29.1.22

DE LA PEINE A LA FACILITÉ

Ici même, en 2003, il était question des subtilités de l'hybridation et des règles qu'il convient d'appliquer lorsque l'on veut pratiquer l'hybridation avec quelques chances d'obtenir quelque chose de présentable autrement qu'en comptant sur la chance. Presque vingt ans plus tard, les conseils donnés dans cet article sont-ils toujours valables ? 

Les opinions de trois bons auteurs y étaient mises en parallèle : le français Richard Cayeux et les américains Keith Keppel et Dave Niswonger. Tous les trois insistaient sur la nécessité de se limiter dans les buts à rechercher. Il y a le choix parmi les buts possibles et il est recommandé de commencer par sélectionner un ou deux domaines de recherches, en commençant par ceux qui posent le moins de difficultés à celui qui se lance dans l’hybridation. Ces conseils n'ont pas perdu de leur valeur. En effet le plus grand risque est de se disperser. Quand on commence on n'a, en général, à disposition qu'un nombre restreint de géniteurs potentiels. Les hybrideurs chevronnés disposent d'un panel énorme de parents potentiels, d'un espace important pour planter de très nombreux jeunes semis ce qui leur permet le plus souvent de réaliser chaque année un nombre considérable de croisements. Ce n'est pas la situation d'un débutant ! Ce dernier a donc intérêt a commencer par sélectionner un ou deux domaines de recherches, en commençant par ceux qui posent le moins de difficultés. Il y a le choix parmi les buts possibles ! Et le plus simple est certainement la recherche d’une amélioration de l’existant. Par exemple essayer d’ajouter des éléments de perfectionnement à une couleur et à la fleur qui l’exhibe: plus de saturation du coloris, fleurs plus ondulées ou plus frisées, fleurs mieux disposées le long de la tige, boutons plus nombreux, plante mieux ramifiée, qui pousse mieux ou qui résiste mieux aux agressions. Ce n'est que si l'on dispose de beaucoup de place pour les semis, que l'on peut s’attaquer à des domaines plus délicats comme la recherche de nouvelles couleurs ou de nouvelles combinaisons de couleurs. Pourquoi cette distinction ? En quoi les domaines cités en derniers présentent-ils plus de difficultés ? 

 Il est avéré que créer une nouvelle couleur ou une nouvelle combinaison de couleurs est une œuvre de longue haleine, souvent aléatoire, plus exigeante en nombre de semis et nécessitant des connaissances génétiques et généalogiques plus étendues. Il y a en effet trois parties de la fleur sur lesquelles il faut agir : les pétales, les sépales et les barbes. Le travail devra obligatoirement s’étendre sur plusieurs générations, donc sur de nombreuses années, avec beaucoup de résultats médiocres en attendant le succès. 

 De toute façon, si l’on veut aboutir à quelque chose, il ne faut surtout pas croiser les variétés au hasard, en fonction de l’intérêt qu’on leur porte ou de la fantaisie qui passe par la tête. Le hasard peut certes faire qu’on obtienne ainsi un résultat satisfaisant, mais c’est comme jouer à la loterie, il y a beaucoup de joueurs, très peu de gagnants et encore moins de gros lots ! Comme le dit très bien Richard Cayeux, les iris d’aujourd’hui n’ont pas une généalogie simple ( les analyses que je propose souvent ici le démontrent) et les éléments génétiques qu’ils contiennent sont si complexes que les interactions entre les uns et les autres rendent hasardeux les résultats que l’on peut obtenir. Avant tout croisement il est nécessaire, si l’on veut vraiment atteindre un but, d’étudier le pedigree non seulement des variétés auxquelles on songe, mais aussi celui de leurs ancêtres, sur de nombreuses générations. Si l’on veut agir sur un élément, ces analyses demandent déjà un travail de recherche important dans les documents, et si l’on s’attaque à plusieurs éléments, les connaissances exigées vont devenir complexes et n’être à la portée que de celui qui a une connaissance approfondie de la génétique des iris, acquise par un travail de longue haleine. Il y a, à ce sujet, quelques informations de base qu’il faut retenir. Savoir, en tout premier, quelles couleurs ou combinaisons sont récessives ou dominantes ; quels pigments se trouvent dans les cellules ou autour des cellules ; comment et pourquoi ils apparaissent ici ou là ; quel peut être l’effet d’un facteur inhibant… Les connaissances approfondies viendront avec le temps et les soirées d’hiver consacrées à potasser les écrits des bons auteurs et les check-lists de l’AIS. 

