26.12.20

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Line and speckle 

 

Joë Ghio est, avec son ami Keith Keppel, l'inventeur (comme disent les scientifiques) du modèle « distallata ». C'était il y a 20 ans, avec des variétés comme 'Prototype' (Ghio, 2000) ou 'Quandary' (Keppel, 2000). Il poursuit toujours l'extrapolation de ce modèle et propose cette année 'Fancy Footlook'. Il a donné à ce modèle un nom qui n'utilise pas le latin de cuisine, mais décrit en deux mots les caractéristiques de la fleur : Line and speckle. 

 


 

LE BOUQUET

(conte de Noël, d'après une histoire vraie – mais avec l'aide de Charles Dickens) 

Dans le quartier, tous le monde connait Hilaire Gastelier. Pour le bel immeuble qu'il avait fait construire vers la fin du règne de Napoléon III et dont il occupe tout un étage ; pour les vêtements raffinés et même un tantinet démodés qu'il arbore chaque fois qu'il sort de chez lui ; et surtout pour son abominable caractère. C'était une tradition, dans ce coin de Paris : chaque année, à Noël, les concierges autorisent les enfants pauvres, par petits groupes de quatre ou cinq, à entrer dans les immeubles et à sonner à toutes les portes. Et quand les habitants leur ouvrent, il est de coutume de leur remettre à chacun une petite pièce que l'on a préparée à cet effet depuis quelques semaines. Pour ces petits gamins qui traînent beaucoup plus dans les rues qu'ils ne vont à l'école pourtant obligatoire depuis peu, c'est une grande réjouissance et la perspective de s'offrir quelque friandise en cette période de fête pour les bourgeois mais qui pour eux ne se différencie guère du reste de l'année. Ils vont pouvoir entrer dans une boutique sans que le sergent de ville présent au coin de la rue ne les interpelle au moment où ils en sortent et leur fasse vider leurs poches sans le moindre ménagement. Comme les années précédentes, en cette fête de la Nativité, ils vont faire leur tournée en riant et se bousculant, mais ils hésiteront à sonner chez M. Gastelier. Ils savent que le plus souvent cette démarche se solde par un grognement déplaisant mais sans le moindre sou. M. Gastelier (Monsieur Hilaire, comme tout le monde l'appelle) n'a pas la réputation d'être généreux ! 

Cette année le grand Léopold, un garçon d'une dizaine d'année qui fait office de chef de bande et qui est malin comme nul autre, décide de tenter tout de même la chance de sa compagnie. Mais pour essayer d'amadouer le vieux bonhomme, il a l'idée de mettre en avant la petite Marceline, une brunette de 6 ans dont les grands yeux bleus innocents ont le pouvoir d'attendrir tous ceux à qui elle s'adresse. Monsieur Hilaire va-t--il lui résister ? 

Derlin-din-din... La sonnette fait un petit bruit grêle et aigre... Tous les enfants sont devant la porte et attendent, un peu anxieux. Des pas feutrés de l'autre côté... La porte s'ouvre et M. Gastelier, en gilet de soie jaune, jette un regard suspicieux vers le petit monde qui l'attend. La petite Marceline, bien préparée par son chef, lève vers le vieil homme son charmant petit museau, mais n'ose pas ouvrir la bouche. « Humm ! Que voulez-vous ? » gronde le propriétaire dont la moustache blanche frissonne légèrement mais dont les yeux, loin derrière des sourcils épais, ne sont que des arbalètes prêtes à lancer quelques traits meurtriers. Il baisse un peu la tête. Le mignon visage un peu crasseux s'illumine : « C'est Noël, Monsieur Hilaire ! » Il fronce ses sourcils broussailleux. « Je n'ai pas d'argent !... Oust ! Déguerpissez, petits morveux ! » La porte se refermée, le stratagème de Léopold n'a pas fonctionné … 

Mais voilà que M. Gastelier se décide à faire un tour pour se dégourdir les jambes. Il gagne les grands boulevards tout proches de sa rue si calme. Va-t-il se diriger vers la Bastille ou vers l'Opéra ? Il opte pour cette direction et, au milieu des piétons rieurs ou empressés, dans le bruit du piétinement des attelages et l'odeur prégnantes du crottin, marche d'un bon pas en balançant vigoureusement sa canne. Monsieur Gastelier est un bourgeois élégant, sévère mais qui porte beau. Mais en cette après-midi de Noël, où l'on sent une atmosphère joyeuse et où résonnent des musiques légères, c'est une autre musique qui murmure à ses oreilles. Une pensée le taraude depuis un moment. Cette petite fille qui, tout à l'heure a sonné à sa porte, avec ses beaux yeux candides... Pourquoi l'a-t-il éconduite ?... Il n'a pas d'enfants, et donc pas non plus de petits-enfants... A-t-il quelque fois fêté Noël ?... 

