24.12.10

À LA MANIÈRE DE… Honoré de Balzac (La muse du département)

Pour les amateurs du genre, voici un nouveau pastiche. Un guise de cadeau de Noël !

Promenade au château d’Anzy

« - Venez, cher ami, murmura Mme de la Baudraye à l’oreille d’Horace Bianchon, il faut que je vous montre mes iris. »

Avec des mines de chatte câline, elle passa son bras sous celui de l’illustre médecin et l’entraîna vers le jardin. Le parc du château d’Anzy était encore sens dessus-dessous tant la châtelaine avait entrepris de travaux d’embellissement que son avorton de mari n’avait pas osé lui refuser. Mais le fossé qui, du côté de l’Ouest, avait remplacé les anciennes douves, était en partie comblé et ses flancs avaient été plantés de grands iris bleus qui, en ce printemps de 1836, étaient abondamment fleuris. Cette longue guirlande de fleurs d’un bleu violacé profond produisait sur le visiteur un effet assez stupéfiant car il n’était pas encore d’usage d’utiliser les fleurs, et en particuliers les iris, autrement qu’en bordures étroites et en association avec d’autres plantes. Dans ce fossé il n’y avait que des iris, et s’il eut été possible de le compter, la somme aurait sûrement dépassé le millier. Bianchon ne manqua pas d’exprimer son étonnement et son admiration :

- « C’est incroyable, dit-il à son hôtesse, mais où avez-vous pu vous procurer autant de plantes ? Le Sancerrois est-il donc la patrie des iris ?

- Figurez-vous, répondit Mme de la Baudraye, ravie d’avoir créé son petit effet sur l’homme dont elle recherchait les bonnes grâces, que le jardin du château, à l’abandon depuis la mort de Madame du Guétin, était envahi par ces iris ; il y en avait partout ! J’ai simplement fait rassembler tous ceux qui pouvaient être transplantés. Anthelme, notre jardinier, a beaucoup de goût. Il s’est enthousiasmé pour mon projet et, pour compléter la plantation, a parcouru à cheval tout le Sancerrois à la recherche de touffes d’iris qu’il pouvait transporter ici. Sachez qu’il est allé jusqu’à Bourges et à obtenu de Monseigneur de Grancourt le droit de choisir dans les jardins de l’archevêché les plantes qui lui semblaient les plus belles. Ce fut un rude chantier, je vous assure, mais vous voyez le résultat ! Madame Boirouge, votre cousine, me disait hier qu’elle n’avait pas connaissance qu’un jardin semblable existât ailleurs dans notre pays.

- C’est en effet quelque chose de remarquable. Mais savez-vous, ma chère Dinah, que l’on trouve maintenant des iris de toutes les couleurs ? Figurez-vous que dans ma clientèle parisienne, se trouve un éditeur fort connu puisqu’il réalise et vend la plupart des livres utilisés par nos écoliers ? Il se nomme Marie-Guillaume de Bure. Cet homme, que l’on n’attend pas dans ce genre d’exercice, voue une passion aux iris. Il ne se contente pas de les faire pousser, il sélectionne les plus beaux et les plus originaux de ceux qu’il découvre dans sa terre du Nivernais, les multiplie et les propose au commerce de détail. Et j’ai pu admirer quelques-unes des ses découvertes. Je vous assure qu’il y en a de fort belles et de fort originales. Ainsi sa plus intéressante réussite est peut-être une fleur dans les pétales sont blancs, mais marqués aux bords de dessins en plumetis violet. C’est d’un effet !

- Voilà qui m’intéresse vivement, rétorqua Mme de la Baudraye en s’appuyant avec un peu d’insistance sur le bras de son accompagnateur, cela serait fort bien venu que dans ce parc encore imparfait on découvre les plus récentes créations de ce Monsieur de Bure. Où me dites-vous qu’il cultive ses iris ?

- A vrai dire je ne sais pas exactement où se situe sa terre. Je l’ai entendu parler du Nivernais mais…

- Mais le Nivernais est tout à côté ! Cela doit être possible d’aller à la rencontre de ces merveilles !

- Je vous promets, chère Dinah, de lui parler de vous et de votre emballement pour ce qui est sa propre passion. Je suis certain qu’il m’autorisera à vous mettre en relation avec lui.

- J’espère bien me rendre l’hiver prochain à Paris où je ne suis encore jamais allée. Polydore, mon mari, m’a promis que je pourrai rester quelques temps chez mon amie Anna de Fontaine qui m’a invitée. »

C’est à ce point de leur conversation qu’apparut Etienne Lousteau. En voyant Dinah venir devant lui, il ne put s’empêcher de remarquer combien la jeune femme était belle : sa taille était délicieuse, ses mouvements pleins de grâce et le soleil couchant donnait à son teint une merveilleuse blancheur. Elle eut pour lui un sourire qui laissait paraître les sentiments qu’elle éprouvait.

« - Que faisiez-vous ? dit-il, les gens de Sancerre commencent à arriver. J’ai déjà fait la connaissance du sous-préfet, le vicomte de Chargeboeuf, il a même eu le temps de me dire qu’il devrait être incessamment nommé préfet de Lille. Etiez-vous au courant, chère Dinah ? »

Aucun commentaire: