30.4.21

IRIS EN FRANCE : UNE EXPANSION SANS PRÉCÉDENT

Chacun peut remarquer que le monde des iris connaît un développement exponentiel. L'univers dans lequel il se situait il y a cinquante ans a pris une extension considérable, en particulier au cours des vingt dernières années. En fait le point de départ de ce phénomène date de la chute du mur de Berlin et, donc, de la fin de l'empire soviétique. Qui aurait pu imaginer qu'un événement politique, quelle que soit son importance, aurait des répercussions jusque dans le domaine de l'horticulture ? Pourtant, on est obligé de constater que dès que les échanges ont pu avoir lieu entre les deux blocs qui scindaient auparavant le monde, ils ont concerné l'horticulture comme le reste et l'iridophilie en particulier. Cela ne veut pas dire qu'on ne s'occupait pas d'iris dans l'est de l'Europe et en Russie, mais ceux qui voulaient cultiver cette plante, comme sans doute tous ceux qui avaient une volonté analogue, avaient tellement peu de moyens que leurs efforts, exceptionnels, les situaient à peu près au niveau des années 1920 ailleurs dans le monde. Dès lors qu'ils ont pu, sans recourir à des combines dérisoires, se procurer des variétés occidentales de valeur, ils ont commencé à réaliser des croisements ingénieux et tout les irisariens ont été très surpris quand le florin d'or de Florence a été attribué en 1995 à une variété obtenue en Ouzbékistan. 

Cependant, ce que la fin de l'ère soviétique peut justifier pour l'Europe de l'Est et l'empire russe n'a pas forcément eu les mêmes répercussions en France et pourtant la coïncidence est troublante. 

Avant les années 1970, et depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'activité iridistique en France se limitait à celle de Jean Cayeux. Celui-ci avait enregistré quatorze variétés depuis 1950. C'était une situation de monopole involontaire qui n'avait guère d'autre justification que de refléter l'état d'un pays qui se reconstruisait et avait d'autres préoccupations que de créer de nouvelles fleurs. Au cours des années 1970 il y eut vingt-et-un enregistrements Cayeux, dont certaines variétés fondamentales comme 'Condottiere', enregistré en 1978, mais rien d'autre : le marasme se poursuivait. Ce n'est qu'à la toute fin de cette décennie que le paysage de l'iridophilie française s'est mis à évoluer, avec l'entrée en lice de la famille Anfosso. Ce fut une sorte de révolution d'autant plus que ces nouveaux venus manifestaient une créativité séduisante et proposaient des iris intéressants comme 'Sonate d'O' (P. Anfosso, 1979) ou 'Lorenzaccio de Medicis' (P.C. Anfosso, 1979). Néanmoins, la production française restait infiniment réduite. La « check-list » des années 1970 est presque intégralement emplie de variétés américaines, avec une petite place pour les iris australiens de Barry Blyth qui avait déjà pignon sur rue. 

On est resté dans cette situation au cours des années 1980. Sauf qu'à ce moment sont apparues les variétés de Jean Ségui. Ses premiers iris enregistrés remontent à 1981, lorsqu'il a mis sur le marché les quatre « B » qui sont 'Baladin', 'Balançoire', 'Baliverne' et 'Ball Trap', ainsi que l'amoena jaune 'Sur Deux Notes'. En 1982, viendra le riche variegata 'Corbières' ainsi que l'un de ses meilleurs, le bleu outremer 'Trapel', apprécié pour la richesse de son coloris et la vigueur de la plante, et le très recherché 'La Belle Aude', rose un peu raide mais solide et sans problèmes. On est ainsi passé de deux (si l'on considère que la famille Anfosso ne fait qu'un) à trois obtenteurs. En fait d'autres hybrideurs exerçaient en France mais ils n'agissaient que pour leur plaisir et n'envisageaient pas d'enregistrer leur production, de sorte que tous les iris ainsi apparus n'ont pas (ou rarement) quitté leur jardin d'origine. Ce n'est d'ailleurs pas forcément une situation regrettable. En effet, ceux qui auraient souhaité pratiquer l'hybridation avec sérieux ne disposaient à l'époque d'aucune documentation sur la génétique des iris, les pigments, les modèles et leur caractère, récessif ou non... Les seules informations disponibles l'étaient en américain et l'on sait que les langues étrangères ne sont pas le fort de nos compatriotes, et si les choses, de ce côté, ont favorablement évolué grâce notamment à Internet, ce n'était pas le cas il y a quarante ans. Et les bulletins « Iris et Bulbeuses » de l'époque n'étaient pas riches en informations de cette sorte. Comment, dans ces conditions choisir les bons parents, quels semis sélectionner ? 