 

 

Plus il s'approche du nouvel Opéra, qui vient d'être inauguré, plus la foule devient dense. A l'angle du boulevard et de la rue Auber une vieille femme a installé sur le trottoir, à ses pieds, quelques bouquets d'une petite fleur bleu pâle dont l'étonnant parfum attire l'attention du promeneur solitaire. Néanmoins Monsieur Gastelier passe devant elle en faisant mine de ne pas la voir. Il continue encore quelques pas... Deux images se juxtaposent alors dans son inconscient : celle de la petite Marceline, aux yeux de porcelaine, et celle de cette vieille marchande, qui tend une main ridée au bout d'une manche de toile noire. « C'est Noël, Monsieur Hilaire ! » ; la voix claire de la petite fille se fait à nouveau entendre, de même qu'un timide « S'il vous plait ! » qui provient d'une bouche édentée... Monsieur Gastelier ralentit puis s'arrête. Il fait demi-tour, revient sur ses pas. Il s'immobilise devant la vieille marchande et se penche pour ramasser un des bouquets de fleurs bleues. « Ce sont des iris d'Algérie » lui dit-elle faiblement. Le vieux monsieur en redingote grise met la main à sa poche, saisit son porte-monnaie et dépose une pièce dans la main tendue de la vieille dame qui s'incline légèrement et murmure à peine un remerciement. Il s’apprête à partir. Mais soudain : une illumination. Monsieur Gastelier suspend sa canne à son bras gauche et, dans un geste un peu maladroit, tend le bouquet à la marchande. Celle-ci ne sait comment interpréter ce geste : est-il mécontent, veut-il lui restituer ce qu'il vient de lui acheter ? Il insiste, et elle comprend. Et dans les yeux de cette vieille femme s'allume une flamme comme on n'en voit jamais. Monsieur Gastelier sent son vieux cœur tout sec s'emplir d'une allégresse qu'il ne connait pas. La vieille marchande a des larmes dans ses yeux ; mais ce ne sont pas les larmes douloureuses qui y viennent si souvent, ce sont des larmes douces comme on ne peut en pleurer qu'un soir de Noël. Et Monsieur Gastelier s'en retourne vers son appartement vide et triste, mais il se sent tout léger, tout jeune, et il se dit qu'en arrivant dans sa rue il va chercher la petite Marceline, parce qu'il a irrésistiblement envie de lui donner un baiser.  



18.12.20

DEMAIN, C'EST QUAND ?

De nombreux livres consacrés aux iris se terminent par un chapitre de prospective. Les auteurs se lancent dans des projections à propos des iris du futur qui se révèlent, au bout de quelques années, complétement erronées. J'en prendrai dans cette chronique quelques exemples, puis je livrerai ma propre visions sur ce qui peut se produire dans un avenir plutôt proche, car imaginer le futur lointain relève de la science-fiction. 

