26.2.21

L'HORTICULTEUR DE PALAISEAU

à la manière de Georges Simenon (une enquête du commissaire Maigret) 

 Ici même, en janvier 2016, un pastiche de Fred Vargas a été publié sous le titre de « Mortel Iris ». Le même sujet revient aujourd'hui, mais cette fois à la manière de Simenon et de son illustre commissaire Maigret. L'affaire se passe dans les années 1930... 

Quand Maigret, avec un soupir de lassitude, se leva de son bureau, il n'avait vraiment aucune envie de se rendre en banlieue, à Vitry précisément. Il aurait bien préféré y envoyer Lucas ou Torrence, mais l'un et l'autre étaient en vacances pour le pont de la Pentecôte. Le premier était dans sa famille à Lyon, le second quelque part dans Paris, mais comme d'habitude, il n'avait pas donné d'adresse où le joindre en cas de nécessité. Et puis le ministre de l'agriculture lui-même lui avait demandé d'intervenir... Il descendit lentement l'escalier poussiéreux et rejoignit Janvier dans la cour de la Préfecture où ce dernier l'attendait au volant de la vieille C6 Citroën de service. Après quelques minutes il se tourna vers Janvier, qui conduisait lentement le long des quais et le trouva pâle et préoccupé, ce qui le dissuada de lui adresser la parole. Ils continuèrent ainsi en silence dans cette voiture fatiguée et qui sentait l'essence. Passant devant la gare d'Austerlitz, il se dit que par ce matin de mai gris et humide il ne devait pas trop regretter de ne pas pouvoir aller à Meung sur Loire où pourtant il aurait bien aimé retrouver sa petite maison. Un peu somnolent, il se remémora l'appel du ministre : « Bonjour, commissaire. C'est une affaire un peu spéciale qui m'amène à vous déranger. Figurez-vous que mon ami Christian Joyeux, vous savez, le grainetier du quai de la Mégisserie, vient de m'apprendre une bien mauvaise nouvelle. Il est chez lui à Vitry, avec quelques collègues, à propos d'iris... Et ce matin, alors qu'il se penchait sur une fleur pour en apprécier le parfum, un de ses invités, son confrère Gabriel Millon, s'est écroulé, mort ! Mon cher Maigret vos m'obligeriez en vous rendant là-bas pour essayer d'élucider ça... » 

 C'est un homme plutôt âgé, portant beau, qui vint au devant du commissaire au pied du perron d' une superbe maison de maître. 

« - Vous êtes de la police, demanda-t-il, dès qu'il fut à la portée des deux visiteurs ? Je suis Christian Joyeux. 

- Commissaire Maigret, et voici l'inspecteur Janvier. 

- Je suis bouleversé, reprit le maître des lieux. Quelle affaire !  Pensez que se trouvent ici des personnalités américaines, anglaises et allemandes !» 

Il avait une vague ressemblance avec l'ancien Président Raymond Poincaré ce qui amena un vague sourire sur le visage du commissaire. Un autre personnage s'avançait à son tour, petit, rondouillard, et dont on devinait instantanément qu'il faisait partie de la police. On sentait en lui, dès le premier contact, l'homme jovial et bon vivant mais manifestement imbu de lui-même. Il connaissait visiblement les deux arrivants, qu'il salua chaleureusement. Janvier eut même droit à une bourrade amicale dans l'épaule qu'il encaissa sans sourciller avant de prendre congé et de ce diriger vers le jardin où s'agitaient plusieurs personnes. Le commissaire et les deux autres entrèrent dans la maison ; Joyeux les dirigea vers un petit salon élégamment meublé dans le style Napoléon III. Coulomb, le policier local entama aussitôt le récit des faits tels qu'ils les connaissaient : 

 «  - La victime s'appelait Gabriel Millon, de Palaiseau, c'était un confrère de Monsieur Joyeux dit-il cérémonieusement. Il était ici pour un participer à une réunion professionnelle à propos de la culture d'iris dans laquelle Monsieur Joyeux est une personnalité connue dans le monde entier. 

- Et ce monsieur est mort dans quelles circonstances ? Intervint Maigret 

- Il souhaitait apprécier le parfum d'une fleur. Il s'était penché sur elle pour la sentir, et il s'est écroulé presque immédiatement ! 

- Crise cardiaque ? 