Il faut attendre 1991 pour voir apparaître un nouvel hybrideur professionnel (ou presque !). En la personne de Lawrence Ransom dont la première variété enregistrée, 'Opéra Bouffe' date de cette année. Jusqu'à sa disparition Ransom nous gratifiera de nouveautés pratiquement parfaites caractérisées par leur élégance et leur éclectisme. 

À partir de ce moment, c'est à une véritable libération des envies d'hybrider à laquelle nous assistons. Depuis longtemps la revue « Iris & Bulbeuses » insistait envers les adhérents de la SFIB pour qu'ils osent faire enregistrer leur travail. C'est alors qu'ils ont commencé à le faire. Luc Bourdillon a commencé en 1996, Christian Lanthelme en 1997, Michèle Bersillon en 1999, Gérard Madoré en 2001, Bernard Laporte en 2004, Jean-Claude Jacob en 2006, Alain Chapelle en 2007, Sébastien Cancade en 2008... Et depuis la liste s'est considérablement allongée. Avec des non-professionnels la plupart du temps, mais plusieurs, par la suite ont fait de l'iris, si ce n'est leur profession, du moins une activité importante, facilités en cela par la possibilité d'offrir sa production à la clientèle par un site Internet peu coûteux. Aujourd'hui on compte plus d'une vingtaine d'hybrideurs domiciliés sur le territoire français faisant régulièrement enregistrer leurs iris. Parmi ceux-ci quelques-uns ont eu la chance d'obtenir des récompenses flatteuses au plan international. Cette expansion réjouissante a été rendue plus facile par trois évolutions : 

- les échanges par les réseaux sociaux ont créé une véritable émulation qui s'est traduite par l'idée que l'obtention de variétés nouvelles de qualité était possible sans des moyens matériels considérables et seulement moyennant l'acquisition d'un minimum de connaissances techniques et génétiques ; 

- la facilité accrue d'obtenir de jolies choses par les croisements de variétés modernes : jadis il fallait réaliser un grand nombre de semis pour obtenir des plantes répondant aux critères de sélection, et sur les iris sélectionnés rares étaient ceux qui, en fin de compte, se révélaient enregistrables ; 

- une attirance nouvelle chez des jeunes gens pour le genre iris, développée par la possibilité de voir, grâce à Internet, des milliers de photos d'iris, et, leur nombre s'accroissant, la visite des collections d'iris d'amateurs éclairés et des pépinières plus ou moins spécialisées. À ce titre une compétition comme FRANCIRIS© a certainement contribué à cet engouement. 

 Le petit monde français des iris s'est ainsi largement développé. Il est maintenant à situer sur le même plan que ceux qui furent les leaders mondiaux pendant une cinquantaine d'années, je veux dire les Etats-Unis et l'Australie. Aujourd'hui on trouve d'excellents iris à peu près partout dans le monde. Il aurait été étonnant que cela ne fut pas possible dans un pays qui, dans ce domaine, n'a jamais été en reste quand les circonstances ne l'ont pas tenu involontairement à l'écart. 

Illustrations : 


'Condottiere' 


'Sonate d'O' 


'Sur Deux Notes' 


'Opéra Bouffe'

22.4.21

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Ransom : les derniers 

La famille de Lawrence Ransom a confié les derniers semis réalisés par celui-ci à Roland Dejoux, le président de la SFIB, pour qu'il les cultive et sélectionne les meilleurs en vue d'une mise sur le marché. C'est maintenant chose faite : ils vont être enregistrés cette année. Les iris retenus sont tous des plantes excellentes et bien dans le style, chic et impeccable, de leur obtenteur. 

Voici les photos des trois TB de cette dernière sélection : 

'Alexandre' 



'Lula do Brazil' 



'Sumire'

POURQUOI N'EXISTE PAS LE « MEILLEUR IRIS AU MONDE »

Le système en place aux Etats-Unis pour l'évaluation des iris et l'attribution des récompenses s'appuie sur une kyrielle de juges expérimentés et accrédités, répartis partout le pays, qui visitent les jardins d'iris et donnent une note aux plantes qui sont en compétition pour chaque niveau dont on leur a fourni la liste, et qu'ils voient au cours de leurs visites. Ils ne se rendent pas dans tous les jardins mais ils inspectent ceux qui se trouvent à proximité de chez eux. En fin de compte, du fait de la répartition générale des juges, les notes sont recueillies dans tous les Etats et donnent une vision globale satisfaisante des plantes à apprécier. 