Commençons par le remarquable ouvrage de Graeme Grosvenor « Iris, Flower of the Rainbow », qui date de 1997. Le chapitre 8, le dernier, s'intitule « The future, 2000 and beyond  » (en français : Le futur, 2000 et au-delà). Les premiers paragraphes énumèrent des observations qui sont et seront toujours d'actualité : « (…) les jardiniers continueront de demander un produit qui soit sain, vigoureux, florifère et performant dans tous les domaines (…) et il y aura une augmentation de l'intérêt pour les iris remontants et ceux qui auront une période de floraison plus longue. » Grosvenor fait aussi remarquer « Le développement aura besoin d'être orienté vers la production de plantes résistantes aux deux grands problèmes que l'on rencontre avec les iris – la pourriture du rhizome et les taches sur le feuillage – et les autres maladies d'origine mycologique. » En matière de couleur et de modèle, il évoque les iris « noirs » (qui ont de nos jours à peu près atteint la saturation maximale) et les iris rouges dont ils pense qu'ils ne proviendront qu'à partir de manipulations génétiques ; il ne fait pas grand cas des « broken color », mais il envisage un développement des barbes en opposition à la couleur des sépales, et, d'une façon générale, une diversification chez les bicolores, notamment les amoenas, qu'il voit s'imposer dans toutes les couleurs. Enfin il fait preuve de beaucoup d'enthousiasme pour un grand développement des plicatas. Pour exprimer ce qu'il pense probable, il publie des photos rectifiées où les associations de couleurs sont proprement surprenantes (vert/rose, bleu/rouge...). En revanche il ne parle ni des iris bouillonnés, ni des fleurs « spider », ni des variétés « flore pleno ». Somme toute ses projections sont plutôt raisonnables, même si, jusqu'à présent, ses rêves de bicolores flamboyants restent du domaine de l'imaginaire. 

Richard Cayeux, dans « L'Iris, une fleur royale » (1996) aborde la question du futur dans le dernier chapitre intitulé « Les Iris barbus du troisième millénaire », ce qui est peu-être viser un peu loin. Les perspectives qu'il imagine restent cependant pour la plupart dans le domaine du possible. Il parle notamment des barbes hypertrophiées que ce soit vers de grosses barbes façon chenille ou vers de longs éperons, de pièces florales s'atrophiant ou au contraire se développant généreusement (en prenant soin d'expliquer très didactiquement comment ces phénomènes peuvent intervenir), ce qui peut aboutir aux fleurs « spider », ciliées ou aplaties (ce qu'en Amérique on appelle « flatties »). De manière tout aussi pédagogique il précise, à propose des mutations complexes comme celle qui seraient nécessaires pour obtenir le mythique rouge pompier que : « (…) ces mutations sont extrêmement rares et il est illusoire d'espérer de tels changements de la structure moléculaire. » Mais il ajoute néanmoins « qu'une simple mutation » peut éventuellement suffire à obtenir la couleur rouge. Par ailleurs il rêve d'un amoena et d'un plicata parfaitement noir et blanc, ainsi que d'un jaune ou d'un orange à barbes bleues. Il conclut avec une remarquable sagesse : « (…) les perspectives futures ne doivent pas, à notre avis, nous faire oublier que l'originalité ne doit pas être le souci premier de l'hybrideur, l'esthétique primant. » 

Les développements actuels tendent à lui donner raison. On ne constate pas l'amorce des évolutions colorées imaginées par Graeme Grosvenor. Et les phénomènes qui sont actuellement sélectionnés ont plutôt tendance à privilégier des couleurs ou associations de couleurs, et des formes et modèles raisonnables et effectivement esthétiques. Ainsi les iris « à pompons », avec des excroissances bizarres en place des barbes sont-ils cantonnés à des cultivars expérimentaux pas encore mis sur le marché. Rien non plus du côté des bicolores improbables ! Cette situation me paraît découler d'un vrai bon sens, mais en revanche d'autres évolutions peuvent être considérées comme inquiétantes. C'est le cas à mes yeux de ces avalanches de nouveautés toutes plus ou moins proches les unes des autres qui noient les véritables innovations dans une foule de frères jumeaux d'une navrante banalité. 

Sans doute cette mode n'aura-t-elle qu'un temps. C'est à souhaiter pour qu'apparaissent et survivent les véritables iris du futur. Car pour l'instant on est davantage sur une évolution de l'existant que sur une apparition de modèles nouveaux. On peut donc se poser la question : l'avenir, c'est quand ? 

