3.7.15

UNE SEMAINE A VINCENNES

Depuis 2011 il n'y avait plus eu de concours d'iris en France. Il faut dire que le dernier avait été à ce point catastrophique que l'on pouvait se demander si l'on était capable de mettre sur pied une compétition qui tienne la route. La nouvelle équipe de la SFIB a relevé le défi et, en trois ans, a trouvé le moyen de construire un concours avec tous les aspects d'un grand. La première difficulté était de trouver un endroit et une équipe capable de cultiver dans les meilleures conditions une centaine de plantes, de manière à les amener au top en deux ans seulement. L'endroit devait, en plus être géographiquement bien situé : pas loin de Paris, dans un parc accessible au meilleur prix et à tout moment. La disponibilité du Parc Floral de la Ville de Paris, au bois de Vincennes, et des animateurs prêts à s'investir dans la tâche ont fourni une opportunité remarquable, qui a été saisie sans attendre, et qui s'est révélée d'une fiabilité absolue. La seconde difficulté était de réaliser cette compétition en dépensant le moins d'argent possible, sachant que la trésorerie de la SFIB est des plus réduites ! Les coûts sont essentiellement liés à le réception et à l'hébergement des juges venus parfois de fort loin, à leurs frais, mais néanmoins logés et nourris par les organisateurs. L'astuce a consisté en un hébergement façon auberge de la jeunesse, dans un gîte certes fort éloigné de Paris, mais dont les prix étaient en adéquation avec une bourse peu remplie. Dans cet environnement rural et bon enfant les juges et tous ceux qui sont venus partager leur demeure ont passé une semaine rustique mais conviviale et chaleureuse. L'inconvénient majeure était seulement la durée du trajet jusqu'à Vincennes et les aléas constants de la circulation en banlieue parisienne, de jour comme de nuit. Théoriquement calculé pour durer une demi-heure environ, le voyage s'est révélé exiger le plus souvent plus d'une heure ! A part ce petit inconvénient, tout est allé pour le mieux de ce côté-là. Une troisième difficulté a été plus difficile à surmonter. Il s'agit de l'occupation des juges en dehors des séances de jugement. En la circonstance, comme dans la précédente, il fallait faire au mieux avec peu d'argent, et tenir compte du délai de transport pour rentrer au bercail le soir. C'est cette partie du programme qui m'a semblé la plus délicate. La faute en revient au fait que l'organisateur, domicilié près de Toulouse, n'a pas pu tester ou vérifier chaque point des réjouissances. Ainsi la visite de Paris en bus s'est effectuée dans un véhicule au confort spartiate, extérieurement non lavé au point qu'il fallait ouvrir les fenêtres pour pouvoir photographier les monuments et que le toit, en principe transparent, était en fait opaque de poussière ! L'attente du bateau-mouche où s'est déroulé le grand dîner a été plutôt pénible et la dispersion après le repas, totalement improvisée. Mais il s'agit là de menus incidents qui n'ont pas détérioré l'ambiance générale toute de sympathie et de bonne humeur. Une machine aussi complexe ne se met pas en place sans anicroches lesquelles sont en fait des expériences pour les organisations à venir.

Le concours proprement dit a été parfait sur tous les plans. Les lieux, tout d'abord, étaient parfaitement aménagés, les plantes délicatement soignées et à un bon niveau de floraison, même si celles placées au plus près des grands arbres entourant le terrain du concours ont souffert d'un défaut d'ensoleillement qui a retardé leur anthèse et compromis leur participation à la compétition. Néanmoins le nombre de variétés retenues pour concourir a été suffisant et équivalent à celui qu'on rencontre ailleurs dans ce type de manifestation. Si j'ajoute un petit bémol, c'est à propos du plan de plantation qui n'a pas été fourni aux juges, ce qui a obligé ceux-ci à des parcours compliqués pour retrouver telle ou telle plante à vérifier. Mais ce ne fut qu'un inconvénient absolument mineur.

Après une semaine passée à examiner, jauger, humer puis noter les iris soumis à leur appréciation, les cinq juges se sont retrouvés pour colliger leurs notes et établir le classement. Tout s'est admirablement passé jusqu'au moment où il a fallu reprendre touts les notes pour établir le classement « bis » destiné à désigner le meilleur iris de jardin. Petit moment de panique et de désarroi devant la difficulté qui se présentait, mais, après quelques discussions soutenues, et grâce à la compétence informatique d'un participant, une solution simple a été trouvée et le second classement a pu être réalisé en quelques dizaines de minutes. Quand les noms des lauréats ont été dévoilés, une énorme surprise s'est fait jour : pas une seule variété américaine ou australienne, qui triomphaient généralement dans les concours depuis de nombreuses années, ne s'est trouvée dans le « Top 10 » !. Mais est-ce vraiment une surprise ? Depuis déjà quelques temps bien des variétés européennes avaient trouvé le chemin des podiums. Cela fut, malgré tout, un choc pour certains et fut même évoquée l'idée d'un commentaire en forme d'excuse destiné aux compétiteurs malheureux. Mais les juges américaines elles-même ont déclaré que, le concours s'étant déroulé dans les meilleures conditions d'équité, ce commentaire était superflu.

Ce concours fut, pour moi, la dernière de mes participations officielles. J'en garde un souvenir qui fait partie des meilleurs que je puis avoir de mes nombreuses interventions en tant que juge. C'est très bien ainsi et, comme je l'ai dit en prenant congé des participants : « Aujourd'hui je suis comme ce vieux matelot qui, debout sur le quai, voit partir le vaisseau où il a si longtemps vécu et travaillé. Il regarde le bateau s'éloigner jusqu'à ce que le grand mât disparaisse sous l'horizon, puis il retourne à sa demeure, avec une pointe de nostalgie, certes, mais confiant dans l'avenir et dans ceux qui viennent de prendre la mer. ». Et pour reprendre ce qu'a dit, évoquant Federico Fellini, une personne avec qui je me suis lié de sympathie au cours de ces quelques jours : « E la nave va ... »

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