- Eh bien non, justement, le légiste, le docteur Poisson, est affirmatif, il parle d'une mort par absorption d'un poison qui aurait été vaporisé sur les fleurs ! Il en a récupéré plusieurs, qu'il va faire analyser. 

- C'est tout à fait exact approuva Christian Joyeux. Pour compléter votre information, Monsieur le Commissaire, j'ajouterai que c'est un vrai miracle qu'aucun autre de mes amis n'ait été intoxiqué ! Pensez que notre ami Hermann Goetz était à deux doigts de faire le même geste ! » 

Une dame fit son entrée. Les cheveux coupés au carré, toute vêtue de blanc, elle était à la fois à la dernière mode et d'une sobre élégance. 

« - Commissaire, je vous présente Mrs. Blake, de Boston, dit Christian Joyeux avec une certaine emphase. Elle accompagnait notre ami Gabriel Millon à l'instant fatal. Elle souhaite témoigner, mais je vous informe de ce qu'elle ne s'exprime pas en français ». 

Maigret, lui-même ne parlant pas anglais, se contenta de saluer sobrement, mais le petit Coulomb voulut montrer tout de suite ses dons pour la langue de Shakespeare. La dame américaine, malgré la gravité de la situation, fut sensible à cette attention qui lui évitait la perspective de baragouiner dans un idiome dont elle ne connaissait quasiment rien. S'en suivit une conversation dont Maigret ne saisit pas un mot. Il manifesta une certaine impatience et, reprenant son chapeau qu'il avait déposé devant lui sur un guéridon, se leva : 

«  - Je vous laisse !, Coulomb, vous me résumerez ce témoignage tout à l'heure, je vais faire un tour dans le parc... » 

 Tout autour du domaine de Christian Joyeux on constatait un mélange de vastes pépinières et de pavillons de banlieue tout neufs. La ville mangeait la campagne et il était évident que peu à peu ces terres pleines d'arbrisseaux et de fleurs seraient bientôt converties en petites parcelles où pousseraient d'innombrables pavillons de meulière, tous semblables et anonymes. Maigret eut un soupir désabusé et se dirigea vers le groupe où il apercevait la haute silhouette un peu voutée de l'inspecteur Janvier. Partout autour de lui, ce n'était que touffes d'iris. Ils étaient plantés deux par deux, sur de longues plate-bandes rectilignes. La plupart se trouvaient en fleur, mais certains, qui avaient mal poussé, restaient à l'état de plantes chétives, quelques-uns étaient morts et laissaient un espace vide parmi leurs frères, exubérants. Consigne avait été donnée de ne pas se pencher pour humer les fleurs et plusieurs employés de la maison Joyeux, reconnaissables au tablier de jardinier qu'ils arboraient, répétaient l'interdiction à tous ceux qui s'approchaient. Maigret ignorait que les Ets. Joyeux et Mauclair, renommés pour leur graines et plantes potagères, s'adonnait aussi à la culture des iris. Les grandes fleurs somptueuses qu’il côtoyait à cet instant lui inspiraient plus de curiosité que d'intérêt. En fait il repassait dans son esprit les événements que Coulomb avait racontés, mais il lui était arrivé tant de fois de faire face à des situations extravagantes, de côtoyer des individus tellement bizarres, que la mort d'un renifleur de fleurs ne lui paraissait pas plus étrange qu'une autre. Il s'intéressait, en fait, à la physionomie des personnes présentes, à leur accoutrement, à leur démarche, à leur attitude... Janvier, l'ayant aperçu se détacha du groupe pour venir à sa rencontre (..).

19.2.21

LES ANNÉES BLANCHES

Pour toutes les récompenses délivrées par l'AIS, 2020 a été une année blanche puisqu'aucun jardin où les plantes auraient pu être jugées n'a pu ouvrir en raison des restrictions sanitaires. C'est quelque chose d'extraordinaire que ni la grand dépression de 1929, ni la seconde guerre mondiale n'avaient provoqué. Pourtant des années blanches avaient déjà eu lieu, mais si ces années-là la Médaille de Dykes, par exemple, n'avait pas été attribuées, c'était pour des motifs bien moins graves. 

 Depuis sa création en 1927 et jusqu'à aujourd'hui la Médaille de Dykes n'a pas été décernée neuf fois. Et à chaque fois c'est pour une question de règlement. Nous allons examiner cela maintenant. 