Illustrations : 



 un exemple d'iris bicolore révolutionnaire, façon Grosvenor 

 

 un iris à pompons

 

 un iris « à fleur de pensée » 

 

 une variété « flattie»

11.12.20

UNE HISTOIRE, BELLE ET FRAGILE

 

Champigny sur Veude est un charmant village, traversé par au moins quatre ruisseaux, doté d'un château, d'une sainte chapelle à l'image de celle de Paris, avec des vitraux admirables et classés et où l'on trouve de fort belles demeures dont certaines datent du XVIe siècle. Plusieurs villages de Touraine se trouvent dans une situation analogue et, comme lui, semblent endormis dans une plaisante quiétude mais qui n'attire guère les visiteurs. La population, vieillissante, y mène une existence paisible mais il y manque une animation qui pourrait lui conférer une certaine renommée. C'est du moins le constat qu'a fait le maire de la précédente mandature. Pour tenter de réveiller sa commune il a pris exemple sur un autre village, Chédigny, dans la vallée de l'Indre. Chédigny s'est créé une belle carte de visite en plantant devant chaque maison toutes sortes de rosiers, grimpants ou buissonnants, accompagnés, sur les trottoirs, de différentes fleurs vivaces. Cette végétalisation en fait un bijou fleuri qui, en mai lors de la fête annuelle, attire une foule de visiteurs. C'est à partir de ce constat que le Maire de Champigny a pensé implanter dans son village quelque chose d'approchant. Les armoiries de Champigny, celles de la famille de la Grande Mademoiselle, cousine de Louis XIV et châtelaine du lieu, comportent trois fleurs de lys. C'est ce qui a fait penser à choisir pour la décoration locale le grand iris des jardins, si majestueux et décoratif. 

 Un petit groupe de villageois s'est approprié cette idée et le projet s'est mis en route. Il s'est trouvé qu'à ce moment je cherchais une personne et un emplacement à qui donner ma propre collection d'iris dont, l'âge venant, je n'étais plus en mesure de m'occuper correctement. Ayant appris l'existence du projet de Champigny, j'ai pris langue avec ses protagonistes et l'accord s'est fait pour que ma collection constitue la base de celle de l'association créée pour l'occasion et qui avait l'ambition de la rendre beaucoup plus importante. Un emplacement idéal a été trouvé, dans le jardin de l'ancien presbytère, propriété communale, au sol riche et parfaitement ensoleillé. 

 Pour attirer l'attention des visiteurs dès leur arrivée dans le village, d'importants massifs d'iris de couleur jaune et bleue – couleurs du blason communal – ont été dressés aux différentes entrées routières. L'impulsion était donnée, Champigny était en voie de devenir la Cité de l'Iris. 


Après trois années de culture, les iris mis en place au presbytère comme le long des routes étaient superbes lors de la première fête « Iris et Patrimoine » en mai 2018. La collection, enrichie par quelques acquisitions et par de nombreux dons des hybrideurs français, avait belle allure. Ce fut encore plus réussi l'année suivante où plus de 3000 visiteurs ont profité des iris en pleine fleur. Mais sous cette réjouissante apparence des difficultés se faisaient jour. 

 

 Une partie de la population n'a pas apprécié l'animation du cœur du village : trop de bruit, de circulation, d'obstacles à la vie de tous les jours pendant cette fête et ses préparatifs... Et puis le fleurissement de la ville elle-même suscitait des controverses. Les iris plantés le long des rues s'attiraient des reproches à propos de leur entretien et de l'obligation, pour les riverains, de l'assurer par eux-mêmes car la petite commune n'avait pas les moyens financiers et humains de s'en charger. Même si les iris ne sont pas bien exigeants, il faut néanmoins leur assurer un minimum de soins, et pour certains habitants du village, cela posait problème... D'autre part la proximité des élections municipales attisait la controverse. Le Maire à l'origine du projet ne s'est pas représenté et la question des iris a été l'une de celles qui ont animé la campagne. La personne qui a été élue se devait de tenir compte de l'opinion des habitants. Aussi le problème du fleurissement s'est-il posé dès son arrivée. L'équipe qui s'est démenée pour que la Cité des Iris prenne vie est aujourd'hui dans l'expectative car aucune décision quant à la pérennisation du projet n'a encore été prise. Or une collection d'iris demande une vision à long terme, ou du moins à deux ans, car s'il faut l'évacuer vers un autre lieu cela doit être décidé assez à l'avance pour que ce déménagement soit organisé, les différentes variétés étiquetées et mises en pot, le terrain d'accueil trouvé et préparé. Cela ne s'improvise pas et la collection se trouve donc en danger. 

L'existence de la Cité des Iris va-t-elle se prolonger ? Le nouveau Conseil Municipal va-t-il s'y rallier ? Ce sont des questions qui ne sont pas tranchées pour l'instant...

