En fonction de leurs goûts personnels et des tendances du marché, les obtenteurs d'iris qui entendent faire le commerce de leurs réalisations choisissent un domaine dans lequel ils vont se spécialiser. Mais ce choix n'est pas toujours couronné de succès. Au cours des dernières décennies plusieurs sujets de recherches ont été abordés ; certains ont débouché sur des progrès remarquables en matière d'horticulture, mais quelques autres se sont montrés ingrats envers leurs promoteurs. Ce sont ceux-la que nous allons explorer aujourd'hui.
Quand peut-on parler d'échec ? Il me semble que cela se produit quand une innovation n'aboutit à rien ou que son promoteur ne donne pas suite, soit que l'expérience ne donne rien d'intéressant, soit que le succès commercial n'ait pas lieu. En matière d'iris, heureusement, ces circonstances sont exceptionnelles. A bien chercher je n'en vois d'ailleurs qu'un seul. C'est celui de l'iris rouge. Entendons-nous bien, il s'agit du rouge total du rouge « pompier ».
Dans les années 2000 plusieurs hybrideurs ont été tentés par l'idée d'un iris vraiment rouge. C'eût été une grande révolution ! Trois obtenteurs au moins ont lancé des recherches, dans trois directions différentes, mais sans plus de résultats. Le premier – et le plus audacieux – a été Richard Ernst, hybrideur talentueux mais brouillon et pour cela mal aimé des juges américains qui ne lui ont accordé leurs suffrages que de manière parcimonieuse. La recherche qu'il a entreprise, avec le concours de l’Université de l’Etat d’Oregon, a commencé par l’analyse complète de l’ADN d’un iris. La pigmentation de douzaines de variétés a été analysée et des cultures de tissu « in vitro » ont été réalisées. Il a fallu douze années de recherche pour découvrir et sélectionner ce qui devait être les bons gènes rouges avant que ne commence le processus de transformation, processus qui a été couvert par un brevet et devait déboucher sur une plante nouvelle dont la première floraison était attendue pour le printemps 2005. Ce scoop annoncé par Ernst lui-même n'a été qu'un flop monumental car on n'a plus jamais entendu parler de l'affaire ! Donald Spoon, de son côté a axé sa recherche sur une voie traditionnelle. Il est parti de la constatation que certains irisqu’il a obtenus, comme ‘My Ginny’ (2002), présentaient des barbes absolument rouges. Un rouge coquelicot provenant d’une forte concentration de lycopène, le pigment qui fait que les tomates sont rouges. Il en a déduit que ce pigment, lorsqu’il est présent dans une fleur d’iris, peut se trouver concentré à l’extrême dans les barbes, mais ne peut pas se développer de la même façon dans les pétales et sépales parce qu’il est bloqué par un gène particulier qu’il suffirait d’identifier et d’éliminer. C'est une hypothèse qui n’est pas vérifiée scientifiquement. On reste dans le domaine du possible, voire du probable, mais pas du certain. D'ailleurs les espoirs de Don Spoon sont restés sans suite, du moins jusqu'à ce jour... Quant à Neil Mogensen, il a expliqué que la couleur rouge pure, qui est produite par la pélargonidine (pigment présent dans les géraniums) fait partie de la même série que la delphinidine (pigment qui colore en bleu les delphiniums …et les iris). Ces deux pigments, ainsi que beaucoup d’autres, sont des éléments de la grande famille des pigments anthocyaniques comportant plus ou moins de radicaux OH. Mogensen en déduit que pour obtenir de la pélargonidine au lieu de la delphinidine, il suffirait de réussir à retirer deux des radicaux OH de cette dernière. Mais il ne dit pas comment faire ! Ni comment retirer les autres pigments qui pourraient venir perturber son mécanisme. Son décès prématuré n'a pas permis la poursuite de son expérience... Après ce triple fiasco, n'est-il pas justifié de parler d'échec dans la recherche de l'iris rouge ? A vrai dire, si l'on ne peut pas parler de véritable iris écarlate, les astuces déployées par les hybrideurs pour se rapprocher de cette couleur si convoitée font que les derniers développements en la matière ne sont pas loin du résultat escompté. Mais parviendrons-nous un jour au rouge parfait ? J'en doute tout de même.
