4.3.11

ENTRE DEUX GUERRES






Les vingt années qui ont séparé les deux guerres mondiales ont été celles de l’apogée des iris en France. Le conflit de 1939 allait faire disparaître la production française pour une période durable, alors qu’aux Etats-Unis, l’absence d’un redoutable adversaire en Europe allait permettre un développement sans précédent de l’iridophilie chez nos alliés qui avaient à l’époque de moindres soucis que les nôtres. C’est donc de 1919 à 1938 que les iris français ont tenu le haut du pavé. Mais si tout le mode connaît les plantes obtenues par Ferdinand Cayeux, on néglige le plus souvent celles de ses concurrents. C’est de ces iris-là dont nous allons parler aujourd’hui.

A l’instar de ce qui s’est dit de certains maîtres de la Chine, plus d’un demi-siècle plus tard, on aurait pu parler de « la bande des quatre » en évoquant les hybrideurs contemporains de Ferdinand Cayeux. Ils étaient quatre en effet, d’un certain renom : Auguste Nonin, Lionel Millet (dernier représentant de la famille d’horticulteurs dont l’ancêtre était Armand Millet), Fernand Denis et la famille de Vilmorin.

Auguste Nonin, de Chatillon sous Bagneux, était beaucoup plus connu pour ses chrysanthèmes et surtout ses roses. ‘Madame Auguste Nonin’ est un rosier que l’on trouve encore aujourd’hui. Mais il avait aussi un intérêt pour les iris (il a fait partie de la Commission des Iris, en 1926) et quelques-unes de ses obtentions ont été remarquées, comme ‘Marie-Louise’, (1918), mauve, ‘Candeur’ (1933), blanc comme son nom le laisse à penser, ou ‘Fraîcheur’ (1933), plicata magenta clair sur fond blanc.

Fernand Denis était installé à Balaruc les Bains, près de Sète. Il précédait donc géographiquement, en quelque sorte, le Docteur Ségui. Son mérite majeur a été d’utiliser les grands iris du sud de la Turquie, tétraploïdes, pour renouveler le panel génétique des hybrides. A ce titre ses obtentions ont eu une importance considérable dans le développement de l’hybridation. Ses sujets de gloire s’appellent ‘Madame Chobaut’ (1916), plicata amarante, ‘Ochracea Cerulaea’ ‘1919), ancêtre d’une catégorie de variegatas (jaune/mauve), ‘Andrée Autissier’ (1921) mauve pâle, ‘Mademoiselle Schwartz’ (1916) couleur de lin, et ‘Blanc-Bleuté’ (1922) qui eut un rôle éminent en hybridation puisque le fameux ‘Missouri’ (Grinter, 1932 – DM 1937) est son descendant à la deuxième génération. Dans les années 20, Fernand Denis était déjà assez âgé et le pic de sa production était passé. Il s’est retiré sur la Côte d’Azur et sa vie s’est terminée en 1935…

Les Millet constituent une dynastie d’hybrideurs qui a débuté avec Armand, lequel a été suivi d’Alexandre, à qui a succédé Lionel. C’est celui-ci qui gérait l’entreprise pendant l’entre deux guerres et qui, chassé par l’urbanisation de la région parisienne, a transporté sa pépinière à Amilly, près de Montargis. Un peu comme les Cayeux ont été obligés de faire en se déplaçant de Vitry à Poilly lès Giens. C’est aussitôt après la guerre de 1870 que l’entreprise Millet a atteint son développement maximal, mais après la guerre de 14 c’était encore une affaire incontournable, dont les cultivars retenaient chaque année l’attention des amateurs. Le fameux ‘Souvenir de Madame Gaudicheau’ date de 1914 et se place donc en dehors de la période à laquelle on s’intéresse, mais bien d’autres variétés méritent d’être citées. ‘Romeo’ (1922) est décrit comme « iris à petites fleurs, sur des tiges hautes et solides. Les pétales sont d’un beau jaune citron ; les sépales mauves sont veinés de rouge violacé dans la gorge et le haut, blanc, est marqué de traits acajou. » ‘Germaine Perthuis’ (1924) est une autre obtention de qualité, tout comme le bleu ciel ‘Souvenir de Laetitia Michaud’ (1923) ou ‘La Bohémienne ‘ (1926). L’une des dernières variétés mises sur le marché se nomme ‘Mary Senni’ (1930), en hommage à la grande amie italienne des iris.

Cependant les plus rudes concurrents de Ferdinand Cayeux ont été, pendant toute cette période comme avant la guerre de 14, les Etablissements Vilmorin-Andrieux, seigneurs de Verrières le Buisson. De nouvelles variétés d’iris apparaissaient chaque année, presque aussi nombreuses que celles de Cayeux, mais, curieusement, moins appréciées des amateurs alors que, du seul plan commercial, c’est certainement les variétés Vilmorin qui avaient le pompon. Pour la période considérée on doit faire état du toujours présent ‘Ambassadeur’ (1920), près duquel on peut placer ‘Le Poussin’ (1926), ‘Antarès’ (1927), ‘Nérée’ (1930), ‘Manoir de Launay’ (1936) et, pour finir, ‘Audran’ (1938). Mais il s’agit là d’un choix arbitraire car c’est une soixantaine d’iris qui ont été mis sur le marché pendant ces vingt années.

Pour que les professionnels de l’hybridation aient toujours donné la préférence aux iris Cayeux sur les iris Vilmorin, il doit y avoir une raison autre que celle d’un effet de mode ou d’une savante attitude de marketing. La Commission des Iris créée en 1926 à l’initiative de Philippe de Vilmorin et tenue à bout de bras par son adjoint Séraphin Mottet, composée en majorité de personnalités indépendantes, s’extasiait sur les iris Cayeux mais se contentait de témoigner son estime aux autres variétés. Celles-là étaient donc très certainement moins créatives, moins géniales, que leurs concurrentes.

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