Première défaillance, en 1928. A peine a-t-elle été créée qu'elle reste dans les tiroirs ! A cette époque de pionniers, le système d'attribution des quelques récompenses existantes repose pur la décision sans appel du « Board of Directors », autrement dit le Comité des Directeurs. Ces derniers attribuent la médaille – que la British Iris Society, autant par générosité que pour bien affirmer sa suprématie offre à quelques Sociétés sœurs – à une variété choisie dans un panel préalablement arrêté. En 1927, pour la première attribution, ils avaient voté pour le plicata 'San Francisco' ; en 1928 ils n'ont pas réussi à ce mettre d'accord sur un nom. Les variétés en compétition étaient peu nombreuses et il est effectivement possible qu'aucune n'ait été au niveau. 

 Deux ans plus tard, en 1930, on ignore la ou les raisons pour lesquelles la DM n'a pas été décernée. Dans aucun document on ne trouve d'explication. Ce silence prudent résulte-t-il d'une volonté de ne froisser aucun des Directeurs dont les voix n'ont pas réussi à s'accorder ? Le mystère restera sans doute éternellement entier. 

Nouvel échec l'année suivante, en 1931. Cette fois le règlement a été revu au cours de l'année 1930. Il exige que les plantes susceptibles de recevoir la DM aient pu être jugées pendant deux ans. Cela ne pouvait donc pas être le cas en 1931 puisque la nouvelle réglementation datait de l'année précédente. Exit donc la DM ! 

 Une période de douze ans va s'écouler avant une nouvelle année blanche. Ce sera en 1946. Cette fois l'incident a pour origine une autre clause du règlement. Celui-ci n'a pas prévu de solution pour le cas où plusieurs variétés obtiennent le même nombres de votes. Or cette année-là 'Daybreak' (Kleinsorge, 1941) et 'Ola Kala' (J. Sass, 1942) n'ont pas pu être départagés. Et pas un mot à propos de cette situation dans le fameux règlement qui aurait pu prévoir un système de prolongation analogue à ce qui se passe dans les sports d'équipe. Mais non, rien. Alors le Comité de Direction a pris la décision de ne pas accorder la médaille. C'est un coup dur pour Rudolph Kleinsorge parce que l'année précédente son 'Daybreak' avait échoué de quelques voix dans cette compétition et qu'il se voyait une nouvelle fois privé de récompense. 'Ola Kala' aura plus de chance et triomphera enfin en 1948. 

Quatorze ans plus tard, en 1960, une situation identique se présente. Cette fois ce sont 'Techny Chimes' (Reckamp, 1955) et 'Eleanor's Pride' (Watkins, 1952) qui font match nul. Donc pas de médaille puisqu'il n'est pas prévu d'en attribuer deux la même année. Charles Reckamp était un moine, ce qui n'est tout de même pas fréquent dans le domaine de l'horticulture. Mais ce n'est pas pour autant que le ciel lui ait donné un petit coup de pouce ! Edward Watkins aura plus de chance car les juges se raviseront et son 'Eleanor's Pride' décrochera la prestigieuse médaille l'année suivante. Mais pour 'Techny Chimes' il n'y aura pas de rachat... 

 En 1969 une autre clause du règlement va devoir être appliquée. Pour l'emporter il est prévu qu'une variété doit recueillir au moins 15% des voix de l'ensemble des votants. Or cette barrière n'est pas atteinte par la variété arrivée en tête, 'Skywatch' (Benson, 1963). Encore une année blanche, donc. Mais qu'à cela ne tienne, en 1970 les juges se rattraperont et 'Skywatch' recevra enfin la Médaille de Dykes. 

Incident identique en 1987. Malgré toutes ses qualités et en dépit de sa couleur totalement nouvelle, 'Copper Classic' (Roderick, 1977) ne franchira pas le seuil des 15%. En 1985 il avait été battu de peu par le célèbre 'Beverly Sills' (Hager, 1978) ; en 1986 c'est 'Song of Norway' (Luihn, 1977) qui l'avait devancé et pour sa troisième et dernière participation il n'a pas obtenu assez de voix. C'est le Poulidor de la DM ! 