On peut également parler d'échec à propos des iris à fleurs doubles (en latin botanique on dit « flore pleno »). Personne en vérité n'a osé parler de fleurs doubles en ce qui concerne les iris, mais tout de même un des buts plus ou moins avoués des iris à éperons qu'on nomme aussi « space age » était de tendre vers ce résultat. Et si le but avait été atteint on aurait connu une véritable révolution! Sur les roses, ce sont les étamines qui se transforment en pétales et qui donnent naissance aux fleurs doubles. Mais cette mutation n'est pas jouable chez les iris où les étamines sont seulement au nombre de trois, ce qui est bien insuffisant pour donner l'apparence de fleurs doubles. Un espoir est venu d'ailleurs. Au début des années 1960, lorsque Lloyd Austin, en Californie, a eu l'idée d'exploiter les excroissances situées à l'extrémité des barbes de certaines variétés jusque là rejetées comme des monstruosités. Quand d'autres obtenteurs se sont aperçu que ces iris avaient du succès commercialement, ils ont cessé de les considérer comme des anomalies à rejeter et en ont sélectionné et mis sur le marché. Même si, souvent, ils n'étaient pas très fiers de ce qu'ils proposaient. Il faut dire que certains éperons passablement extravagants n'étaient pas des modèles d'élégance et de bon goût. Surtout, lorsqu'ils prenaient une grande ampleur, ils avaient alors le défaut de provoquer un effondrement des sépales, lesquels pendaient lamentablement de chaque côté de barbes prolongées de façon disproportionnée. Ce n' était donc pas bien joli, cependant, comme l'a écrit Ben Hager : « Des éperons bien formés peuvent conférer à la fleur une sorte de gaîté communicative... » Surtout, l'espoir est né qu'en développant astucieusement ces éperons, on pouvait peut-être aboutir à des fleurs ayant l'apparence de fleurs doubles. Cet espoir s'est encore accru quand de véritables petits pompons sont apparus au lieu et place des éperons pointus. Mais cela s'est produit il y a cinq ou six ans et depuis aucune amélioration significative n'est apparue... Certes on peut encore espérer mais la probabilité d'un progrès s'annonce vraiment faible. Second raté, donc, même si peu à peu les éperons disgracieux ont disparu pour ne laisser dans les catalogues que des iris modérément pourvus, avec des formes ajoutant quelque chose d'attrayant au cœur de nos chères fleurs. Aujourd'hui les iris « space age » nouveaux ont trouvé une certaine sagesse qui assure leur pérennité. Ils n'encombrent certes pas les catalogues mais continuent d'y être présents. Ce qui signifie que l'innovation s'est tournée vers autre chose, et que le destin des iris à éperons n'est peut-être pas à classer parmi les échecs mais simplement parmi les semi-réussites.
En dehors des deux cas précédents, il existe plusieurs tentatives de nouveautés dans les fleurs d'iris qui ont semblé intéressantes mais qui à l'expérience se sont montrées décevantes. Je veux parler des fleurs aux couleurs rubanées (autrement appelées « broken color ») et des fleurs remontantes. Les amateurs de ces plantes vont sans doute crier au scandale ! Je vais cependant exposer pourquoi je considère qu'il s'agit de résultats en demi-teinte comme on dit dans les journaux quand on ne veut froisser personne.
