7.1.22

FLORE PLENO

En horticulture la tentation est grande de se lancer à la recherche de la fleur double. Double, c'est à dire dont les fleurs présentent un grand nombre de pétales, ce qui est spectaculaire, donc vendeur, et quelquefois joli. L'exemple parfait de cette transformation est celui de la rose. Aujourd'hui il y a très peu de roses simples sur le marché, mais d'autres fleurs sont également devenues doubles, à la grande satisfaction des amateurs comme des marchands. Citons en exemple les œillets, les dahlias, les pivoines, les hémérocalles... Les horticulteurs sont arrivés à ce résultat par une transformation des étamines en pseudo-pétales, ce qui , évidemment, est plus facile lorsque ces étamines sont naturellement nombreuses. Les obtenteurs d'iris ont été tentés de chercher quelque chose d'équivalent, mais la configuration des fleurs d'iris n'est pas la même et avec seulement trois étamines par fleur on n'obtiendra jamais un effet spectaculaire ! D'où l'idée de chercher un autre moyen. 

 On peut dire que c’est à Lloyd Austin, obtenteur installé dès 1925 en Californie, que l’on doit le démarrage de l’intérêt pour cette recherche. Quand il a vu pour la première fois, au début des années 1950, des iris présentant des extensions étranges à l’extrémité des barbes, il s’est dit qu’il y avait là quelque chose qui méritait d’être profondément étudié. Il a dès lors entrepris un énorme travail de recherche et de croisement afin d’exploiter ce qui n’était alors qu’une anomalie, et d’apporter à ces nouveautés toutes les améliorations qui étaient possibles, de manière à ce que les éperons et autres pétaloïdes, confèrent aux fleurs une personnalité excitante mais aussi esthétique, et il semble qu’il ait tout inventé, à commencer par l’expression « Space Age » pour désigner ces nouveaux iris, leur attribuant du même coup une identité synonyme de modernité. Son premier enregistrement dans le genre s'appelle 'Unicorn' et s'il nous paraît vieillot aujourd'hui il n'en conserve pas moins sa situation révolutionnaire. 

 Au fil des années, les iris à ornements ont fait comme les autres : ils ont évolué, ils ont acquis les mêmes qualité que les autres, tant en élégance de la fleur qu’en robustesse de la plante. Il y a autant de différence entre un « space age » de Lloyd Austin et un « space age » de Richard Tasco qu’entre un iris traditionnel de Tell Muhlestein et un autre de Paul Black. Ils ont même fait mieux puisqu’ils ont vaincu leurs défauts structurels. En plus, peu à peu, leurs caractéristiques spécifiques se sont améliorées : les ornements sont devenus plus gracieux, ils ont acquis en raffinement, en importance, et tendent de plus en plus souvent vers l’apparence de fleur double qui est un des buts à atteindre. Le défi était pourtant d'importance car ces fleurs, longtemps écartées car considérées comme fautives, présentaient d'origine bien des défauts. Tout d'abord les éperons n'étaient pas fiables. Ceux situés à l'extrémité des barbes des fleurs les plus élevées sur la tige croissaient complètement, ceux des fleurs inférieures ne se développaient pas. L'effet n'était que partiel. Cet inconvénient est très net chez 'Ostrogoth' (Peyrard, 1993). En second lieu la présence de ces excroissances, dès qu'elle prenaient du volume, provoquaient des tensions dans la structure des sépales, raidissant le centre de ceux-ci, mais écroulant les côtés de sorte que les fleurs retrouvaient l'aspect disgracieux de certaines fleurs des années 1930. Par ailleurs, très vite les hybrideurs avides de fantaisie ont sélectionné des fleurs avec des pétaloïdes énormes, extravagants et plus spectaculaires qu'esthétiques, ce qui a eu tendance à détourner les vrais amateurs (voir 'Petal Pushers' (J. Painter, 2006). Pendant plusieurs années le nombre des nouveautés « à ornements » a eu tendance à décroître. Depuis deux ou trois ans un mouvement contraire se fait jour, mais les nouveaux space-age sont plus discrets, plus élégants et souvent très évolués. 

 Cette évolution concerne d'abord la recherche de la fleur véritablement double. En effet jusqu'à présent il n'y a pas de fleur d'iris doubles. Les iris à éperons ne parviennent pas, ou pas encore, à ce résultat. Un avancée est apparue il y a quelques années dans la pépinière de Leonard Jedlicka, sous la forme d'une fleur où de nombreuses excroissances assez semblables à de petits pompons se développent au niveau des barbes. L'effet « flore pleno » est bien là, mais les fleurs en questions ne répondent pas par ailleurs aux critères de qualité requis de nos jours. Autre évolution intéressante : les éperons présentent des couleurs qui contrastent avec celles des sépales, offrant à l’œil quelque chose d'agréable : voir 'Picker Upper' (L. Miller, 2022). 

 Le mouvement qui s'essoufflait semble maintenant bien reparti. Les obtenteurs les plus sceptiques ont surmonté leur réticence et on peut dire qu'il n'y a plus d'obstruction. Les juges US, que certains considèrent comme des irisariens de la vieille garde, ont encore sans doute encore un peu de mal à reconnaître l'intérêt de ces iris. Certes, ils ont consenti à couronner les trois lauréats de Monty Byers(1), mais depuis ils se sont repliés sur des positions plus traditionnelles. Ainsi, en 2007, ils n’ont décerné un AM qu’à un seul iris à éperons, ‘Solar Fire’ (Tasco 2002). Ce n'est pas étonnant que cela soit à ce niveau que l'appropriation du modèle ait le plus de mal à s'installer, mais il est réjouissant que cette évolution, partie d'un phénomène proche d'une mutation, qui apporte indéniablement quelque chose de moderne et de plaisant, soit désormais presque unanimement acceptée. 

 (1)Les trois variétés citées sont : 'Thornbird' DM 1997 'Conjuration' DM 1998 'Mesmerizer' DM 2002 

 Illustrations : 


 'Unicorn' 


'Ostrogoth'


'Petal Pushers'


iris à pompons de L. Jedlicka 


'Picker Upper' 


'Solar Fire'

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