Ailleurs dans le monde n'existe rien de semblable. Le système le plus proche est celui qu'on trouve au Royaume Uni (et qui d'ailleurs a servi de modèle à ce que l'on trouve en Amérique) et en Nouvelle-Zélande, peut-être en Australie. Dans la deuxième zone irisarienne du monde, l'Europe y compris la Fédération de Russie, il n'y a pas de compétition organisée façon course aux honneurs. Et par conséquent pas de juges puisqu'il n'y en a pas besoin, même si, en Italie notamment, on prévoit une formation à la fonction. 

L'idée d'un système mondial d'appréciation a été avancée il y a longtemps par Sergeï Loktev, le fantasque et utopiste hybrideur russe. Mais le projet n'a pas dépassé le stade de l'imaginaire, et il y a des tas de bonnes raisons pour cela. 

Premier obstacle, mais pas insurmontable : la saisonnalité. Dans l'hémisphère sud les iris ont 6 mois d'avance (ou de retard) par rapport à leurs concurrents de l'hémisphère nord. A quelle saison les rattacher ? Une décision arbitraire peut décréter à quelle année seraient attribués les iris « down under ». 

Deuxième obstacle : la dispersion. En Europe on trouve des iris dans de nombreux pays, une quinzaine, dont certains représentés par un ou deux obtenteurs qui n'enregistrent pas forcément tous les ans. Par qui et comment seraient effectuées les notations ? Et avec quelle sérieux ? Et c'est sans aborder le cas de la Russie où des hybrideurs travaillent dans la région de Moscou, mais aussi et même plus tout au sud, dans la région de Krasnodar, au pieds du Caucase, avec quelques hybrideurs dispersés dans le centre du pays. Visiter des jardins éparpillés dans un pays immense serait une véritable gageure. 

Troisième obstacle : la désignation des juges. Peut-on laisser à chaque administration le soin de former et de nommer ses juges nationaux ? Sans parler de chauvinisme, on peut se demander quelle uniformité on peut attendre d'évaluations établies par de personnes formées selon des règles propres à chaque pays ? L'Italie, en avance dans ce domaine, utilise la documentation américaine, mais mes contacts avec certains hybrideurs d'Europe de l'Est me laissent à penser que les qualités recherchées ne sont pas tout à fait les mêmes qu'en Europe de l'Ouest. L'uniformisation ne serait pas inaccessible, mais elle serait néanmoins longue et difficile à atteindre. 

Quatrième obstacle : les réticences américaines. Actuellement le monde des iris est outrageusement dominé par les Etats-Unis. De plus la Médaille de Dykes attribuée dans ce pays fait figure de championnat du monde et désigne, de l'avis général, des varitétés impeccables. L'organisation américaine n'est certainement pas dans l'état d'esprit de cèder ce privilège strictement réglementé à une autre organisation, forcément très complexe et mettant en jeu des susceptibilités nationales fortes. 

Cinquième obstacle : la récapitulation des évaluations. Par qui et où serait-elle faite, et quelle impartialité pourrait-on attendre de l'organisme récapitulateur ?

17.4.21

CELLE QU'ON CROYAIT ETERNELLE (III et fin)

« Faux » plicatas 

 

Une question récurrente, qui divise le petit monde des iris est celle de savoir s’il existe ou non des plicatas jaunes. Il est admis que, par définition, « plicata » signifie « iris à fond blanc ou coloré de jaune, rose ou orange, avec des motifs pointillés ou rayés bleus, violets ou pourpres ». Ce qui signifie qu’un iris jaune, aux sépales centrés de blanc comme 'Joyce Terry' (Muhlestein, 1974) n’est pas un plicata, même s’il en présente tous les signes apparents. Parce qu’il n’aurait pas ces fameux pigments anthocyaniques dont l’apparition en quantité de plus en plus dense au fur et à mesure qu’on approche du bord des sépales (et parfois des pétales) est l’élément fondateur du modèle plicata. Pour définir les iris chez qui le fond est masqué par des pigments caroténoïdes (jaunes ou rouge) il faut faire appel à une autre dénomination. Celle-là n'a rien de pseudo-latin. On s'en rapporte à la variété de ce modèle la plus emblématique, où la couleur recouvre entièrement les pétales mais partiellement les sépales. Il s'agit donc de 'Joyce Terry'. Il existe un très grand nombre d'autres varétés, presque autant que de véritables plicatas ! Plusieurs se sont même distinguées dans les compétitions, que ce soit à Florence, comme 'Launching Pad' (Knopf, 1966), ou en Grande-Bretagne comme 'Early Light ' (N. Scopes, 1983). Mais c'est la Médaille de Dykes qui a confirmé leur universalité, avec 'Debby Rairdon' (Kuntz, 1964), puis 'That's All Folks' ( W. Maryott, 2004).Sans parler d'un modèle très exceptionnel, où le jaune n'est présent que sous forme d'un étroit liseré, dont le héraut est 'Bride's Halo' (H. Mohr, 1971). Ce modèle dit Joyce Terry se décline en jaune, mais aussi en rose ou en orangé. En rose voyez le délicieux 'Wait a Minute' (J. Ghio, 2018) et en orangé pensez au très rare 'Aphrodisiac' (Schreiner, 1986) qui n'a pas vieilli. Enfin, pour l'anecdote, n'oublions pas cette sorte de Joyce Terry inversé qu'est 'Sofia' (B. Blyth, 2002) ! 