 Il est curieux de constater qu'à cette époque les éternels seconds ne manquent pas. Prenez le cas de 'Laced Cotton' (Schreiner, 1978). C'est une variété qui a eu un succès colossal, mais cela ne l'a pas empêchée d'échouer trois fois à la DM. Une première en 1986 où ses challengers étaient 'Song of Norway' et 'Copper Classic' et où c'est 'Song of Norway' qui l'a emporté comme on vient de le voir ; en 1987 il fait encore match nul avec 'Copper Classic' et la DM lui a de nouveau échappé ; et en 1988 il s'est heurté à un autre malchanceux, 'Az Ap' (Ensminger, 1979) ainsi qu'à une pointure, 'Titan's Glory' (Schreiner, 1981), et c'est celui-ci qui s'est imposé. 

 En 1989, nouvelle application de la règle des 15%. Celui qui s'est le plus approché de ce pourcentage est l'intermédiaire Az Ap (Ensminger, 1979) mais il y avait à l'époque une sorte de « plafond de verre » qui rendait de fait inéligible toute autre catégorie que les TB. C'est cette krypto-règle qui, très vraisemblablement, a privé 'Az Ap' de la DM pour la deuxième fois. De même, en 1990, c'est ce même ostracisme qui, pour sa dernière tentative, l'a écarté pour la troisième fois. Du moins l'échec de 1989 a-t-il convaincu le Comité des Directeurs de l'AIS de modifier le règlement. Plusieurs voix s'étaient en effet élevées pour faire remarquer que dans la masse énorme de variétés produites aux USA chaque année il était bien improbable qu'il n'y en ait pas une seule en capacité d'être couronnée. Il est évident par ailleurs que plus il y avait de concurrents plus il était difficile de franchir le cap des 15%. Le règlement a donc été modifié et, depuis, il n'y a donc plus eu aucune année blanche. 

Les péripéties ci-dessus ont été fort bien décrite dans le bulletin d'automne 2020 de l'AIS par Kathy Oldham, irisarienne californienne bien connue, et je lui ai emprunté bon nombre des informations qui ont documenté ma propre chronique. 

 Illustrations :




'Daybreak' 



'Techny Chimes' 



'Copper Classic' 



'Laced Cotton'



'Az Ap'

13.2.21

ECHOS DU MONDE DES IRIS

176 

C'est le nombre total de nouvelles variétés mises cette année sur le marché par MID-AMERICA I. G.  autrement dit le duo Paul Black / Thomas Johnson, y compris les variétés obtenues par Barry Blyth et Lynda Miller. 

Une telle production dépasse l'imagination. Surtout quand on constate que tous ces iris ont l'air particulièrement beaux. On peut crier au progrès (il est vrai qu'il est maintenant assez facile d'obtenir de nombreux iris de valeur dans un même semis) mais si les amateurs ont ainsi un choix considérable, cette inflation remet en cause le fonctionnement de la course aux honneurs américaine, et complique énormément la sélection que vont devoir faire les pépiniéristes du monde entier pour constituer leurs commandes aux USA. 

Trop de choix tue le choix.

LA FLEUR DU MOIS

'Titan's Glory' (Schreiners, 1981) 

'Navy Strut' X semis H 201-2: ((semis Y 54-A x Y 240-B) x ('Rococo' x 'Prince Indigo')) 

Quarante ans ! 'Titan's Glory' va avoir quarante ans ! Quand on le regarde on n'a pas l'impression d'être en face d'une fleur que les Américains traitent d'historique depuis dix ans déjà. Je me souviens que lorsque j'ai commencé à me passionner pour les iris, c'était justement au début des années 1980, Un iris des années 1940 avait un aspect franchement « old style » caractéristique. Une variété de 2020 n'est pas si différente de ce que peut être 'Titan's Glory'. De ce côté il y a une pause qui mérite d'être remarquée. On peut s'en rendre compte en mettant côte à côte,par exemple, les photos de 'Blue Rhythm' (A. Whiting, 1945), 'Titan's Glory' (Schreiner,1981) et 'Bord de Loire' (R. Cayeux, 2019). 

 En plus d'une fleur ample et majestueuse, 'Titan's Glory' est un iris issu de l'une des meilleures lignées, celle de 'Chivalry' (J. Wills, 1943), décoré de la Médaille de Dykes en 1947. L'histoire de l'hybridation parle de trois grandes lignées d'iris bleus : la lignée 'Missouri', la lignée 'Great Lakes, puis la lignée 'Cahokia'. Réduire l'histoire à ces trois variétés est forcément un peu réducteur, mais il faut bien se fixer des points de repère. Au fil du temps ces trois lignées ont été unies, fondues et aujourd'hui on ne peut plus se fier à ce classement. Cependant avant d'arriver à la fusion que l'on constate maintenant, il y a eu des unions intermédiaires qui ont généré des lignées nouvelles, elles-même très importantes pour l'évolution des iris. C'est ainsi que 'Missouri' (J. H. Grinter, 1933) a été croisé avec 'Great Lakes' (L. W. Cousins, 1938) et qu'est apparu 'Chivalry'. 

