Il faut remonter aux années 1980 pour comprendre les évolutions qui ont abouti à certaines initiatives de la SFIB qui ne sont pas vues du même œil par tout le monde. A ce moment, alerté par certains de ses membres, le staff de la SFIB s’est interrogé sur les services que l’association pouvait rendre à ses adhérents, qui justifient le paiement d’une cotisation. Les voyages organisés, très en vogue au cours des décennies précédentes, devenaient de moins en moins attractifs, parce que chers et par conséquent réservés à un petit nombre de retraités aisés. Même chose pour les visites de jardins. Alors ?
L’idée a été de faciliter les échanges de rhizomes entre membres, par le biais du bulletin, qui paraissait alors trimestriellement et rencontrait un certain succès car, à l’époque, Internet n’existait pas encore. Ce projet a été accueilli avec circonspection par les dirigeants de l’association. En effet ces derniers étaient très liés aux producteurs (les Bourdillon, Cayeux ou Ransom payaient leur cotisation et assistaient aux Assemblées Générales), ils avaient donc le souci de ne rien faire qui puisse être préjudiciable à ces importants adhérents. Néanmoins quelques échanges ont eu lieu, mais ils n’ont jamais pris une réelle ampleur, faute d’être gérés par l’association.
L’arrivée d’Internet a tout changé. Les collectionneurs ont commencé à correspondre et à discuter. L’idée d’échanger des rhizomes est très vite venue car c’est une façon gratuite et rapide d’accroître sa collection. Mais elle a pour corollaire la nécessité d’avoir quelque chose à échanger et, entre deux collectionneurs on a vite fait de ne plus rien pouvoir proposer si l’on n’a pas enrichi autrement sa collection (par des achats, notamment). D’où l’autre idée : constituer un groupe aussi nombreux que possible, dont les membres se communiquent les listes des variétés échangeables et s’organisent pour réaliser des échanges multiples. Le nombre des variétés proposées à l’échange s’accroît donc considérablement mais l’affaire devient complexe à gérer. En demandant à la SFIB de coordonner les échanges ses adhérents ont mis l’association au pied du mur : elle ne se mêle pas de cette affaire, et ses adhérents ne voient pas pourquoi ils continueraient de cotiser puisque l’on ne leur apporte rien de concret ; elle centralise et coordonne les échanges, et se met à dos les professionnels vers qui les collectionneurs se tourneront moins pour de nouveaux achats. Pour survivre la SFIB a donc été pratiquement obligée d’administrer les échanges… Les producteurs professionnels ont réagi de deux façons différentes : certains ont adhéré au système car ils y ont vu la possibilité de renouveler leur offre en se procurant gratuitement des variétés qu’ils vont ensuite mettre en vente ; d’autres ont raidi leur attitude et tenté de freiner cette concurrence en demandant que les variétés encore présentes dans leurs catalogues soient retirées des échanges. Peine perdue, car rien ne peut empêcher les gens de s’aboucher en direct pour compléter les listes expurgées…
Les collectionneurs qui désiraient acquérir vite des variétés américaines ou australiennes, se sont rendu compte qu’ils avaient intérêt à se fournir à la source, sans attendre les importations par les producteurs nationaux et les choix nécessairement restreints de ceux-ci. Ils ont utilisé les facilités offertes par le e-commerce, mais ils se sont aussi aperçu qu’en agissant individuellement, ils multipliaient les frais et les risques. En se regroupant ils s’entraidaient et limitaient leurs dépenses. Ils ont donc demandé à la SFIB, sur le modèle des échanges, de collectiviser leurs commandes à l’étranger. La SFIB est donc de nouveau intervenue. Elle leur a offert un service de commande, difficile à gérer mais très efficace. Si efficace même que, profitant de la multiplication des obtentions en Europe et de la commodité des achats dans l’Union Européenne, les commandes se sont aussi tournées vers les producteurs des pays voisins, d’autant plus que ceux-ci proposaient des variétés attrayantes vendues à des prix modestes. Les producteurs français ont accusé le coup. La clientèle des collectionneurs leur échappait par une autre voie. Comment pouvaient-ils réagir ? Cela s’est passé de la même manière que pour les échanges. Il en est qui ont pensé tirer, adroitement, avantage de ce qui semblait les desservir et, adhérent au système, ont commandé des variétés nouvelles et originales aptes à rajeunir leurs catalogues. Il en est aussi qui se sont sentis trahis : ceux, en particulier, qui ne vendent que leurs propres obtentions et sont directement menacés dans leur activité si les collectionneurs se détournent de leurs variétés. Le danger est-il réel ?
Ceux qui pratiquent les échanges ou les achats groupés ne sont en réalité qu’une ou deux douzaines, et il est certain qu’ils ne peuvent pas trouver dans le commerce traditionnel le choix et la réactivité qu’ils recherchent. Le marché s’est mondialisé avec l’avènement de l’informatique et les producteurs traditionnels doivent faire une croix sur la frange des acharnés de la nouveauté. En revanche, il leur faut agir avec beaucoup de pugnacité vers les acheteurs moins exigeants mais bien plus nombreux et générateurs d’un autre chiffre d’affaire. Et s’ils sont également obtenteurs, ils peuvent espérer vendre leurs produits personnels aux fanatiques de la nouveauté, notamment s’ils ont la réputation de ne proposer que des iris de qualité. Les producteurs historiques, lorsque jusqu’à présent ils n’étaient pas, ou plus, obtenteurs ont bien compris qu’il leur fallait offrir des variétés maison pour conserver la clientèle des collectionneurs. Ils se sont donc mis à l’hybridation et commencent à enregistrer leurs premiers cultivars.
Le monde des iris est confronté aux mêmes difficultés que le monde tout court. Il s’est heurté aux changements suscités par la révolution Internet et s’y est plus ou moins bien adapté. Espérons que les acteurs français de ce monde y trouveront chacun leur place.
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