 Moitié-moitié 

 Lorsqu'il s'agit de l'inhibition des pigments, donc de leur effacement, on est bien servi avec le modèle amoena puisque sa définition même est l'absence de pigments sur la moitié supérieure de la fleur. Rappelons que la première variété moderne à présenter ce modèle a été 'Wabash' (E. B. Williamson 36), dont la lignée s'est éteinte presque tout de suite. Paul Cook a réussi un coup d'éclat avec ‘Melodrama’ (Cook, 1956), ‘Whole Cloth’ (Cook, 1957), ‘Emma Cook’ (Cook, 1957), ‘Miss Indiana’ (Cook, 1961) et d'autres d'immense valeur qui nous valent de disposer aujourd'hui d'un panel pratiquement infini d'iris amoenas et bicolores. La variété qui a par la suite été le plus utilisée pour obtenir des amoenas est 'Whole Cloth' et l'on peut dire que c'est elle qui est à la racine de ce modèle. Aujourd’hui les amoenas sont innombrables et on en trouve dans tous les coloris. Avec des sépales bleus –ou violet – bien entendu, comme l’inaltérable ‘Alizés’ (Cayeux, 1991) ou son petit cousin ‘Deltaplane’ (Cayeux, 1993) ; en jaune comme ce qu’en un temps obtenait Barry Blyth, en Australie, et qui nous vaut ‘Alpine Journey’ (1983) ou ‘Aura Light’ (1996) ; en rose, ce dont Dave Niswonger s’est fait une spécialité qui a abouti à ‘Champagne Elegance’ (1987) ou ‘Coral Chalice’ (1983) ; en mauve (voir l’exemplaire ‘Cumulus’ – Cayeux, 2000) ; en magenta (voir ‘Calypso Beat’ – Schreiner, 2002) ; en grenat comme ‘Amity Estate’ (Schreiner 2003), en orange où se distinguent ‘Fondation Van Gogh’ (M. Anfosso, 1990) ou ‘Château d’Auvers’ (Cayeux, 2003), et même en noir (ou presque) comme le montrent le fameux ‘Starring’ (Ghio, 1999) ou l’excellent ‘Midnight Moonlight’ (Baumunk, 1999). Cependant les hybrideurs ne se sont pas arrêtés en si bon chemin et ils se sont fixés pour défi d'obtenir des amoenas sur lesquels la disparition des pigments intervient sur les sépales, laissant la couleur sur la partie supérieure de la fleur. L'entreprise ne s'est pas déroulée sans mal et avant qu'on obtienne de véritables amoenas inversés il s'est écoulé un demi-siècle, mais à partir de ce moment on a connu une intense prolifération qui s'est un peu ralentie à présent mais qui a laissé des fleurs délicieuses. La mode en est un peu passée aujourd'hui mais parmi les variétés des dernières années il y a de fort jolies choses, comme 'Reversi' (M. Sutton, 2005), 'Romancer' (B. Blyth, 2000) ou, en très pâle, 'Jardins de Chaumont' (R. Cayeux, 2013). 

En souvenir d'Emma Cook 

 La variété 'Emma Cook' (P. Cook, 1957) fait partie de la série des bicolores et amoenas obtenues par Paul Cook à partir de 'Progenitor', petit iris insignifiant mais considérable en matière génétique puisque possesseur du gène inhibiteur de la couleur dans les pétales. Avec 'Emma Cook' ce gène est même allé plus loin puisque l'inhibition s'est étendue aux sépales, à l'exception d'un étroit ruban soulignant le bord. C'est devenu un modèle à part entière et de nombreuses fleurs l'arborent aujourd'hui. Richard Cayeux l'apprécie beucoup puisqu'il a enregistré par exeple : 'Elégant' (2004), 'Bord de Mer', (2009) ou 'Lac de Come' (2020). Mais bien d' autres hybrideurs s'y sont adonnés ; c'est le cas d'Augusto Bianco avec 'Vento di Maggio' (2011) ou de Fred Kerr avec 'Queen Circle' (1999). 