On retrouve ce 'Chivalry' à deux reprises dans le pedigree de 'Titan's Glory' : d'abord dans les ancêtres de 'Navy Strut' (Schreiner, 1972), en tant que parent de 'Dr Wanlass' (T. Muhlestein, 1956), situé deux générations avant 'Navy Strut' ; ensuite derrière 'First Violet' (DeForest, 1951) dont descend 'Prince Indigo' (Schreiner, 1964). Les croisements de cette espèce constituent une voie royale pour l'obtention d'iris bleus ou violets de qualité.Pas étonnant donc que 'Titan's Glory' ait été ce que les Américains appellent un « winner » ! 

Ces origines prometteuses, la Médaille de Dykes obtenue en 1988, les qualités de la plante et la beauté de la fleur ont tenté une multitude d'hybrideurs, de sorte que 'Titan's Glory' est l'une des variétés ayant une des plus nombreuses descendance. On lui compte à l'heure actuelle plus de 100 variétés enregistrées dans le pedigree desquelles il figure. 

Curieusement, cependant, cette famille nombreuse ne contient pas beaucoup de variétés ayant atteint une grande célébrité. On y remarque plusieurs produits signés Schreiner, ce qui n'est pas étonnant. Entre autres on peut citer 'Black Tie Affair' (1993), 'Darkside' (1985), 'Hello Darkness' (1992) ou 'Midnight Express' (1988). 

 Mais il y a dans le pedigree de Titan's Glory' un côté intéressant dont on n'a pas parlé jusqu'à présent. Il s'agit de 'Rococo' (Schreiner, 1959). Cette variété est un fameux plicata qui a apporté dans les gènes de 'Titan's Glory' un élément récessif qui n'est pas souvent réapparu par la suite. On le découvre cependant dans 'Oreo' (K. Keppel, 2003, plicata sombre dont l'apparence (pour faire bien on devrait dire le « look ») est typique du travail de celui qui s'est choisi le pseudonyme de plicataman. 

 'Titan's Glory' n'est pas une variété révolutionnaire. Au contraire, c'est un iris on ne peut plus traditionnel, mais cela n'est pas péjoratif. C'est une variété indémodable, que tout collectionneur se doit de posséder. 

 Illustrations : 





'Titan's Glory' 

'Navy Strut' 


'Rococo' 


'Prince Indigo' 


'Darkside' 




LA DÉCEPTION DU Dr LOOMIS

Dans la biographie de Philip Loomis, publiée ici en janvier 2010, il y a quelque chose qui a été oublié : la déception que ce grand hybrideur a du connaître en 1934 quand l'un de ses iris n'a pas pu recevoir la Médaille de Dykes qui lui était pourtant promise. Cette variété maudite s'appelle 'Blue Velvet' (Loomis, 1929). Le docteur Loomis devait pourtant avoir un sentiment très particulier pour cet iris qui était le premier qu'il ait enregistré. Quand on connaît le rigueur avec laquelle il sélectionnait ses obtentions, on peut être convaincu des qualités de ce premier-né ! 

Pour la médaille de 1934 il n'y avait pas beaucoup de candidats, et dans le petit monde américain des iris il se disait que le vainqueur allait être ce 'Blue Velvet' que chacun considérait comme le meilleur. Bien entendu Philip Loomis était au courant de ces opinions favorables et il devait s'en réjouir in petto comme font tous les favoris d'une compétition quelle qu'elle soit. Mais un grain de sable est venue gripper la machine. Ce grain de sable c'est un point du règlement de la compétition qui avait évolué à l'automne 1933 et qui dès ce moment exigeait que pour être éligible à la DM, une variété devait avoir été enregistrée et mise sur le marché depuis au moins cinq ans. L'introduction de 'Blue Velvet' datait de 1929, ce qui était tout à fait à la limite. Par ailleurs une variété mise sur le marché en 1929, ('Rameses', Sass,1928), avait déjà obtenu la DM, en 1932. Dans ces conditions le Bureau des Directeurs de l'AIS a été d'avis que 'Blue Velvet' n'était pas éligible et a refusé de lui accorder la médaille, en décidant tout de même de ne la délivrer à aucun autre iris. 