 Cela ne veut pas dire que l'hybridation est une science ardue et qu' « il faut pour la comprendre avoir fait des études » comme dit Victor Hugo (Oceano Nox). Dans son livre, « L'iris, une Fleur Royale » Richard Cayeux ne dit rien d’autre. Le chapitre consacré à la création de nouvelles variétés de grands iris de jardin est très clair là- dessus. Il explique les aléas de l’hybridation, donne des conseils utiles (se limiter dans ses objectifs, choisir les bons parents, exercer une sélection rigoureuse des semis), expose les stratégies possibles et conseille sur la méthode qu’il faut choisir. Mais ce livre date des années 1990 et en trente ans, bien des évolutions sont survenues. En particulier tous les professionnels de l'iris ont constaté que la relative rareté des semis dignes d'être conservés s'est peu à peu muée en une certaine difficulté à faire un choix parmi des semis généralement sans défauts. Cela se traduit par un nombre de plus en plus important de nouvelles variétés mises chaque année sur le marché. Et cela encourage les néophytes à se lancer dans l'hybridation, sans être obligés de tenir compte des conseils donnés en des temps moins favorables. Cela veut-il dire qu'il suffit de suivre son inclination pour réussir dans l'hybridation ? A mon avis les règles de bases ne doivent surtout pas être oubliées. Le fait que le travail de sélection soit en quelque sorte facilité n'est qu'un des aspect de l'hybridation, les autres se maintiennent. Le choix d'un programme sérieux, celui des bons parents n'ont pas disparu. Mais savoir que les espoirs que l'on met dans les croisements que l'on réalise peuvent se concrétiser sans trop de déception, et que même dans un jardin relativement petit, il est possible d’obtenir des iris de qualité et de contribuer, modestement, à la progression de nos fleurs favorites.est tout de même assez rassurant. 

 Illustrations : 
 Quelques belles réalisations de néophytes : 


 'Antonio Farao's Piano (Martin Balland, 2014) 


'Beauté de Sologne' (Nicolas Bourdillon, 2020) 


'Gin Tonique' (Christine Cosi, 2018) 


'Toge et Sari' (Bénédicte Habert, 2017) 


'Pavillon Alpha' (Marin Le May, 2018) 


'Innamoramento' (Jérôme Patard, 2019)

21.1.22

RESURRECTION

Souvent les amateurs d'iris se plaignent d'un phénomène qui n'a pas encore reçu une explication irréfutable. Les Américains l'appellent « bloom out ». Avec la concision propre à la langue anglaise c'est dire en deux mots que la plante qui est affectée par le phénomène fleurit puis meurt. Je l'appelle quant à moi le syndrome du poulpe. En effet celui-ci, lorsqu’il a accompli l’effort suprême de donner naissance à une nouvelle génération, épuisé, se laisse tomber au fond d’une crevasse et meurt, c'est en quelque sorte la même » chose chez l'iris. 

 Pour une raison qui est encore mystérieuse, certains rhizomes ne développent aucune nouvelle pousse, après la floraison, et, par conséquent, disparaissent. Un iris qui pousse bien émet trois bouquets de feuilles (tout va par trois chez les iris). Les deux bouquets latéraux, qui ne s’élèvent d’ailleurs pas exactement à la verticale, vont développer des feuilles qui vont être les poumons de la plante et vont accompagner le bouquet central, qui, lui, prend dès le début une position très redressée, et va donner naissance à la tige qui portera les fleurs. Cependant il arrive que les bouquets latéraux n’apparaissent pas. La plante n’émet qu’un bouquet, qui puise sa force essentiellement dans la réserve du rhizome. La tige grandit, mais n’atteint néanmoins pas la hauteur d’une tige normale. Les fleurs viennent à éclore, mais sont plus petites que les fleurs habituelles, quelquefois elles sont un peu fripées… Lorsque la dernière fleur est fanée, on s’aperçoit que la tige se dessèche très vite : elle a consommé toute l’énergie contenue dans le rhizome, et, ne s'alimentant pas, elle dépérit. En écartant la terre autour du rhizome on découvre qu’il n’y a aucune pousse latérale, gage de renouveau. Adieu, mon bel iris… Parfois cependant, à bien y regarder, on aperçoit un œil minuscule ou deux. Dans ce cas tout n’est pas perdu.