 

4.12.20

LA FLEUR DU MOIS

‘Ascii Art' (Walter Moores, 1995) 

'Victoria Falls' X 'Fall Spotlight' 

 Pour cette nouvelle « Fleur du Mois », j'ai choisi une variété qui n'est pas spécialement connue dans notre pays, mais dont il est fréquemment question ces temps derniers. C'est en effet la variété la plus connue obtenue par Walter Moores, hybrideur américain d'origine texane récemment décédé. Il semble que cet ancien professeur, calme et discret, ait été profondément aimé de ceux qui l'ont approché. Il était apparemment chaleureux et généreux, et les éloges qui lui sont dressés après sa mort insistent sur ces remarquables qualités. Du point de vue iridistique, il n'a pas eu une carrière flamboyante, mais ceux qui les ont cultivés considèrent ces variétés comme des iris de grande classe. Le fait qu'il soit installé dans le Mississippi, Etat du sud considéré comme trop chaud pour la réussite des grands iris et plutôt favorable aux iris de Louisiane, démontre son mérite d'avoir repoussé jusqu'aux limites du climat tropical la culture des iris barbus. 

Plusieurs de ses variétés sont des variétés remontantes comme c'est le cas pour 'Dante's Inferno' (1978), qui a longtemps figuré à ce titre dans le catalogue de « Iris en Provence ». 'Ascii Art' a rencontré aux USA un succès encore plus considérable. C'est d'autant plus remarquable que Walter Moores n'avait pas le soutien d'une pépinière de renom et que ses variétés étaient simplement introduites par l'intermédiaire du Bulletin de l'AIS et commercialisées « directement du producteur au consommateur ». 

 'Ascii Art' est décrit par son obtenteur, dans l'annonce dee son introduction, comme : « Plicata récessif issu de Victoria Falls X Fall Spotlight. Les pétales sont d'un blanc clair et froid, les sépales ont un fond blanc poivré de bleu-violet compact sur les épaules, avec une pointe de plumetis bleu-violet sur les bords. Les styles bleu-violet contrastent avec les barbes blanches.(...). » C'est d'ailleurs cette coloration des styles qui est le trait le plus remarquable de 'Ascii Art' ; des plicatas légers avec cœur et styles bleu sombre, il y en a, mais ils ne sont pas très nombreux. 

'Victoria Falls' (Schreiner, 1977) est un iris qu'on ne présente plus. Il a eu un énorme succès commercial, amplement justifié, et confirmé par une Médaille de Dykes qui lui a été attribuée en 1984. C'est un bleu moyen avec un sport blanc sous les barbes. Il a une descendance considérable, sous toutes les latitudes, et parmi ses enfants je ne citerai que 'Suky' (Mahan, 1988). 'Fall Spotlight' (Moores, 1990) est un autre produit de Walter Moores, descendant lui-même de 'Needlecraft' (Zurbrigg, 1976), plicata léger bien connu et présent dans de nombreux jardins français, qui a fourni à 'Ascii Art' ses traits principaux, notamment son modèle et son aptitude à la remontance. 'Fall Spotlight' est une variété qui a beaucoup plu à son obtenteur puisque le croisement ayant donné naissance à 'Ascii Art' est aussi à l'origine de deux autres variétés : les bleu indigo 'Libra Star' (1998) et 'Scorpio Star' (1996). Il est amusant de constater que si 'Ascii Art' ressemble à son grand-père 'Needlecraft', ses deux frères de semis ont hérité des traits de 'Victoria Falls' ! En revanche pas de descendance enregistrée pour 'Ascii Art' … 

 Avec environ 80 variétés enregistrées (TB et BB) et une dizaine d'autres iris, Walter Moores n'est pas un obtenteur amateur. Mais c'était quelqu'un de modeste et de méticuleux. Ce ne sont pas les best sellers qui l'attiraient. Rien que pour cela il mérite largement un reconnaissance bien plus vaste que celle qui entoure ses productions. 