Voilà comment le Dr. Loomis a du attendre huit ans encore avant de voir l'une de ses variétés enfin couronnée. 

La description qui est donnée de 'Blue Velvet' dans le catalogue de ses introducteurs, Mr et Mrs Douglas Pattison, est la suivante : « Iris d'une beauté superlative. Grande fleur de substance épaisse portée par une tige rigide, joliment branchée. D'un bleu foncé pur, riche et d'une matière charnue. Toute la fleur est d'un aspect velouté jusqu'ici inégalé. Les pétales sont de la même teinte que les sépales et tout aussi veloutés. On peut le comparer au velours bleu le plus sombre, le plus riche et le plus profond. Il n'y a pas de descendant de 'Dominion' qui lui soit comparable et à notre avis c'est un des meilleurs iris que nous ayons introduits. » Il faut faire la part de l'argumentation commerciale, mais 'Blue Velvet' est sûrement un iris de grand mérite, et d'ailleurs les Pattison avaient la réputation d'être très exigeants et de n'ouvrir leur pépinière qu'à des plantes exceptionnelles. 

Le docteur Loomis n'a pas donné le pedigree de son iris, à l'époque cela n'était pas une obligation, de sorte que l'on ne sait de ses origines que ce que le uns ou les autres en ont dit. En particulier à ce que Mrs. Pattison en a écrit dans la description donnée ci-dessus, à savoir que c'est un descendant de 'Dominion', donc un TB tétraploïde. La couleur de 'Blue Velvet' est effectivement un bleu remarquable, un bleu légèrement violacé comme c'était inévitable avant les années 1960, mais devenu par la suite assez courant. Ce qui le caractérise serait plutôt sa pureté. Les pétales, légèrement plus clairs que les sépales, rappellent ceux de 'Dominion', ce qui tend à confirmer la paternité évoquée. D'après Kathy Oldham qui a, dans le bulletin de l'AIS de l'automne 2020, rappelé l'anecdote de cet iris, 'Blue Velvet' a évoqué aux yeux d'un amateur le bleu des vitraux de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ce qui en dit long sur l'admiration que cette couleur a suscité dans les années 1930 ; un peu comme l'admiration étonnée qui a accompagné l'apparition de 'Mystique' (Ghio, 1972). 

On ne lui connaît que deux descendants enregistrés, et ce ne sont pas des produits q'une grande maison mais ceux d'amateurs néanmoins confirmés. 'Lady Beaumont' (Mrs. Beaumont, 1956) est sobrement décrit comme un unicolore violet ; l'énigmatique 'B.P.O.E.' (W.E. Taylor, 1946) n'est quant à lui décrit que sous le code (en vigueur à l'époque) B7D, ce qui signifie qu'il s'agit d'un iris unicolore rouge sombre. Ce faible nombre de descendants ne veut pas dire que les hybrideurs n'ont pas trouvé d'intérêt à cette variété, mais au contraire qu'ils l'ont considérée comme un achèvement, et qu'il n'était pas imaginable d'apporter un progrès à cet iris. 

Que 'Blue Velvet' ait été exclu de la Médaille de Dykes uniquement pour une question réglementaire – au demeurant discutable - alors qu'au plan de l'horticulture il avait tout pour triompher a du effectivement causer bien du dépit à son obtenteur Philip Loomis. Mais ce cas n'est pas unique et l'on connaît plusieurs autres variétés parfaites qui, pour une raison ou une autre, n'ont pas reçu la récompense suprême. 

Illustrations : 

'Blue Velvet'

 

'Rameses' 


'Dominion' 


'Mystique'

5.2.21

DYKES ET PLICATAS

Le modèle plicata, avec ses infinies variantes, atteint aujourd'hui un haut degré de complexité et provoque une vive émulation chez les hybrideurs. Mais il a toujours été dans le cœur des amateurs d'iris. Pour preuve le fait que c'est celui du récipiendaire de la première médaille de Dykes, en 1927. Depuis, après une longue période d'absence qui a duré presque un demi-siècle au cours duquel il n'a été honoré qu'à deux reprises, il s'est installé cinq fois dans le fauteuil de leader. Ce qui fait qu'en 93 ans la médaille tant convoitée a été attribuée à huit plicatas. Dans la présente chronique nous allons faire connaissance avec ces différents lauréats. 