 Les spécialistes américains ont émis l’hypothèse que ce développement anormal de la plante serait la conséquence d’un déficit hormonal causé par le fait que, pour se multiplier, les hormones en question auraient besoin d’une obscurité que ne leur donne pas la situation à ras du sol du rhizome. Paradoxe ! Pour mûrir et accumuler des réserves, le rhizome a besoin de chaleur : il la trouve en croissant à fleur de terre, mais ce faisant il empêcherait la synthèse des hormones de reproduction. Dans la plupart des cas, ces hormones sont assez nombreuses et fortes pour assurer néanmoins l’apparition des nouveaux yeux, donc des futures plantes, mais il arriverait que, en quantité insuffisante, les hormones ne puissent accomplir leur travail, d’où le phénomène de « bloom out ». Pour sauver la plante en déficit hormonal, il faut l'obliger à secréter suffisamment d’hormones de reproduction. A ce stade, on en vient à des procédures qui tiennent plus du hasard que de la botanique. Ainsi, certains ont constaté qu’un rhizome entaillé, accidentellement, réagissait à cette blessure en émettant de nombreux yeux, comme si, menacé de mort par l’accident, il se dépêchait de multiplier ses chances de survie. D’où l’idée d’entailler volontairement le rhizome sous la menace du bloom-out pour le contraindre à utiliser ses dernières forces dans la fabrication de petites pousses. Une autre constatation a été qu’un rhizome arraché et laissé à l’air sur un tas de déchets, réagissait à cette situation de mort annoncée en émettant plus de nouvelles pousses qu’un rhizome en situation normale. Certains producteurs vont même jusqu’à préconiser cette pratique violente pour accélérer la multiplication des plantes dont on a hâte de pouvoir la proposer au commerce. Mais un rhizome « bloom-outé » réagit-il de cette façon ? Un troisième remède envisagé, et mis en pratique par certains, est de recouvrir d’une forte couche de terre le rhizome récalcitrant pour susciter l’obscurité propice, dit-on, à la sécrétion des hormones. 

 J’ai essayé les trois méthodes. J’ai donné des coups de canif à des rhizomes sans yeux. La plupart n’ont pas réagi et sont morts, pour de bon. D’autres ont effectivement émis des pousses latérales, mais pas bien fortes et, par conséquent bien trop à la merci d’un hiver un peu rigoureux. J’ai laissé sans soins des rhizomes, à l’air libre. J’ai constaté que des yeux apparaissaient, mais remis en terre, ces yeux n’ont jamais prospéré. J’ai, enfin, enterré certains rhizomes. Et là j’ai eu la satisfaction de voir mes iris repartir. La chose délicate est de trouver le juste moment où il faut retirer la motte de terre pour permettre à la plante de croître normalement après la médication de choc. Néanmoins, cette méthode donne des résultats tangibles. Dès la fin de la floraison, avec une bonne pelletée de terre, j’ai créé une taupinière artificielle au-dessus d'un rhizome en détresse. Je suis allé deux mois après gratter le sol, pour voir : de gros yeux s'étaient développés. Il faudra attendre deux ans pour voir de nouveau fleur la plante malade mais elle aura été sauvée. 

 A la différence donc, de ce qui arrive au malheureux poulpe, la mort de l’iris qui « bloom-oute » n’est pas forcément inéluctable. Il n’empêche que je constate que les variétés récentes sont très sensibles au « bloom-outage ». Peut-être un affaiblissement de leur vigueur régénérative en raison d’une consanguinité excessive ? En tout cas j’ai l’impression, après plusieurs expériences positives, que la méthode de l’enterrement, est assez fructueuse. Mais vous avouerez qu’il y a là un sacré paradoxe : il faut un enterrement bien profond pour que la plante renaisse ! Une sorte de résurrection ! 

 Illustrations : 




 'Jud Paynter' (photo d'une plante bloom-outée) 


'Jud Paynter' (R.E. Nichol, 1991) (plante saine) 


'Prototype' (plante saine ayant bloom-outé l'année suivante) 


'Sullom Voe' ( plante saine ayant bloom-outé l'année suivante) 


'Buckden Pike' ( plante saine ayant bloom-outé l'année suivante)

14.1.22

L'ETAT CIVIL DES IRIS

Ce n’est pas évident de donner un nom de baptême à une nouvelle variété. Plusieurs fois Lawrence Ransom, homme scrupuleux et même perfectionniste, m'a fait par de la difficulté qu'il avait à choisir un nom. Il a d'ailleurs été confronté à deux reprises au moins à des situations de conflit à ce sujet. Essayons de faire une nouvelle fois le tour de la question. 

 Les règles qui s'appliquent en la matière sont celles de la Nomenclature Internationale des Plantes Cultivées. Elles ont évolué au cours du temps, à la fois pour éviter des abus et pour ouvrir un peu plus l’éventail des possibilités, car il faut pouvoir donner un nom nouveau alors que des milliers ont déjà été utilisés. Examinons-les une à une et voyons quelles difficultés peuvent apparaître dans leur application. 

