DE LA DIFFICULTÉ D’ETRE RECONNU
Luc Bourdillon vient de secouer le petit monde des iris en posant la question suivante : une variété d’iris mise en vente sur Internet peut-elle concourir pour les récompenses américaines ? Cela a l’air d’une question innocente, mais en réalité elle remet partiellement en cause le système actuel des attributions américaines des récompenses.
Il y a quelques années la question avait été posée de savoir quelles variétés pouvaient concourir. En particulier, des variétés non américaines pouvaient-elles être éligibles ? Le bureau de l’AIS a eu à l’automne 1993, une longue et difficile discussion sur ce sujet. Les partisans d’une compétition purement américaine ont argué de ce que la DM avait été donnée par la BIS pour récompenser la meilleure variété nord-américaine, et qu’il existait des récompenses attribuées dans certains pays, qui n’étaient pas accessibles aux variétés américaines. Ils ont aussi fait la proposition d’un prix pour la meilleure variété étrangère, affirmant que cette mise en valeur serait plus intéressante pour les obtenteurs étrangers qu’une distinction noyée parmi celles délivrées aux variétés américaines. A l’opposé, les partisans d’une internationalisation ont fait état du rôle dévolu à l’AIS de tenir le registre de toutes les variétés obtenues à travers le monde, qu’il était du devoir de cet organisme de favoriser l’extension de l’iridophilie dans tous les pays, et qu’il fallait promouvoir généreusement la distribution des iris étrangers aux USA… Comme de bien entendu on est parvenu à un compromis suggéré par Clarence Mahan, à l’époque second vice-président : l’éligibilité aux prix décernés par l’AIS est offerte aux iris de toutes origines à la condition qu’ils aient été mis en vente en premier lieu sur le marché américain, c’est à dire au moins pendant la première année de leur mise en vente.
Cette exigence satisfaisait les deux camps. Les vœux des partisans de l’ouverture étaient exhaussés, les nationalistes étaient assurés que les variétés américaines conserveraient un certain avantage car pour un obtenteur étranger, il n’est pas évident de commercialiser ses produits dans un pays éloigné ; enfin les organisateurs de la compétition ne risquaient pas de voir le nombre des candidats brutalement exploser. Cette crainte n’était pas sans fondement. Aujourd’hui en effet il y a un nombre incroyable de nouvelles variétés enregistrées chaque année. En 2001 il y en a eu 964, dont 574 dans la seule Amérique du Nord ! Si toutes devaient entrer dans la compétition, la liste des compétiteurs serait énorme et bien difficile à utiliser par les juges officiels chargés de voter pour l’attribution des prix. D’où la quasi-obligation de limiter les compétiteurs aux iris réellement commercialisés aux Etats-Unis et au Canada, d’autant plus que les juges sont américains à plus de 90%.
La règle actuelle est qu’un iris est « introduit » lorsque son obtenteur a avisé l’AIS de ce qu’il avait été mis en vente par un commerçant qui peut être l’obtenteur lui-même, soit qu’il soit réellement commerçant, soit qu’il propose ses cultivars par une annonce dans le bulletin de l’AIS, ou un véritable producteur. Cela élimine déjà tous les iris enregistrés par les amateurs, pour leur seule satisfaction, ou qui ne sont distribués qu’à la famille et aux amis. En 2001, ce premier tri réduisait le nombre des compétiteurs potentiels à 683. C’est déjà énorme sachant que le premier tour de la compétition dure deux ans (trois pour les iris sans barbes), l’année d’introduction étant la première du cycle. Si les iris du monde entier concouraient, cela ferait une liste de plus de 1300 noms remise chaque année à chaque juge ! Il faut donc encore élaguer et le bon sens veut que l’on se limite au marché américain. 40% des variétés nouvelles sont ainsi écartées. C’est beaucoup, mais réaliste, et cela provient essentiellement de l’explosion des enregistrements en provenance de l’Ancien Monde et particulièrement de l’ex-Europe de l’Est : 153 en 2001.
Si un non-américain veut concourir il faut donc qu’il se plie à cette règle et qu’il propose les iris qu’il rêve de voir couronnés par l’intermédiaire d’un marchand américain qui veut bien lui faire une place dans son catalogue. L’Australien Barry Blyth avait anticipé la décision de 93 en faisant vendre ses iris par Keith Keppel, un grand nom de l’hybridation américaine. De la sorte CHOCOLATE ROYALE en 88, WITCH’S WAND en 90 ont obtenu un HM, TOMORROW’S CHILD, GALLANT ROGUE et AURA LIGHT sont même parvenus aux AM, le premier en 88, les autres en 94 et 2000. D’autres ont suivi le mouvement comme l’Anglais Cy Bartlett, et son CANNINGTON BLUEBIRD a eu un HM en 95. Pour les non-anglophones, la difficulté s’alourdit d’un problème de communication. Ils ont donc tardé à entrer dans le jeu. Il n’y a que deux ans que les Européens sont réellement apparus aux USA. L’Italien Augusto Bianco, le Slovaque Ladislav Muska et quelques autres ont conclu des accords avec des producteurs pour lesquels cet apport est un attrait supplémentaire de leurs catalogues, mais ils ne font pas forcément partie des « majors », c’est à dire ceux qui, du fait de la grande diffusion de leur produits, ont des iris qui sont vus et appréciés par un nombre important de juges, et, partant, trustent les prix. En 2002, sur 75 HM décernés à des grands iris, 40 sont revenus à 7 producteurs, lesquels ont aussi obtenu 12 AM sur 23 !
L’apparition de l’e-commerce va-t-elle changer les choses ? C’est peu probable car il n’est pas près de supplanter le commerce classique, mais la décision de 93 est maintenant battue en brèche. Les producteurs américains, qui sont aussi le plus souvent également obtenteurs, ne se privent pas de proposer leurs variétés sur leurs sites Internet. Si les obtenteurs non américains font de même, même s’ils ont par ailleurs respecté les règles exposées plus haut, ils verront leurs variétés éliminées ! L’AIS se doit donc de rétablir une certaine égalité des chances. Bien sûr, les non- américains devraient-ils organiser leurs propres concours, au niveau national ou, plutôt, continental, de façon à promouvoir leur propre production, mais les distinctions américaines restent des références à tous points de vue, et il est normal qu’elles tentent des hybrideurs d’autres pays. Tant que les non américains n’auront pas pu, pour plein de raisons bien valables, créer et fiabiliser d’autres compétitions, celles des USA se doivent d’être accessibles à tous, dès lors que les juges les voient en assez grand nombre pour qu’elles obtiennent suffisamment de votes. La règle du « marché américain d’abord » ne me paraît plus justifiée, et les quelques variétés mises en vente directement par Internet ne doivent pas être pénalisées : leur nombre ne va pas, du jour au lendemain alourdir excessivement les listes destinées aux juges, et l’obligation pratique d’être vu par le plus grand nombre possible d’entre eux laissera encore pour longtemps l’avantage aux iris achetés de façon traditionnelle.
Néanmoins Luc Bourdillon a eu raison de poser la question, il serait bon qu’elle fasse l’objet d’une discussion lors d’une prochaine réunion du bureau des Directeurs de l’AIS.
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