'San Francisco' (William Mohr, 1927). 

Plicata violet sur fond blanc. ('Conquistador' x 'Parisiana') X 'Esplendido'. Couronné l'année même de son introduction sur le marché, ce qui était la règle en ces jours de pionniers. 'Conquistador' est également un produit de W. Mohr ; il date de 1923. C'est un majestueux iris violet. En plein dans la période de passage de la diploïdie à la tétraploïdie, c'est l’heureux croisement d'une variété diploïde, 'Juniata' (Farr, 1909) et d'un représentant de l'espèce tétraploïde I. mesopotamica. 'Parisiana' (Vilmorin, 1911) est un plicata diploïde de la même veine que les tout premiers des iris hybrides sélectionnés. 'Esplendido' (W. Mohr, 1924) allie I. mesopotamica et 'Parisiana', renforçant chez son descendant les caractères qui en font la force. 

'Stepping Out' (Schreiner, 1964). 

Grande zone blanche aux bords vivement marqués de dessins bleu-violet foncé. Parents inconnus. Sacré en 1968. On remarque immédiatement les énormes progrès qui ont transformé le modèle au cours des 30 ans qui ont séparé les croisements à l'origine de 'San Francisco' et de 'Stepping Out'. Ce dernier doit très certainement être le grand iris barbu le plus connu et le plus répandu dans le monde. Une foule d'iris lui ressemblant beaucoup ont été mis sur le marché mais aucun n'a obtenu un succès commercial aussi immense. C'est au point que lorsqu'on parle de plicata on pense immanquablement à 'Stepping Out'. Et le fait que ses obtenteurs n'aient pas, par souci de ne pas donner d'information inexacte, fourni les noms de ses parents n'a pas empêché son utilisation pour des croisements divers : on lui connaît plus de 200 descendants enregistrés ! En plus d'avoir été le meilleur iris américain de l'année 68, c'est bien lui le roi des plicatas. 

'Kilt Lilt' (James Gibson, 1969). 

Mélange d'or et de brun sur les pétales ; sépales brun acajou sur fond blanc. Semis # 1-2 PLD X 'Golden Filigree'. Médaillé en 1976, huit ans donc après 'Stepping Out'. C'est un tout autre type de plicata, que l'on appelle aussi variegata-plicata. C'est un modèle dont Jim Gibson s'est fait le champion et c'en est le triomphe absolu. D'ailleurs 45 ans plus tard il n'est pas du tout démodé. Gibson travaillait à ce modèle depuis les années 1950. 'Golden Filigree' (1964) était loin d'avoir la richesse de 'Kilt Lilt' mais le procédé de l'endogamie a prouvé là son intérêt. Pour ce qui est de sa descendance, 'Kilt Lilt' a engendré de nombreux plicatas dans son genre, chez plusieurs hybrideurs huppés, comme Keith Keppel -'Morocco' (1978)- , mais les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur des espérances... 

'Jesse's Song' (Bryce Williamson, 1979). 

Pétales centrés de blanc, poudrés et liserés de violet ; sépales plicata blanc bordés de violet qui se trouve également poudré sur le fond blanc ; barbe jaune citron pointé de blanc bleuté. ('Charmed Circle' x 'Kiss') X ('Smoke Rings' x 'Décolletage'). Récompensé en 1990. Issu d'un panel de plicatas de différentes couleurs, c'est un excellent résultat dans un style très classique. Cette variété n'a pas eu une descendance remarquable sauf en ce qui concerne 'Splashacata' dont nous parlerons un peu plus loin. 

'Everything Plus' (O. David Niswonger, 1983). 

Pétales blanc bleuté ; les sépales ont un fond blanc avec des dessins plicata d'un violet profond ; barbe violet pourpré pointé de bronze. 'Focus' X 'Spinning Wheel'. Médaille de Dykes 1991. C'est un autre type de plicata qui est cette fois récompensé. Un type mis en évidence par 'Spinning Wheel' (Nearpass, 1974) qui tient son côté bicolore du fameux 'Melodrama' (Cook, 1956). Pas de descendance intéressante. 

'Splashacata' (Richard Tasco, 1997). 