Illustrations : 

 


'Ascii Art' 

 

 

'Victoria Falls' 

 

 

'Fall Spotlight' 

 

 

'Needlecraft' 

 

 

'Libra Star'

 


 Scorpio Star' 

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Irisbox 

Le Président de la SFIB a eu l'idée généreuse et originale de créer l' « Irisbox ». De quoi s'agit-il ? Parmi ses semis, il a retenu un certain nombre de variétés intéressantes qui sont proposées à ceux qui veulent faire un cadeau hors du commun. Voici comment s'y prendre : 

1 – Choisir une variété dans la sélection ; 

2 – Choisir le nom que l'on veut lui donner ; 

3 – Passer commande auprès de la SFIB (rdejoux.sfib@orange.fr) et envoyer une participation de 150,00 € qui sera considérée comme « don associatif » et mise au compte dela SFIB. 

4 – Après enregistrement de la nouvelle variété auprès du « registrar » de l'AIS, les rhizomes seront expédiés au souscripteur au cours de l'été suivant. 

Pour cette année il y a 16 variétés au choix toutes plus originales et élégantes les unes que les autres. Mes préférées ? La 02 et la 08 !

 



 

UNE FIDÉLITÉ À TOUTE ÉPREUVE

Certaines anecdotes que l'on trouve dans nos livres d'Histoire parlent de personnages infiniment dévoués et fidèles à leur maître. On pouvait penser qu'un attachement aussi solide pouvait effectivement se produire dans les temps anciens mais qu'il n'était plus possible, au XXe ou au XXIe siècle, de rencontrer encore de telles situations. Mais il faut se détromper. Dans le petit monde des iris, de nos jours, des cas de ce genre ont existé et, même, existent encore. En voici trois, qui racontent d'admirables fidélités. 

 Séraphin Mottet 

La vie de Séraphin Mottet, au début du vingtième siècle, fait beaucoup penser à celle du compositeur autrichien Josef Haydn, un siècle plus tôt. Même longue allégeance à un aristocrate éclairé, et même fin de vie, libre et honoré par ses pairs. Haydn était au service du Prince Esterhazy, richissime esthète, Séraphin Mottet travaillait pour Philippe Lévêque de Vilmorin, héritier d'une célèbre famille de grainetiers et pépiniéristes. 

Séraphin Mottet, après des études scientifiques, est entré chez Vilmorin-Andrieux en 1880. La plus grande part de sa vie professionnelle s’est déroulée au sein de cette entreprise majeure à laquelle il est toujours resté fidèle et dévoué. La loyauté est sûrement la qualité majeure de Séraphin Mottet : si la maison Vilmorin, au début du 20eme siècle, a été la référence en matière d’iris, c’est à cet homme qu’elle le doit, mais il n’y a aucune variété qui porte entre parenthèses le nom de Mottet. Pourtant des iris comme ‘Ambassadeur’ (1920) et ‘Alliés’ (1922) sont très certainement l’œuvre de cet homme. C'était un personnage cultivé, parlant parfaitement l’anglais, au point de traduire des ouvrages de botanique ou d’horticulture. Car les iris ne constituaient pas son seul pôle d’intérêt et on lui doit un grand nombre d’ouvrages didactiques sur les rosiers, les pommes de terre, les œillets ou les conifères… Mais c’est cependant aux iris qu’il a consacré la majeure partie de son œuvre, tout en restant dans l'ombre de son employeur. 

Quand Philippe de Vilmorin prend la tête de l'affaire familiale, il est manifestement très intéressé par la culture et l'hybridation des iris. C'est pour cela qu'en 1903, au moment où son confrère Verdier disparaît, il rachète sa collection d'iris botaniques et de cultivars anciens. Cette riche collection, certainement la plus belle de l'époque, est, avec les iris tétraploïdes moyen-orientaux, à la base du travail d'hybridation de la firme Vilmorin-Andrieux qui a consisté à l'assemblage des qualités des grands iris comme 'Amas', malheureusement monochromes, et des teintes chatoyantes des variétés européennes. Mais si tous les iris nouveaux obtenus étaient introduits sous le nom de Vilmorin-Andrieux, il s'agissait du résultat des croisements réalisés par Séraphin Mottet pour le compte de son patron et sélectionnés par l'un et l'autre. Du travail à quatre mains en quelque sorte. 