Quelle que soit notre réticence lexicale, il faut bien adopter ce qu'on nous impose et parler de « broken color » pour désigner ces fleurs sur lesquelles deux voire trois couleurs s'amalgament de façon aléatoire. Un peu comme lorsqu'on verse un colorant dans un pot de peinture et que l'on commence le mélange. Pendant longtemps, les iris qui présentaient la physionomie de ce qu'on appelle maintenant les « broken color » ont été rejetés comme des anomalies bonnes pour le compost. Ce n'est qu'aux confins des années 1970 qu'on a commencé à s'intéresser à eux sérieusement. C'est Allan Ensminger qui en a été le promoteur. Vint ensuite le règne de Brad Kasperek, lequel n’est pas parti du néant. Il a tout simplement utilisé les variétés d’Ensminger pour commencer sa nouvelle lignée. Dès le début, ses iris ont été remarqués, non seulement pour leurs noms qui surfent sur des jeux de mots que l'on n'est pas obligé d'apprécier, mais surtout pour leurs qualités et l’originalité de leurs coloris. Ces iris ne peuvent pas passer inaperçus et quelques autres obtenteurs à se lancer dans l'aventure. Ces iris proviennent de plicatas chez qui les couleurs ne sont plus régulièrement réparties. Mais s'il n'est pas théoriquement difficile d'obtenir cette répartition aléatoire, il s'avère qu'il y a beaucoup de déchet dans les semis de « broken colors ». C’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup d’iris de petite taille (BB) dans la catégorie. C'est un inconvénient, mais le risque pour nos jardins est plutôt de voir apparaître des plantes d'esthétique discutable. C'est peut-être pour cela que certains hybrideurs font état de scrupules quant à l'intérêt de banaliser ces anomalies génétiques. Je ne sais pas si leurs craintes sont justifiées, mais je serais tenté de considérer ces iris seulement comme des curiosités dont il n'est pas souhaitable d'accroître indéfiniment le nombre. N'est-ce pas déjà un peu le cas ? Il me semble que l'engouement par ces iris bizarres va actuellement en s'apaisant. Par ailleurs je constate que les juges américains ne manifestent pas un intérêt majeur pour eux puisque ceux qui sont parvenus sur les podiums sont toujours aussi peu nombreux. Alors ? Demi-échec ou demi-réussite ?
Et qu'en est-il des iris remontants ? La saison des iris est si courte que depuis longtemps on bataille pour découvrir des variétés à la floraison renouvelée plusieurs fois au cours de l'année. Les frères Sass ont été les premiers, dans les années 1920, à s'intéresser à la question. Après eux plusieurs hybrideurs de renom se sont spécialisés sur les remontants, mais il faut surtout attendre le travail de Lloyd Zurbrigg dans les années 1970/80 pour assister à de réels progrès. L'affaire n'était pas mince car plusieurs problèmes majeurs étaient à résoudre : à propos de la plante elle-même, d'une part, à cause de l'insuffisance de la matière des tépales, accompagnée de l'étroitesse des épaules et du manque de rigidité des tiges ; à propos de la remontance d'autre part qui était restée capricieuse et ne se produisait que sous les climats doux et humides. Zurbrigg a fait faire de réels progrès aux remontants, mais sans résorber totalement leurs défauts. Betty Wilkerson, autre spécialiste de qualité, s'était promis d'aboutir à un progrès palpable. Elle avait conscience des faiblesses récurrentes des remontants et elle s'acharnait contre. Son premier objectif était d'obtenir des iris dont la remontance serait fiable et constante. Elle était en voie de réussir sur ce point, mais sa disparition précoce a stoppé brutalement son travail. Quelques autres hybrideurs ont également relevé le défi, notamment sur le plan de la beauté des fleurs, mais beaucoup continuent de penser que les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux. Un homme, Mike Lockatell, se bagarre depuis toujours pour des remontants en tous points comparables aux iris à floraison unique. Il est cependant obligé de constater que les iris remontants intéressent de moins en moins les hybrideurs, et il attribue cette perte d'intérêt au fait que les progrès tardent à apparaître. « Après beaucoup d'optimisme au cours de la dernière partie du XXe siècle, écrit-il, les avancées dans le développement des iris remontants semblent toujours aussi rares ». A son vis, quelque peu lassés, les plus ardents chercheurs sont devenus bien discrets et à l'heure actuelle on constate une nette perte d'intérêt pour la question. On ne peut donc pas parler d'échec en cette matière, mais on ne peut pas non plus crier victoire. Il faut se contenter de garder l'espoir car on remarque tellement de progrès dans beaucoup de domaines de l'horticulture des iris que les chances de voir un jour prochain des remontants enthousiasmants ne peut pas être rejetée.
Le chemin vers quelque chose de franchement nouveau en matière d'iris n'est pas toujours jonché de roses. Les exemples ci-dessus montrent des cas d'échecs ou tout au moins de semi-réussites. En revanche il existe bien des cas où les efforts des obtenteurs aboutissent à du concret et de l'enthousiasmant. Et ce qui est encourageant c'est que quoi qu'on dise les progrès ne cessent jamais.
Illustrations :
'My Ginny' (pour sa barbe rouge) ;
Fleur d'iris à pompons
'Kinkajou Shrew' (bel exemple de « broken color »)
'Lichen' (un vrai remontant)
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