-ci se détournaient de ces fantaisies, l'engouement pour elles retomberait très vite. N'est-ce pas déjà un peu le cas ? Il me semble qu'on en voit apparaître de moins en moins...

 Illustrations : 


 'Maria Tormena' 


 'Wild Card' 


'Out of Control' 


'Toucan Tango'

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