Médaillé en 05. Pétales violet pâle ; bras de style de la même couleur, côtes plus foncées ; Fond des sépales blancs, entièrement recouvert d'un poudrage violet plus concentré sur les bords ; barbes blanches légèrement pointées de violet, avec l'extrémité des poils jaune doré. 'Purple Pepper' X ('Snowbrook' x Jesse's Song). Le plumetis violet est un héritage de 'Purple Pepper' (Nearpass, 1986), la perfection formelle de la fleur vient des deux autres parents, tous deux plicatas impeccables, en particulier 'Jesse's Song', lui-même médaillé en 1990. Les 27 descendants enregistrés ont tous tenté de récupérer le poudrage caractéristique ; avec plus ou moins de bonheur. Le plus réussi de ces semis doit être 'Celestial Explosion' (R. Tasco, 2003). 'Artistic Web' (R. Tasco, 2010) transforme ces petits grains si jolis en fines rayures, ce qui n'est pas mal non plus ! 

'Starwoman' (Marky Smith,!997)

A reçu la médaille en 2008. Révolution, ce n'est pas un TB qui est couronné cette année-là mais un iris intermédiaire (IB). C'est la première fois que cela se produit ! La description de cet iris est fine et détaillée : « Pétales d'un violet royal foncé, petites marques lavande grisé sur les côtes d'un violet profond ; bras des styles d'un mauve violacé soutenu plus grisé sur les bords ; sépales au fond gris perle, ligne centrale et liseré d'1,1 cm de large d'un violet-noir très foncé taché de violet sombre ; barbes bleu violacé aux extrémités, centre également violacé mais pointé de jaune doré et gorge jaune ». Elle concerne une variété issue du croisement entre un SDB et un TB : Chubby Cheeks X (Snowbrook x sib). 'Chubby Cheeks' est un petit SDB très prisé, aussi bien des hybdideurs que du grand public, quant au semis (Snowbrook x sib), c'est un produit Keppel où refait surface un 'Snowbrook', délicat plicata bleu clair, déjà au pedigree de 'Splashacata' décrit ci-dessus. Malgré son succès à la DM, 'Starwoman' n'a guère inspiré les hybrideurs. Celui a en avoir tiré le meilleur profit est Jean Claude Jacob,avec l'IB plicata bleu 'Chicolodenn' (2013) et le SDB 'Loulou' (2016), plicata en indigo sombre.

'Drama Queen' (Keith Keppel, 2002) 

Est le dernier à avoir été distingué. C'était en 2011. Dans son langage imagé Keith Keppel décrit ainsi cette variété : « Pétales presque totalement violet cyclamen tirant vers le noir, le fond brun doré apparaît vers la base ; bras de styles en mélange de brun rosé et de pourpre ardoisé ; sépales cyclamen, le fond beige orangé se montrant sous les barbes et dans les veines ; barbes rouille orangé, violet à mi-hauteur et base blanche. » C'est un plicata de l'avant-dernière génération, très chargé, dont le fond teinté d'orange et surtout visible au coeur de la fleur et dans les veines des sépales. Keith Keppel a obtenu plusieurs iris dans ces coloris fort proches les uns des autres. Le pedigree est ('Tangled Web' X 'Epicenter') Ces deux parents annoncent ce que va être leur descendant. 'Tangled Web' (Keppel, 1999) est véritablement un avant-goût de 'Drama Queen' ; quant à 'Epicenter' (Ghio, 1993) il est plus traditionnel, avec un fond de couleur moins prononcée. 'Drama Queen' a rencontré un vrai succès auprès des obtenteurs de tous pays. En plus de ce que Keppel lui-même en a tiré : 'Sorbonne' (2008), 'Tunnel Vision' (2009), 'Dark Energy' (2016),on notera les produits de Paul Black ('Wild' (2011), 'Etcetera' (2014)), de Rick Tasco ('Storm Rider', 2011)) et, en France, de Roland Dejoux ('Miltiade' (2019)) et Stéphane Boivin (Jimmy Forever' (2015)). 

Verra-t-on prochainement un plicata remporter la Médaille de Dykes ? C'est tout à fait possible car c'est un modèle qui rencontre toujours autant de succès auprès des hybrideurs et les meilleurs d'entre eux proposent chaque année un grand nombre de nouveautés. Il est donc vraisemblable que l'une d'entre elle triomphera un jour prochain. Il faut dire que les variétés récentes signées Keith Keppel, Paul Black ou Tom Johnson, entre autres, sont particulièrement intéressantes et novatrices. 

Illustrations : 




'San Francisco' 

'Jesse's Song' 

'Everything Plus' 

'Starwoman'