1) Les noms de personnes. 
Il existe une quantité de variétés qui portent le nom d’une personne. Certains hybrideurs utilisent abondamment cette possibilité d'autres, comme Barry Blyth, se montrent plus parcimonieux, au prétexte que la personne honorée ressentira une déception lorsque la variété portant son nom sera retirée des catalogues. Quoi qu'il en soit la Nomenclature prévoit que pour pouvoir porter le nom d'une personne il faut soit que celle-ci soit décédée depuis plus de dix ans, soit qu’elle ou ses ayants droit aient donné une autorisation écrite. C'est ce qui se passe lorsque l'acquéreur d'une « Iris Box » choisit le nom d'une personne qu'il entend honorer pour l'une de ses acquisitions. En revanche Lawrence Ransom a du demander à la dédicataire une autorisation pour donner un l’un de ses cultivars le nom de 'Gladys Clarke' (2000). Mais il n’est pas possible à un mineur de donner cette autorisation ; alors on triche un peu. Jean-Claude Jacob a-t-il voulu honorer une de ses proches ? Il a été obligé de baptiser la variété prévue pour cela 'Floriane D.' (2020). Le D, évidemment pour le nom de famille de la jeune personne. 

2) Les titres. 
Il ne serait plus possible aujourd’hui d’enregistrer 'Madame François Debat' (J. Cayeux 1957), mais il n’y a pas eu d’obstacle à ce que le nom de 'Doctor Nolan Henderson' (Hedgecock 2000) soit attribué. Parce que ce ne sont que les titres M. Mme, Melle etc.. qui sont interdits, en quelque langue que ce soit. On constate cependant des entorses à cette règle : ainsi Bernard Laporte a-t-il reçu l'autorisation de baptiser 'Miss Pessemier-Deboudt' l'une de ses variétés de 2006. 

 3) Nombres et symboles 
Les choses se compliquent un peu à ce niveau. En effet les symboles, nombres, signes de ponctuation ou abréviations sont interdits, mais seulement s’ils ne sont pas essentiels pour le sens du nom. Ainsi Richard Cayeux a-t-il eu le droit de donner le nom de 'Trois Mousquetaires' à l’une de ses obtentions de 2004 parce qu’il s’agit pratiquement d’une expression dont les éléments sont inséparables tant ce titre d'un roman est devenu légendaire. De même rien ne s’est opposé à ce que Joyce Meek choisisse 'P.T. Barnum' (1979) car les initiales sont partie intégrante du nom. Mais on entre là dans le domaine de l’interprétation donnée à la règle par le « registrar » de l’AIS et il semble que celui-ci dispose d'une autorité discrétionnaire en la matière 

 4) L’article 
Là encore le dernier mot restera au « registrar » car si un nom commençant par un article (dans n’importe quelle langue) est en principe interdit, il sera tout de même accepté si cet article est « nécessaire » dans la langue en question. 'La Belle Aude' (Ségui 1982) a été retenu, mais ce n’était pas évident. En fait l’opposition que le « registrar » pourrait mettre tient à sa capacité de connaître ce qui, dans la langue considérée, est nécessaire ou non, et il n’est pas forcément polyglotte, surtout lorsque, avec l’extension mondiale de l’iris, les langues les plus variées sont utilisées (aux USA, qui parle le breton, le basque, l’espéranto ou l’ouzbek ?) Des anomalies apparaîtront nécessairement, mais elles ne sont pas graves à ce niveau. 

 5) La langue 
La seule langue interdite est le latin, pour cause de confusion possible avec les noms botaniques. Toutes les autres langues sont admises. Cela peut devenir un vrai casse-tête car on baptise des iris dans des pays chaque année plus nombreux et certains hybrideurs inventent des noms sans aucun lien avec quelque langue ce soit, ce qui, stricto sensu, n'est pas autorisé (mais pas interdit non plus !). Une autre règle précise qu’un nom déjà utilisé dans une autre langue ne peut pas être repris après traduction. Mais comment savoir ce que veut dire tel ou tel nom dans une langue dont le « registrar » n’a aucune connaissance ? Il existe déjà de nombreux doublons en ce domaine. Ainsi Lech Komarnicki n’aurait pas du être autorisé à baptiser un iris 'Biala Noc' (1997) parce qu’en polonais ce nom veut dire « nuit blanche », et que le nom de 'Nuit Blanche' a été accordé à Pierre Anfosso en 1979. Enfin, pas plus qu’un nom identique à la langue près, n’est permise l’infime variation d’un nom déjà donné. Mais cette règle subit ou risque de subir les mêmes entorses que la précédente, pour les mêmes raisons. Il existerait un moyen d’éviter ces malentendus et ces risques de confusion : que le nom proposé soit présenté à l’enregistrement à la fois dans la langue choisie et dans une langue commune, qui ne peut être que l’anglo-américain. Cette suggestion, que j'ai faite à l'AIS, n'a pas encore été retenue, le « registrar » ne vérifiant pas la langue utilisée mais se contentant de compter le nombre de mots et de lettres, ce qui est absurde ! 

