30.6.17

L'HABIT ET LE MOINE

Il y a quelques semaines, je lisais avec plaisir et attention l'une des interventions didactiques de Keith Keppel sur Facebook. Il s'exprime toujours avec simplicité, mais ce qu'il dit est la preuve d'un sérieux manifeste et d'une expérience à toute épreuve. Photo à l'appui il parlait d'une variété aux couleurs exceptionnelles mais qu'il avait rejetée parce que la fleur manquait de modernité, en particulier il lui reprochait des sépales trop étroits à la base. Cette réflexion m'a amené à m'interroger sur les qualités qu'il faut trouver dans un iris d'aujourd'hui.

Dans les concours internationaux on remet aux juges un guide de notation dont les rubriques ne changent pas : le temps passe, mais les critères de sélection restent les mêmes, ce qui évolue c'est la manière dont on interprète ces critères. Comme toutes les créations humaines, les iris respectent évidemment une mode. Et celle-ci intervient dans la valeur que l'on donne aux différents items du questionnaire remis aux juges. Par exemple, dans les années 1920/1930 le fait que les sépales, entrainés par leur propre poids, aient tendance à s'affaisser, n'était pas considéré comme un vice ou une malformation. On ne le supporterait plus aujourd'hui. Parce que les hybrideurs, sensibles à l'élégance de leurs obtentions, ont cherché à ce que les sépales conservent le plus longtemps possible une rigidité qui leur confère un port voisin de l'horizontalité. Ils ont agi d'une part sur la matière des sépales, d'autre part sur l'élargissement rapide de la base et sur le chevauchement des épaules. Des sépales charnus se tiennent plus longuement ; des bases larges, associées à l’entraide des sépales entre eux lorsqu'ils se chevauchent, maintient l'ensemble en position proche de l'horizontale, ce qui, de nos jours, est considéré comme une obligation. L'un des plus rigoureux (et des plus habiles) en ce domaine était Joseph Gatty, l'ami de Keith Keppel. Ce dernier a suivi l'exemple de son associé et fait très attention à la tectonique des sépales.

Mais là n'est ps la seule différence entre ce qui était normal il y a quelques dizaines d'années et ce qui est la règle aujourd'hui. Autre exemple : le parfum. Quand j'ai commencé à m'intéresser aux iris, personne ne parlait de l'odeur de la fleur. Maintenant tous les descriptifs en font état, et dans un concours on hume chaque candidat ! Ce n'est pas, il est vrai, le critère principal, mais on y fait néanmoins très attention.

Encore des éléments auxquels Keith Keppel dans ses analyses fait régulièrement référence : le nombre des tiges latérales, leur disposition le long de la tige principale, et le nombre des boutons floraux. Ce sont des critères qui n'ont pas toujours été pris en considération, mais actuellement ils sont devenus primordiaux. Il est vrai qu'ils conditionnent la durée de la floraison. J'ai connu des variétés superbes mais dont l 'apparition au jardin était d'une brièveté frustrante ; j'en ai connu d'autres dont toutes les fleurs, groupées au sommet de la tige, entrainaient bien souvent la verse...

La substance des pièces florales, le parfum, le nombre et la disposition des boutons floraux, la durée des fleurs avant qu'elle ne fanent... Ce sont des choses dont il faut maintenant tenir compte. Certains obtenteurs ne font pas allusion à ces caractères chez les plantes qu'ils proposent, et l'acquéreur trop confiant ne se rend compte des défauts qu'à l'occasion des premières floraisons après son acquisition. C'est un risque que l'on prend lorsque l'on achète exclusivement sur le vu d'une image de catalogue ou de site Internet. La beauté d'une fleur en image, qui peut être retouchée comme celle d'un mannequin dans un magazine féminin, peut amener bien des déconvenues.

Quand on voit les fleurs apparemment magnifiques que Keith Keppel va jeter au compost, on peut se poser la question de la valeur horticole des variétés que l'on ne connaît que par l'image. Il en est ainsi de iris obtenus en Europe de l'Est ou dans les pays de la zone d'influence russe, que l'on n'a jamais rencontrés à l'Ouest. Ils sont nombreux (trop?), ils ont l'air jolis, mais comment se comportent-ils ? Ce doute est moins évident avec les produits des hybrideurs occidentaux ayant pignon sur rue et dont on connaît le sérieux depuis bien des années. Le risque existe cependant et les producteurs qui prennent la peine d'expérimenter leurs nouvelles acquisitions avant de les mettre à leurs catalogues peuvent en témoigner. Le besoin de présenter beaucoup de nouveautés peut conduire à négliger un peu cette mesure de prudence, malheureusement...

On peut cependant rester optimiste. Car la qualité n'est plus difficile à obtenir. Il y a tellement de plantes de qualité parmi les iris actuels que les hybrideurs ont plus de peine à choisir quels sont ceux qu'ils vont conserver qu'ils n'en ont à obtenir des plantes sans défauts. Cela nous vaut une surabondance de nouveautés chaque année. Mais si tant d'iris sont ainsi beaux et bons, cela veut-il dire que maintenant l'habit fait le moine ?

Iconographie : 

'Gogo Yveline' (Muska, 2002) : une variété « moderne » mais non exempte de défauts...

'Autumn Echo' (Gibson, 1973) : un iris à la floraison trop éphémère...

'Wizard of Odds' (P. Black, 2007) : des fleurs trops serrées contre la tige...

'Zelta Sirds' (L. Zakis, -Lituanie-, NR) :  est-il aussi bon qu'il est beau ?

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