10.1.20

UN PRIX À ÉCLIPSES

Tout le monde ne le sait pas, mais il n'y a pas qu'une Médaille de Dykes. On parle généralement de la Médaille de Dykes américaine, considérée comme le championnat du monde des iris, mais on oublie qu'il en existe actuellement trois autres. Toute cette quincaillerie est fournie par la BIS (British Iris Society), qui fut la première société iridophile au monde, du temps où l'iridophilie anglaise tenait le haut du pavé et assurait la promotion de son activité à travers le monde. Elle a donc mis en place un système de récompense destiné à créer de l'émulation entre les hybrideurs. Ce système a d'abord été agencé pour la Grande-Bretagne elle-même. Et cela a commencé en 1927. Au même moment une seconde médaille était instituée pour les Etats-Unis et l'année suivante il y en eut une pour la France. Ainsi les trois grands pays de l'iris dans le monde à cette époque avaient leur récompense, généreusement financée par la Grande-Bretagne.

Le système s'est avéré excellent dans les pays anglo-saxons où l'esprit de compétition fait partie de la mentalité générale. C'est pour cela que quatre-vingt-douze ans plus tard cela fonctionne toujours très bien en Amérique, un peu moins bien en Grande-Bretagne, faute de combattants, mais plus du tout en France où, d'ailleurs, cela n'a jamais bien marché. Pour preuve, jusqu'en 1938 qui fut la dernière année d'attribution de la médaille, avant les bouleversements de la grande conflagration qui s'annonçait, il n'y eut jamais qu'un attributaire de cette décoration : Ferdinand Cayeux (correctif, ce n'est pas l'obtenteur qui est récompensé mais la variété elle-même). Certes Ferdinand Cayeux dominait alors le monde des iris français, mais tout de même ses confrères ne produisait pas que des choses insignifiantes : le tétraploïde 'Dr Chobaut' (Fernand Denis, 1925), le variégata 'Coryphée' (Vilmorin, 1931), le bleu 'Souvenir de Laetitia Michaud' (Millet, 1923) auraient très bien mérité d'être récompensés.

Pour que le système fonctionne bien il faut d'une part qu'il y ait suffisamment de concurrents, d'autre part suffisamment de juges qualifiés et accrédités, enfin suffisamment de jardins agréés où les plantes pourront être évaluées. Aux Etats-Unis, ces trois conditions sont réunies (on peut même craindre aujourd'hui qu'il y ait un trop grand nombre de variétés en compétition). Les iris suivent un cursus rigoureux avec éliminations comme dans un tournoi de tennis, les juges reçoivent une formation et une accréditation officielle de l'AIS, de nombreux jardins, par tout le pays abritent les plantes en concours. La médaille a donc une valeur incontestable. Ailleurs tout cela est beaucoup moins certain, même en Grande-Bretagne, pays créateur du concept. Actuellement, outre Manche, ce sont les iris qui font le plus défaut, de sorte que l'attribution de la médaille est souvent impossible. Pae exemple, entre 1991 et 2008, il n'y a eu que huit lauréats, dont deux non-britanniques. On peut parler de médaille à éclipses.

Soucieuse de ce qui intéresse les iris dans les pays anglophones, la BIS a offert à partir de 1985 une nouvelle Médaille de Dykes, destinée aux variétés australiennes et néo-zélandaises. Ce fut un véritable succès : pas une seule fois elle n'a pas été attribuée. Cependant la compétition peut paraître biaisée puisque depuis 1992 ce sont les deux beaux-frères John C. Taylor et Graeme Grosvenor qui ont toujours triomphé, et quand on sait que le principal obtenteur australien est sans conteste Barry Blyth, que ses iris sont encensés partout dans le monde et qu'il n'a reçu la médaille qu'une seule fois (en 1986, pour 'Sostenique'), on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a une anomalie, justifiée, hélas, par la non-participation de B. Blyth à cette compétition! Quant aux variétés néo-zélandaises, elles n'ont été récompensées qu'à deux reprises : 1994, pour et 1996 pour . Cette situation est à l'origine de la « sécession » de la Nouvelle-Zélande qui, dès 1992, a obtenu sa propre Médaille de Dykes, laquelle a été attribuée pour la première fois en 1995.

Voici donc une quatrième Dykes Medal à la charge de la BIS !

Si, à propos de la médaille britannique, on a pu parler de médaille à éclipses, ce qualificatif est encore plus justifié pour la médaille néo-zélandaise. Celle-ci en effet n'a pu être délivrée que quatre fois depuis sa création ! Le mécanisme d'attribution n'est pas très compliqué et pourrait sûrement être appliqué dans un autre pays. Tout iris originaire de Nouvelle-Zélande reçoit un numéro d'enregistrement qui lui servira tout au long de son parcours en compétition. Les obtenteurs qui veulent faire concourir leurs variétés doivent les envoyer aux trois jardins agréés (trois variétés au maximum par année de compétition). Dans ces jardins l'appréciation des iris se fait sur trois ans mais ce n'est qu'à partir de la deuxième année qu'ils sont examinés par un panel de trois juges qui passent dans les jardins autant de fois qu'ils le veulent. Les notes attribuées sont soumises à un coordinateur qui calcule les moyennes et retient les deux meilleures pour le classement final. Pour obtenir la DM il faut qu'un compétiteur ait obtenu au moins 80 points. Ce résultat semble ne pas être facile à atteindre puisque jusqu'à présent il n'y a eu que quatre lauréats :

1995 : 'Emma Ripeka'(SIB) (F. Love, 1990)
 2005 : 'Salute d'Amour'(TB) (S. Spicer, 2001)
2012 : 'Norma of Irwell'(TB) (R. Busch, 2008)
2014 : 'Atavus'(TB) (A. Nicoll, 2006).

Le constat qui vient d'être fait peut-il encourager d'autres pays à tenter de créer leur propre Dykes Medal ? Si l'on veut se contenter d'une attribution épisodique, pourquoi pas ? Mais pour la désignation d'un vainqueur chaque année, je ne vois aucun pays qui soit en mesure de réaliser cette performance, sauf peut-être la Russie mais avec le handicap de son immensité géographique. On pourrait imaginer néanmoins une compétition analogue au niveau européen. A condition que les organismes coordinateurs de chaque pays participant se mettent d'accord sur les conditions de participation, le nom des juges, la désignation des jardins-test, le nom du centralisateur … C'est beaucoup de conditions pas faciles à réunir !

Il n'y a donc guère de chances qu'un jour la BIS soit obligée d'offrir une cinquième médaille. Je serais, quant à moi, plus favorable à une ouverture au plan mondial de la Dykes Medal américaine, dans des conditions à définir avec l'AIS. Mais ce ne serait pas une négociation facile car il est vraisemblable, et légitime, que les Américains ne tiendraient pas à partager leur hégémonie.

ILLUSTRATIONS : 


'Sostenique' 


'Salute d'Amour' 


'Norma of Irwell' 

'Atavus'

2 commentaires:

Dejoux Roland a dit…

Il y a quelques années nous avions tenté avec le regretté Sergey Loktev et Zdenek Seidl, d'organiser une compétition européenne, mais nous n'avions pas trouvé d'échos auprès des autres sociétés d'iris du vieux continent.

gerard a dit…

Le système néo-zélandais pourrait fort bien fonctionner en France. Il ne devrait pas être impossible de trouver trois parcs ou jardins susceptibles d'abriter les variétés mises à concourir. Le nombre d'hybrideurs français de qualité serait suffisant pour donner à la médaille sa légitimité.