 6) Les mots et les lettres 
Justement c'est ce problème qui fait l'objet du présent paragraphe. A présent on peut utiliser quatre mots pour un nom. Dans ces conditions l’appellation 'A Bout de Souffle' (Martin Balland, 2019) est tout à fait acceptable. Ce nom à rallonge respecte également la limite des trente lettres pour un même nom. La règle des quatre mots vient en aide aux langues qui, comme le français, font usage de prépositions et d’articles ; auparavant, par exemple un nom comme 'Princesse Caroline de Monaco', qui comporte 25 lettres, n’aurait pas été admissible. Les langues qui se passent de prépositions et les langues agglutinantes étaient outrageusement avantagées, notamment l’anglais ou son cousin l’américain. 

 7) Les noms d’espèces 
Autre interdiction, les noms qui contiendraient le mot « iris » ou tout autre mot pouvant désigner une espèce végétale, notamment celles du genre « Iris ». C’est aussi pour éviter les confusions avec les noms botaniques. 

 8) L’ego de l’hybrideur 
La règle suivante a été édictée dans le but d’empêcher une appréciation excessive ou mégalomaniaque d'un nom de personne ou d'une qualité de la plante en utilisant la forme progressive (celle qui fait référence au génitif des langues saxonnes, avec un ‘ en fin de mot, suivi d’un s). Dans cet ordre d’idée, le nom de 'Schortman's Garnet Ruffles' (Schortman 1981) me semble en infraction à la règle puisque le nom de l’obtenteur en personne est à la forme progressive. En revanche le nom de 'Pandora's Purple' (Ensminger 81) ne pose pas de problème car la belle Pandore a pu avoir une mauvaise idée et ouvrant sa fameuse boîte, mais elle n’a jamais hybridé le moindre iris ! Dans le même ordre d’idée : pas d’exagération dans les qualités prêtées à la variété dénommée, c'est pourquoi n'aurait pas du être permise la dénomination 'Best and Brightest' (2012) pour un TB jaune de Paul Black. Il est également interdit de choisir comme nom un adjectif, seul, lorsque celui-ci peut être considéré comme désignant une caractéristique de la plante. C'est en s'appuyant sur ce texte que le nom de 'Vanille-Citron' a été refusé à Bénédicte Habert pour la variété dénommée maintenant 'Coeur de Citron' (2021), même si les mots vanille et citron ne sont pas des adjectifs à proprement parler. Enfin notons que les insultes et les grossièretés ne peuvent qu'être rejetées. 

 9) Les noms oubliés 
Des noms déjà donnés peuvent être tombés en désuétude, ou bien la plante baptisée a disparu. Dans le premier cas, le nom reste inutilisable sauf si celui qui veut s’en servir à son tour obtient la permission de celui qui a été le premier utilisateur. C’est contraignant, mais justifié. Dans l’autre cas, pour une reprise d’un nom déjà donné, il faut s’entourer de précautions, en particulier il faut s’assurer auprès du premier dénominateur que l’iris n’a pas été distribué et qu’il n’a pas été utilisé en hybridation pour une variété elle-même enregistrée. Toujours la même précaution pour éviter, cette fois, les erreurs de paternité. Mais plusieurs cas de double (ou triple) utilisation existent, tous dus à des circonstances particulières. 

L'application de ces nombreuses règles laisse beaucoup de place à la discrétion du « registrar ». Cela provoque l'agacement de bien des hybrideurs et de fréquents conflits: la tâche n'est pas simple ! 

 Donner un nom à une nouvelle variété n’est donc pas une affaire facile. Heureusement l’imagination humaine n’a pas de limites et les hybrideurs imaginatifs n’ont pas à se faire de soucis. 

