3.5.19

ON NE MAITRISE PAS TOUT

Presque tous ceux qui cultivent les iris sont un jour tentés par l’hybridation, quand ce n’est pas cet aspect des choses qui a entraîné la culture. Rien de plus facile, en effet, que de créer ses propres variétés. Et l’on n’a pas à patienter trop longtemps avant de jouir de ce que l’on a créé : deux ou trois ans suffisent. On se pique vite au jeu. On n’est pas obligé d’agir méthodiquement, comme font les professionnels, on peut tout simplement laisser libre cours à l’inspiration du moment, au désir de voir ce que pourra donner telle ou telle variété croisée avec telle autre. D'ailleurs les professionnels eux-même ne maîtrisent pas tout. Il s'en faut ! Dans ce travail la part du hasard est énorme. Et cela affecte à peu près tous les stades de l’opération.

Hasard il y a dans la décision de l’hybrideur de choisir tel ou tel thème de recherche : il avait tous les choix possibles, il en a retenu un, pourquoi celui-là plutôt qu’un autre ? Certains diront peut-être que le choix résulte d’une profonde réflexion et que, dans ce cas, parler de hasard est un peu excessif, néanmoins, parce qu’on appelle hasard ce qui comprend tellement de paramètres qu’on est incapable de les dénombrer et de les maîtriser, et que dans la décision d’une personne il y a une infinité de raisons que la personne elle-même ne maîtrise pas totalement, le choix du thême peut être considéré comme le fruit du hasard.

 Hasard il y a dans le choix des parents. Cela peut paraître discutable car l’hybrideur choisit ses géniteurs avec beaucoup de minutie, mais le hasard intervient néanmoins : telle plante à laquelle il avait pensé n’a pas bien poussé, ou n’est pas fleurie au bon moment. Il va donc modifier son projet, choisir une autre variété que celle envisagée en premier lieu, ou bien il va différer son hybridation, mais dans ce cas il va ajouter un nouveau hasard au précédent : par exemple les conditions météorologiques ne seront plus tout à fait les mêmes au moment où il réalisera son croisement et la réussite de celui-ci sera peut-être remise en cause…

Hasard il y a dans les conditions de la végétation du semis. Les capsules arriveront-elles à maturité ? Les graines seront-elles saines, germeront-elles ? Toutes les graines ne germeront pas, c’est certain, les plantules issues des graines ne donneront pas toutes un iris adulte et c’est bien le hasard qui fera que telle ou telle plante parviendra à la première floraison.

Un hasard encore plus insondable agira dans le mélange des gènes des deux iris parents. Le choix des parents influe, bien entendu, sur les résultats, mais l’hybrideur ne maîtrise pas, loin s'en faut, tout ce qui entre dans les associations de gènes. Depuis qu’on pratique sérieusement l’hybridation, il y a plus d’une vingtaine de générations qui se sont succédées et bien malin serait celui qui pourrait dire le nom de toutes les variétés qui ont été mêlées. Sans parler des espèces initiales qui ont été brassées, croisées et recroisées d’une façon aujourd’hui inextricable. Les lois de Mendel ne sont pas bafouées, mais leur application comporte tellement de paramètres qu'on est bien obligé d'accepté l'intervention du hasard.
Même dans ce qui semble le plus réfléchi des gestes le hasard se réserve une part. Le choix a été fait de la plante mère, celle qui va être fécondée, de même pour la plante qui fournira le pollen. Mais quel grain de ce pollen, par exemple, parmi tous ceux que l’hybrideur aura déposé sur le stigmate, parviendra à féconder la plante réceptrice ?

Le hasard interviendra encore au stade suivant, quand l’hybrideur devra faire un choix parmi ses jeunes semis pour ne conserver que ceux qu’il considérera comme le ou les meilleurs. A ce stade le hasard se double d'un sentiment de paternité et il faut une sacrée dose de courage (ou d’indifférence !) pour arracher un semis qui semble ne pas être parfait. La sélection n’est pas naturelle à qui se prend pour le père !

 L’hybrideur est bien décidé à aller jusqu'au bout de son projet (ou de son rêve!) et il n’entend pas faire cesser le phénomène qu’il a mis en œuvre, mais pas plus que l'apprenti-sorcier qui déclenche involontairement une catastrophe, il n’aura dans la main les conséquences de son geste. Néanmoins cette accumulation de hasards aboutira a quelque chose qui aura été voulu et qui correspondra en tout ou partie au projet initial. L’hybrideur aura obtenu quelque chose qui ne sera pas forcément l’exact reflet de ce à quoi il avait rêvé, mais qui correspondra grosso modo à ce qu’il espérait. En cela on peut dire que le hasard fait bien les choses !

 Illustrations :
frères de semis, cependant fort différents :

 'Amorous Heart' = semis Q2-7 (B. Blyth, 2010) 'Decadence' X 'Royal Sterling' 

'Just Witchery' = semis Q2-2 (B. Blyth, 2011) 'Decadence' X 'Royal Sterling' 


'Bouschet' = semis L96-07F (B. Laporte, 2006) 'Forge Fire' X 'Rive Gauche' 


« Soleriana » = semis L96-07G (B. Laporte, 2005) 'Forge Fire' X 'Rive Gauche'

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