Philippe DELERM (Le trottoir au soleil)
Alizés
Meurtre, séisme, scandale, le journaliste, qui hache ses phrases, énumère tranquillement les informations télévisées du jour. Une douce clarté, un peu pâle, baigne la pièce. Un objet en cristal, qui intercepte le rayon de soleil, en diffracte la lumière. Arc-en-ciel domestique. Les gouttes de couleur, vert, bleu, rouge, viennent frapper le tableau accroché devant moi et mettent de curieuses irisations sur une toile où dominent les couleurs froides : blanc et bleu. Un iris bleu et blanc. Vautré dans mon siège, je sens une irrésistible envie de dormir m’envahir peu à peu. Une torpeur invincible. Pourquoi lutterais-je d’ailleurs ? En quoi triompher du sommeil serait-il un exploit, une victoire ? Je me laisse glisser. La voix du journaliste, entrecoupée de poses inexplicables, devient sourde et même incompréhensible. D’habitude il m’agace avec ces micro-coupures qui font clignoter son discours. Mais je ne l’entends presque plus. L’indifférence me gagne et mes yeux vont se clore. Lorsqu’on s’endort devant la télévision, dans la plénitude qui suit le repas, c’est comme si l’univers se refermait comme une coquille douillette et protectrice. Plus rien n’a d’importance, sauf ce besoin de fermer les yeux en se calant dans le coin du fauteuil.
L’air est tiède et le sable déjà chaud au toucher. Trois pélicans patrouillent au-dessus des vagues bleues, dans un ciel également bleu. L’un d’eux tend le cou, replie à demi ses ailes et s’enfonce dans l’eau comme une flèche. Un petit sucrier à ventre jaune a fait son nid dans le tronc du filao qui a poussé sur la plage, dans le sable aride. Est-ce celui qui tout à l’heure a transpercé sans hésiter, d’un coup de bec bien ajusté, l’opercule plastique d’une barquette de confiture, sur la table du petit-déjeuner ? Brusque risée de vent, venue de la mer. L’eau frissonne et devient grise. Comme les longues aiguilles des filaos qui soupirent et exhalent leur odeur douceâtre. Quelques petits fruits, secs comme de minuscules pommes de pin, se détachent et tombent sur le sable. L’alizé. A cette saison c’est l’alizé du sud-est. Il balaie la plage en longues rafales. Il fait presque frais, tout d’un coup.
C’est le silence qui me réveille. La télé est éteinte. Les informations sont terminées. Combien de temps ai-je dormi ? Plus de trace d’arc-en-ciel sur le tableau, devant moi, mais un beau rayon de lumière dorée qui embrase la toile bise sur laquelle est dessinée cet iris bleu et blanc. Au fait, comment s’appelle-t-il déjà ? Ah, oui ! ‘Alizés’…
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