 Illustrations : 


'Miss Pessemier-Deboudt' 


'Biala Noc' 


'A Bout de Souffle' 


'Best and Brightest' 


'Coeur de Citron'

7.1.22

LA FLEUR DU MOIS

‘Coral Point' (George Sutton, 1999) 

'Sky Hooks' X (('Pink Ember' x 'Playgirl') x 'Twice Thrilling') 

Les iris « à éperons » connaissent des hauts et des bas. Depuis leur apparitions dans nos jardins ils ont eu une existence agitée. Une période d'incertitude, au cours de laquelle les amateurs se sont partagés à leur sujet, certains s'enthousiasmant pour ces appendices apparaissant à l'extrémité des barbes, les autres jugeant cela franchement laid. Une période d'engouement, où les obtenteurs ont tous (ou presque) essayé de créer leurs propres variétés à éperons ; c'était à qui présenterait les éperons les plus volumineux ou les plus extravagants. Une période de lassitude, pendant laquelle les excès de la période précédente ont détourné les amateurs. Une période de renaissance, qui dure depuis plus de vingt ans, qui a vu les « space age », comme on le appelle, retrouver les faveurs du public, grâce à une modération dans le développement des appendices et une recherche de fantaisie dans l'apparence de ces éperons. 'Coral Point' fait partie de cette dernière période. C'est un iris qui a tout pour plaire : une plante élégante et bien développée, une fleur classique et indémodable, un coloris agréable, des éperons discrets apportant une petite touche de fantaisie à une fleur plutôt sage. 

 Son pedigree associe des iris à éperons de la première génération : 'Sky Hooks' (Osborne, 1979) et 'Twice Thrilling' (Osborne, 1984) ; un plicata dans les tons rosés, 'Pink Ember' (Gibson, 1972) et un pur iris rose du meilleur faiseur, 'Playgirl' (Gatty, 1975). Il y a dans cette famille une majorité d'iris roses, une forte empreinte d'iris à éperons (bleus) et une touche d'iris jaune : de quoi faire une belle fleur. Mais rien de révolutionnaire, juste un peu de chance ! 

 Les descendants de 'Coral Point' ne sont pas très nombreux. Un hybrideur en a tiré une belle brochette de frères ou de cousins particulièrement remarquables. Il s'agit de Leonard Jedlicka, qui a enregistré huit rejetons de 'Coral Point', tous avec des éperons, dans des coloris et des dispositions variés, et dont le plus joli est peut-être 'Venus in Pink' (2007). On peut aussi noter 'Dazzling Sarah' (Burseen, 2006), 'Senzi Senzus' (Muska, 2006), 'Melodyia Liubvi' (Osipenko, 2011), à mon goût le plus joli, et 'Nyby' (Tasquier, 2018), le seul à ne pas être dans les tons de rose. Pour une variété qui n'a remporté aucune distinction officielle, c'est une belle descendance qui démontre ses qualités. 

 Illustrations : 


 'Coral Point' 


'Sky Hooks' 


'Twice Thrilling' 


'Pink Ember' 


'Playgirl' 


'Dazzling Sarah' 


'Melodyia Liubvi' 


'Nyby' 


'Venus in Pink'

FLORE PLENO

En horticulture la tentation est grande de se lancer à la recherche de la fleur double. Double, c'est à dire dont les fleurs présentent un grand nombre de pétales, ce qui est spectaculaire, donc vendeur, et quelquefois joli. L'exemple parfait de cette transformation est celui de la rose. Aujourd'hui il y a très peu de roses simples sur le marché, mais d'autres fleurs sont également devenues doubles, à la grande satisfaction des amateurs comme des marchands. Citons en exemple les œillets, les dahlias, les pivoines, les hémérocalles... Les horticulteurs sont arrivés à ce résultat par une transformation des étamines en pseudo-pétales, ce qui , évidemment, est plus facile lorsque ces étamines sont naturellement nombreuses. Les obtenteurs d'iris ont été tentés de chercher quelque chose d'équivalent, mais la configuration des fleurs d'iris n'est pas la même et avec seulement trois étamines par fleur on n'obtiendra jamais un effet spectaculaire ! D'où l'idée de chercher un autre moyen. 

 On peut dire que c’est à Lloyd Austin, obtenteur installé dès 1925 en Californie, que l’on doit le démarrage de l’intérêt pour cette recherche. Quand il a vu pour la première fois, au début des années 1950, des iris présentant des extensions étranges à l’extrémité des barbes, il s’est dit qu’il y avait là quelque chose qui méritait d’être profondément étudié. Il a dès lors entrepris un énorme travail de recherche et de croisement afin d’exploiter ce qui n’était alors qu’une anomalie, et d’apporter à ces nouveautés toutes les améliorations qui étaient possibles, de manière à ce que les éperons et autres pétaloïdes, confèrent aux fleurs une personnalité excitante mais aussi esthétique, et il semble qu’il ait tout inventé, à commencer par l’expression « Space Age » pour désigner ces nouveaux iris, leur attribuant du même coup une identité synonyme de modernité. Son premier enregistrement dans le genre s'appelle 'Unicorn' et s'il nous paraît vieillot aujourd'hui il n'en conserve pas moins sa situation révolutionnaire. 

