Cela va faire deux ans que j'ai fait don de ma collection d'iris. La plus grande partie a été cédée à la commune de Champigny sur Veude, village tourangeau au riche patrimoine historique, qui en a fait son ornement principal et le sujet d'un projet de développement touristique. Le reste (essentiellement des doublons de la collection principale) a été pris par la commune où j'habite, Beaumont en Véron, autre village tourangeau, plus important que le précédent et donc doté de moyens financiers et humains plus étendus, qui le soigne et l'utilise dans un but pédagogique puisqu'une partie de l'entretien est effectuée par les enfants de l'école primaire. Dans les deux cas c'est une destinée intéressante et utile, dont je me réjouis. J'espère que cette collection, qui ne concerne qu'environ trois cents variétés, sera ainsi pérennisée. Mais des difficultés sont apparues. Surtout à Champigny qui en a confié l'entretien et l'extension à une association de bénévoles. Dès la première année le désherbage à donné bien du souci car si la plantation et les soins en période de floraison attirent des bonnes volontés, il n'en est pas de même pour l'ingrate tâche de l'entretien de fond... Cette année l'engagement des bénévoles a été plus soutenu et le désherbage de printemps a été presque parfait. Qu'en sera-t-il dans le futur ?
En dehors de cela, je constate que mes iris me manquent ! J'en ai fait l'abandon pour une bonne raison : le travail devenait au-dessus de mes forces ! Je n'avais plus le courage de passer des journées entières accroupi à retirer les plantes adventices et ma colonne vertébrale ne supportait plus cet exercice. De plus mon jardin est relativement petit et l'espace pour déplacer régulièrement les touffes parvenues à la limite de vieillissement manquait véritablement. Mais quand même...
Voici le printemps revenu et mes visites à l'ancienne iriseraie sont sources de réflexions nostalgiques. Je connaissais l'emplacement de chaque variété ; je veillais sur chacune comme on surveille l'évolution et l'éducation d'un enfant. Les plantations nouvelles suscitaient chaque année une vive excitation, la surveillance des éventuelles maladies provoquait des angoisses certaines, la multiplication des variétés en place était examinée minutieusement et même les travaux ingrats étaient source d'une certaine forme de satisfaction. J'en viens à rêver de l'iriseraie d'un collectionneur fortuné, où je n'aurais qu'à surveiller l'exécution des travaux et à jouir de la splendeur printanière de la floraison...
Les iris sont terriblement addictifs. Tous ceux qui se passionnent pour eux n'ont qu'un mot pour exprimer l'attraction qu'ils ont subie : « J'ai été accroché (en anglais : I was hooked) ». Ils pourraient dire aussi « J'ai été ensorcelé », c'est pourquoi le nom de 'Mesmerizer' est spécialement adéquat. En ce qui me concerne l'ensorcèlement est venu d'un catalogue en couleur, avec plein de photos splendides, mais aussi, plus humblement, de quelques touffes d'iris sauvages, fleurissant dès le mois de février, sur le coteau exposé au midi qui contribue au pittoresque de ma petite ville de Chinon. Un peu comme le Petit Chaperon Rouge du conte, j'allais régulièrement rendre visite et porter quelque gâterie à ma grand-mère qui demeurait dans une habitation troglodytique sur ce coteau. Je passais de préférence par un petit sentier qui grimpait en pente raide en tortillant autour des jardins où les touffes d'iris s'étalaient à foison dès les premiers ensoleillements de la fin de l'hiver. A cette époque, nous allions chaque printemps, aux alentours de la Pentecôte, rendre visite à mon autre grand-mère, en Limousin. Il y avait là-bas une énorme maison de village, agrémentée côté sud d'un vaste jardin prolongé par un parc arboré dessiné et planté par mon grand père. C'était une propriété idyllique, où j'étais heureux de me retrouver, d'autant plus qu'au printemps le jardin regorgeait d'iris pallida, bleu tendre, si délicieusement parfumés (et à côté de ces fleurs charmantes on trouvait en abondance des fraises des bois, autre parfum inoubliable).
Les iris « germanica » du coteau de Chinon et les iris pallida du jardin de Nantiat m'avaient en quelque sorte prédisposé à l'addiction qui devait m'atteindre bien des années plus tard, et dont je ne suis toujours pas guéri. Dès que le climat s'adoucit et que les jours s'allongent, le besoin d'iris se fait de plus en plus prégnant. Il me saisit le jour et me poursuit la nuit. Maintenant ce besoin est devenu plus immatériel, mais il est bien là. Je réserve aux quelques variétés que j'ai conservées toute mon attention et tous mes soins et quand, comme l'an dernier où le premier semestre a été l'un des plus exécrables que j'ai connu, un rhizome vient à périr de la terrible pourriture bactérienne, j'en suis profondément navré. J'aurais tendance, si je ne me retenais pas, à reconstituer une nouvelle collection. Mais non, il ne faut pas. Même si mon jardin est ma raison d'être, ma raison tout court me retient.
Iconographie :
'Mesmerizer'
'Wizard of Odds'
semis Boris – disparu chez moi pour cause de pourriture
semis Zeh – disparu chez moi pour cause de pourriture
Voici un article profondément déprimant pour moi qui suis à l'aube de cet âge avancé qu'on appelle la vieillesse... Passionné d'iris, de roses, de fleurs et d'animaux, je redoute ce moment où je devrai tirer un trait sur mes passions qui m'apportent tant de plaisirs et de joie de vivre, à chaque nouveau printemps, à chaque nouvelle floraison...
RépondreSupprimerTrès joli texte qui m'interpelle déjà car, bien que "jeune" de 61 ans, je suis en réalité dans un "sale état" et rencontre les mêmes sentiments et réflexions profondes .... J'aurais voulu pouvoir me lancer dans l'hybridation, mais seule et incapable de fournir beaucoup d'efforts physiques, cela me parait bien compromis ....Difficile d'être "vieux" à 60 ans ! Amitiés Sylvain.
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