Ce qui est dommage, avec les iris, c'est la brièveté de leur floraison. C'est un fait qui a toujours fait enrager ceux qui se passionnent pour ces plantes et qui a poussé les plus entreprenants à faire des recherches – et des travaux – en vue de prolonger, ou de renouveler cette floraison. Régulièrement les différentes publications iridophiles américaines publient des textes relatant les expériences de quelques-uns de ceux qui ont fait le plus d'efforts pour obtenir des iris remontants. Mike Lockatell, irisarien habitant en Virginie, dans les numéros de printemps 2014 de « Roots », le bulletin de la HIPS et de « Irises » le magazine de l'AIS revient sur cette question, ce qui m'a donné l'idée de faire le tour de la question à l'intention des lecteurs de «Irisenligne ».
La recherche de la remontance ne date pas d'aujourd'hui. On peut même dire qu'elle a occupé de nombreux hybrideurs tout au long du XXe siècle. Comme dans bien des domaines elle a été menée, au début, de façon assez empirique et cela n'est que depuis les années 1980 qu'elle a pris un caractère nettement plus scientifique. Pour confirmer ce propos, il suffit de lire ce que disait en 1959 Raymond G. Smith, un distingué spécialiste de la question : « La tendance à remonter est déclenchée par un mélange complexe de phénomènes ayant à faire avec le taux de maturation du rhizome, la vigueur de la plante, son état de santé et sa résistance aux maladies, son aptitude à utiliser l'eau et les nutriments, l'absence de dormance estivale et de caducité des feuilles, et probablement à un certain nombre d'autres facteurs. » Cette énumération résume bien le problème, mais elle ne l'explique pas et se contente d'être un relevé de constatations. Dans cette affaire les irisariens se comportent comme ils l'ont toujours fait, dans les autres domaines de recherche : ils travaillent de manière empirique, tâtonnent, tirent les conclusions de ce qu'ils constatent et progressent par petits pas, c'est leur méthode expérimentale. Ce qui leur manque c'est un appui scientifique, biologique en particulier. C'est toute la difficulté de leur travail.
Après plus de 70 ans de labeur, la connaissance du phénomène a tout de même progressé. On a compris que la remontance était d'origine génique, que le ou les gènes en cause étaient récessifs, c'est à dire que les deux parents doivent porter le gène pour que celui-ci intervienne, que des circonstances multiples devaient se manifester pour favoriser ou empêcher en partie ou en totalité son action. On sait, notamment grâce aux travaux de Tom Silvers, obtenteur du Maryland, sur les iris nains diploïdes, que l'espèce I. cengialtii est porteuse du gène de la remontance. Dès les années 1940 un précurseur, George Percy Brown, avait pressenti cette présence et utilisé le petit 'Gracchus' (Ware, 1884) qui s'est révélé être un hybride de I. cengialtii. Son catalogue n'est pas énorme, mais il ne contient que des remontants dont le plus connus, chez nous, doit être le jaune 'Fall Primrose' (1953). Par ailleurs un hybrideur de l'Oregon, Jim Craig, faisait état dès 2001 de sa conviction que I. aphylla, entre autres aptitudes, possédait celle d'accroître la capacité à remonter, et R.G. Smith, cité plus haut, avait acquis la présomption que ce gène était aussi présent dans plusieurs autres espèces comme I. mellita ou I. variegata.
Ce Raymond G. Smith fut un obtenteur bien connu dont plusieurs variétés ont traversé l'Atlantique et se trouvent encore dans nos jardins : 'Brown Duet' (1970), 'Purple Duet' (1965), 'Replicata' (1964), 'Returning Glory' (1971), 'Summer Olympics' (1976)...
L'un de ceux qui a le plus contribué à la connaissance du phénomène de remontance est Lloyd Zurbrigg. Celui-ci a commencé dès 1963 à s'intéresser aux iris remontants et il y a consacré l'intégralité de sa vie d'hybrideur, c'est à dire plus de cinquante ans. Il a essayé toutes les combinaisons possibles, croisant les variétés en fonction de ce qu'il savait de leurs origines et de leur capacité à remonter. Depuis son premier enregistrement 'Grand Baroque' (1963), jusqu'à 'Gate of Heaven' (2004) en passant par 'I do' (1974), 'Violet Miracle' (1979) et 'Clarence' (1991), il n' a obtenu que des iris remontants. Son titre de gloire les plus évident est, à mon avis, d'être parvenu à obtenir des iris remontants qui, passant des fleurs molles et fragiles du début, ont atteint les qualités horticoles (vigueur, résistance aux intempéries) des variétés non-remontantes, même si l'acquisition de ces critères s'est faite au détriment de la remontance elle-même.
Mais il ne faut pas oublier les excellents remontants obtenu par Monty Byers aux cours de sa trop brève carrière, dans les années 1980/1990. Je considère pour ma part que 'Lichen' (Byers, 1989) est pratiquement un remontant perpétuel, « semper florens » comme on dit en jargon botanique. D'autres obtentions se situent dans la même sphère : 'Blatant' (1990), 'Cantina' (1990) et surtout 'St Petersburg' (1990). C'est sans doute l'hybrideur qui a obtenu les résultats les plus probants de ce côté-là.
C'est cette permanence de la floraison, du printemps aux gelées, qui est particulièrement recherchée par les obtenteurs qui travaillent sur la remontance, car il ne faut pas oublier que les remontants de la première génération (et encore beaucoup de remontants modernes) ne font une nouvelle floraison qu'une fois, en automne. Mais il faut bien dire qu'ils n'ont pas encore réalisé leur rêve : un iris totalement fiable et apte à remonter sous toutes les latitudes et dans tous les climats. Aucun n'est parvenu à maîtriser la multiplicité des éléments entrant en ligne de compte. Le déclenchement de la remontée est donc capricieux, voire aléatoire, même pour les variétés les plus significatives.
C'est sans doute pourquoi, depuis quelques années , comme l'écrit Mike Lokatell, « Après beaucoup d'optimisme au cours de la dernière partie du XXe siècle, les avancées dans développement des iris remontants semblent toujours aussi rares ». Quelque peu lassés, les plus ardents chercheurs sont devenus bien discrets et à l'heure actuelle on constate un net désintérêt pour la question. Mike Lokatell lui-même, fidèle disciple de Lloyd Zurbrigg, avoue son désarroi : « Qui sera le successeur des Percy Brown, Raymond Smith ou Lloyd Zurbrigg ? » Interroge-t-il dans sa conclusion de son article dans le dernier « Irises ». Il y a encore des chapitres à écrire à cette histoire.
Illustrations :
'Returning Glory'
'I Do'
'Gate of Heaven'
'Lichen'
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