 Au fil des années, les iris à ornements ont fait comme les autres : ils ont évolué, ils ont acquis les mêmes qualité que les autres, tant en élégance de la fleur qu’en robustesse de la plante. Il y a autant de différence entre un « space age » de Lloyd Austin et un « space age » de Richard Tasco qu’entre un iris traditionnel de Tell Muhlestein et un autre de Paul Black. Ils ont même fait mieux puisqu’ils ont vaincu leurs défauts structurels. En plus, peu à peu, leurs caractéristiques spécifiques se sont améliorées : les ornements sont devenus plus gracieux, ils ont acquis en raffinement, en importance, et tendent de plus en plus souvent vers l’apparence de fleur double qui est un des buts à atteindre. Le défi était pourtant d'importance car ces fleurs, longtemps écartées car considérées comme fautives, présentaient d'origine bien des défauts. Tout d'abord les éperons n'étaient pas fiables. Ceux situés à l'extrémité des barbes des fleurs les plus élevées sur la tige croissaient complètement, ceux des fleurs inférieures ne se développaient pas. L'effet n'était que partiel. Cet inconvénient est très net chez 'Ostrogoth' (Peyrard, 1993). En second lieu la présence de ces excroissances, dès qu'elle prenaient du volume, provoquaient des tensions dans la structure des sépales, raidissant le centre de ceux-ci, mais écroulant les côtés de sorte que les fleurs retrouvaient l'aspect disgracieux de certaines fleurs des années 1930. Par ailleurs, très vite les hybrideurs avides de fantaisie ont sélectionné des fleurs avec des pétaloïdes énormes, extravagants et plus spectaculaires qu'esthétiques, ce qui a eu tendance à détourner les vrais amateurs (voir 'Petal Pushers' (J. Painter, 2006). Pendant plusieurs années le nombre des nouveautés « à ornements » a eu tendance à décroître. Depuis deux ou trois ans un mouvement contraire se fait jour, mais les nouveaux space-age sont plus discrets, plus élégants et souvent très évolués. 

 Cette évolution concerne d'abord la recherche de la fleur véritablement double. En effet jusqu'à présent il n'y a pas de fleur d'iris doubles. Les iris à éperons ne parviennent pas, ou pas encore, à ce résultat. Un avancée est apparue il y a quelques années dans la pépinière de Leonard Jedlicka, sous la forme d'une fleur où de nombreuses excroissances assez semblables à de petits pompons se développent au niveau des barbes. L'effet « flore pleno » est bien là, mais les fleurs en questions ne répondent pas par ailleurs aux critères de qualité requis de nos jours. Autre évolution intéressante : les éperons présentent des couleurs qui contrastent avec celles des sépales, offrant à l’œil quelque chose d'agréable : voir 'Picker Upper' (L. Miller, 2022). 

 Le mouvement qui s'essoufflait semble maintenant bien reparti. Les obtenteurs les plus sceptiques ont surmonté leur réticence et on peut dire qu'il n'y a plus d'obstruction. Les juges US, que certains considèrent comme des irisariens de la vieille garde, ont encore sans doute encore un peu de mal à reconnaître l'intérêt de ces iris. Certes, ils ont consenti à couronner les trois lauréats de Monty Byers(1), mais depuis ils se sont repliés sur des positions plus traditionnelles. Ainsi, en 2007, ils n’ont décerné un AM qu’à un seul iris à éperons, ‘Solar Fire’ (Tasco 2002). Ce n'est pas étonnant que cela soit à ce niveau que l'appropriation du modèle ait le plus de mal à s'installer, mais il est réjouissant que cette évolution, partie d'un phénomène proche d'une mutation, qui apporte indéniablement quelque chose de moderne et de plaisant, soit désormais presque unanimement acceptée. 

 (1)Les trois variétés citées sont : 'Thornbird' DM 1997 'Conjuration' DM 1998 'Mesmerizer' DM 2002 

 Illustrations : 


 'Unicorn' 


'Ostrogoth'


'Petal Pushers'


iris à pompons de L. Jedlicka 


'Picker Upper' 


'Solar Fire'

3.1.22

ENCORE EN RETARD !

Décidément les fêtes ne valent rien pour la regularité d'Irisenligne ! Promis, cette semaine on en revient au vendredi !

UN BICOLORE RECHERCHÉ

Dans un de ses posts de novembre dernier, Keith Keppel a présenté l'une de ses dernières créations. Il s'agit du TB bicolore 'High Achiever' qu'il compte mettre sur le marché en 2022. A peu près au même moment Robert Piatek a fait la description de 'Invitation to Poland', une de ses créations qui a reçu le premier prix du concours de Münich 2021. C'est l'occasion d'évoquer un modèle d'iris qui a mis longtemps à émerger bien qu'il fut ardemment recherché par de nombreux hybrideurs : les bicolores rose/bleu, un modèle qui n'est pas très fréquemment rencontré et qu'il a fallu attendre jusqu'aux années 1960 pour les voir apparaître. 