Parmi les nouveautés mises sur le marché par la maison Vilmorin-Andrieux il y avait quatre iris de grande taille issus des croisements réalisés à partir du fameux 'Amas'. Il s'agissait de 'Tamerlan', 'Isoline', 'Miriam' et 'Loute'. Tous les quatre marquent le début d'une nouvelle ère dans le domaine des grands iris de jardin, une ère qui dure encore aujourd'hui. Séraphin Mottet, toujours dans l'ombre de son maître, et Philippe de Vilmorin ont été de véritables précurseurs auquel tous les amateurs d'iris doivent rendre hommage. Malheureusement Philippe de Vilmorin était décédé en 1917 : Séraphin Mottet quitta sur ces entrefaites la maison où il avait connu tant de succès et ce fut la fin d'une belle histoire. 

Gabrielle Martignier 

De Gaby Martignier on pourrait dire à peu près la même chose que pour Séraphin Mottet. Mais l'histoire, cette fois, se déroule à partir des années 1950. En effet c'est au cours de l'été 1950 que Doreen Bovet, épouse du propriétaire du Château de Vullierens, en Suisse, dans le canton de Vaud, dans les collines sub-jurassiennes situées au-dessus de Lausanne, achète ses premiers iris destinés à agrémenter les parterres du jardin. Au printemps 1951 c'est la première floraison et aussi le début d'une belle histoire qui dure encore aujourd'hui. Cette histoire c'est en fait Gabrielle Martignier qui va l'écrire. Embauchée par la châtelaine pour prendre soin des iris, c’est elle l’âme des jardins. Le site officiel de Vullierens expose parfaitement le rôle de cette enfant du pays : «Voyant les premiers iris plantés, elle apprendra tout de ces fleurs et deviendra l’une des jardinières officielles du Château. Pendant 70 ans, jusqu’à sa retraite en 2003 à l’âge de 84 ans, elle se voue corps et âme au Domaine et prépare, mètre carré par mètre carré, l’éphémère festin de couleurs qui se déploie à la belle saison. Elle joue un rôle essentiel dans le développement des Jardins et la valorisation du Château. Succédant à Doreen comme responsable des Jardins en 1974, elle crée notamment, avec l’aide du docteur Bovet (fils de la fondatrice), des nouvelles variétés d’iris », une douzaine, qui imprimeront une touche originale à la collection du château, laquelle atteindra peu à peu plus de 500 variétés, essentiellement américaines. Cependant, bien que ce soit Gay Martignier qui en soit la créatrice, les variétés enregistrées le seront au nom du docteur Bernard Bovet. C'est, à moindre échelle, la même situation que celle du fameux bras droit de Philippe de Vimorin. 

Suzanne Weber 

Cette fois, cela se passe en Allemagne, dans le petit village Laufen, au pied de la Forêt Noire, au cœur de la jolie région du Markgräferland, pas bien loin de Freiburg im Breisgau, un peu plus au nord, ni de Mulhouse, de l'autre côté du Rhin. Suzanne Weber y a passé plus de 47 ans dans la pépinière de la comtesse von Stein-Zeppelin. C'est un autre exemple de cet incomparable complicité qui lie deux personnes dans une relation de subordination autant que d'amitié. Il est vrai que Helen von Stein-Zeppelin, appelée la "Comtesse aux Iris", avait besoin pour la seconder dans la gestion de sa pépinière d'une jardinière compétente et dévouée. Elle l'a trouvée en la personne de Suzanne Weber. A elles deux elles ont recréé, après la guerre, un jardin d'iris remarquable qui a très rapidement atteint les 1500 variétés disponibles. Suzanne Weber n'a pas pratiqué l'hybridation mais il est indéniable que ses connaissances acquises sur le terrain ont été précieuses à la Comtesse pour le choix des variétés destinées aux croisements qu'elle a réalisés. 

En dehors de son travail au jardin, Suzanne Weber a rédigé un livre précieux :« Iris, les meilleures espèces et variétés pour le jardin », dont l'adaptation française est signée de Luc Bourdillon, et qui en dit long sur l'érudition de son auteure. 

 Il est possible que d'autres cas identiques ou approchants se présentent encore. En tout cas le travail à quatre mais dans le domaine des iris est extrêmement courant, mais il ne va cependant pas jusqu'à cette étrange relation que démontre les exemples ci-dessus. 

Illustrations :

 

 

  'Isoline' (Vilmorin, 1904) 

 


'Mrs Walter Brewster' (Vilmorin, 1921) 

 

 

 'Etoile' (Bovet, NR) 

 


 

 'Mozart' (Zeppelin, NR)