 'Invitation to Poland' (Piatek, 2014) vient donc de remporter le premier prix du concours de Münich 2021. C'est une belle récompense pour un hybrideur qui est déjà dans la profession depuis de nombreuses années et qui s'y a fait une réputation d'excellence. Pour sa contribution au modèle il n'est pas parti de variétés de ce modèle, mais de deux iris dont l'un, l'élément mâle, restera toujours mystérieux. L'élément femelle, lui, est bien connu. Il s'agit de 'Naples' (T. Johnson, 2000), un bicolore aux pétales roses et sépales grenat foncé. De ce fait on ne peu pas dire grand chose des origines de cet iris rose saumoné aux sépales bleu pervenche, sinon qu'il apporte une nouvelle contribution à une association de couleurs très recherchée. Il s'agit donc d'un franc-tireur dont on connaîtra peut-être des descendants dans quelques années. 

'High Achiever', la nouveauté 2022 de Keith Keppel, est plus intéressant pour qui se penche sur les origines et les pedigrees. Il se définit comme « Swedish Lullaby X (Wishes Granted x (Easter Candy x Gambling Man)), un pedigree où se rencontrent trois descendants d'un croisement non dénommé (Silk Road x Roaring Twenties). Tous les membres de cette famille sont des variegatas jaune/bleu à l'exception de 'Roaring Twenties' qui a des pétales rose pâle et des sépales pourpre. C'est ce 'Roaring Twenties' qui est à la base de ce modèle rose et bleu. En effet il a pour parent femelle 'Poem of Ecstasy' (Hager, 1995) par lequel on rejoint la source de la plus grande partie des rose et bleu par le cheminement suivant : 
 'High Achiever' (Keppel, 2022)→ 'Roaring Twenties' (Keppel 2008)→ 'Poem of Ecstasy' (Hager, 1997)→ 'Adventuress (Hamblen, 1984)→ 'Song of Spring' (Hamblen, 1982)→ 'Sugarplum Fairy' (Hamblen, 1979)→ 'Touché' (Hamblen, 1966). 

 Chacun de ces iris est une étape dans l'amélioration du modèle. Déjà 'Touché' est une belle réussite. Il n'est pas lui-même directement relié au modèle puisqu'on peut dire qu'il en est l'origine, mais il descend d'un des piliers de la famille des bicolores, sous la forme du néglecta 'Melodrama' (Cook, 1956). A l'exception de 'Song of Spring', toutes les variétés citées sont des iris rose/bleu. 'Sugarplum Fairy', le second de la lignée, est décrit comme abricot/violet ; 'Adventuress' est dit « rosâtre sur violet prune »  et 'Poem of Ecstasy' « pêche clair sur lavande profond et doux ». On est bien devant une lignée remarquable. L'apport de 'Roaring Twenties' a permis d'obtenir une fleur aux couleurs très nettement tranchées avec un rose indiscutable et un bleu qui n'a plus rien de violacé. Keppel a pour habitude de ne sélectionner que des variétés d'exception. Il n'a pas perdu la main. Mais il ne faut pas oublier que dans le genre il a déjà obtenu un chef d'œuvre reconnu comme tel par tout le petit monde des iris : le multi-médaillé 'Florentine Silk' (2004). cet iris délicieux a obtenu la plus haute récompense de la plupart des compétitions auxquelles il a participé : Walther Cup 2007 : . Franklin Cook Cup 2007;  Wister Medal 2011, American Dykes Medal 2012. A Florence où il était en lice en 2008, il ne s'est classé qu'à la septième place : une contre-performance exceptionnelle ! 

Une autre origine des rose/bleu, toujours dans la production de Melba Hamblen, s'appelle 'New Rochelle' (1973). C'est l'un des parents de 'Heavenly Harmony' (Hamblen, 1977) et de 'Karen' (Hamblen, 1983), lui-même à l'origine d'une remarquable lignée où se rejoignent les descendants des deux branches de la famille de 'Touché'. 
 L'association du rose et du bleu n'est pas fréquente dans la nature, mais les horticulteurs réussissent des unions formidables et qui rencontrent un vrai succès auprès des amateurs. Grâce au travail de Melba Hamblen, puis de Keith Keppel, les iris disposent de variétés qui triomphe dans nos jardins.  

Illustrations : 


 'Invitation to Poland' 


 'High Achiever' 


 'Touché' 


 'New Rochelle'