Lumière au cœur 

La couleur blanche a trouvé d'autres moyens de s'infiltrer dans les fleurs d'iris. On a vu comment elle apparaissait dans les iris plicatas. Mais elle peut aussi être appliquée « à l’envers », et dans ce cas on baptise le modèle « luminata ». Cette dénomination essaie de définir l’aspect lumineux d’une fleur dont le cœur se trouve éclairé, en opposition au reste, plutôt sombre. Un luminata présente les mêmes dessins qu’un plicata mais la pigmentation anthocyanique tend à s’éclaircir notablement au fur et à mesure qu’elle approche des bords. Prenez l’exemple de ‘Moonlit Water’ (Keppel, 2005) : le fond ivoire de la fleur réapparaît vers les bords, lorsque l’effet plicata bleu pourpré s’estompe, très nettement sur les pétales, un peu plus discrètement sur les sépales. Un autre trait typique des luminatas, ce sont les veines plus claires qui apparaissent habituellement dans les parties colorées. En général les fleurs d’iris sont veinées de sombre, dans le cas des luminatas, c’est le contraire. Mais ce qui définit absolument le modèle luminata, c’est une zone claire absolument pure de part et d’autre de la barbe. Pas une seule trace de la couleur de couverture. Au cœur de la fleur les pigments ont été totalement inhibés et par conséquent la surface apparaît dans son exacte teinte de base, le plus souvent un blanc absolu. Prenons l'exemple de 'Noces de Diamant' (R. Dejoux, 2019) : les bords de la fleur sont blanc crémeux, puis vient la couleur grenat du limbe, et quand on approche du cœur le blanc crémeux réapparaît autour de la barbe. C'est un modèle de plus en plus fréquent dans les catalogues. 

Le dernier avatar de la couleur blanche 

On aurait pu penser que le blanc en avait fini avec les fleurs d'iris, mais un beau jour est apparu un nouveau modèle de fleur où le blanc pur des pétales, souvent bordé de jaune d’or, s’allie à des sépales également blancs mais lavés de rose ou de bleu et griffés de grenat ou de pourpre. La variété de base pourrait être ‘Prototype’ (Ghio 2000), à moins que ce ne soit ‘Quandary’ (Keppel 2001), même si ‘Puccini’ (Ghio 1998) est apparu avant les autres bien qu’il soit un descendant du premier nommé. Comme toute nouveauté cela a excité l'émulation des hybrideurs et en peu d'années ont été mises sur le marché des dizaines de fleurs de ce modèle qui a été dénommé « distallata ». Un modèle un peu différent, où le blanc n'est pas la couleur de base, a fait son apparition à peu près au même moment. Plus coloré (et peut-être plus marchand) il s'est créé un espace bien à lui. On l'appelle maintenant « line and speckle ». Les deux lignées n'ont évidemment pas tardé à se mélanger, mais ce n'est pas le blanc qui a eu le dernier mot ! Quoiqu'il en soit le modèle distallata est maintenant largement répandu. 

 En quelques pages nous venons de faire un tour à peu près complet des diverses façons dont la couleur blanche peut se présenter sur les iris. Il en existe d'autres, plus anecdotiques, car le blanc est sans aucun doute la couleur la plus présente, mais quoi qu'il en soit, et avec le complément des photos publiées, nous avons un vaste aperçu de la place qu'il tient et nous pouvons constater que malgré les ans, il n'est nul besoin d'utiliser le chlore pour en ranimer la fraîcheur.  

Illustrations : 


'Aphrodisiac



'Romancer'



'Vento di Maggio'



'Noces de Diamant'



Puccini’

 

9.4.21

CELLE QU'ON CROYAIT ETERNELLE (II)

Fondu enchaîné 

 Le blanc s'accomode de toutes les autres couleurs, d'ailleurs il n'est pas autre chose qu'une absence de couleur du fait de l'inhibition des pigments). C'est pourquoi on peut le rencontrer accompagné des pigmentations les plus diverses. En particulier lorsque le cœur des fleurs d'iris blancs récupère plus ou moins les couleurs qui ont été effacées sur le reste de la fleur. Comme dans le cas des barbes abordé ci-dessus on trouve presque toutes les couleurs s'élevant du cœur de la fleur et s'estompant progressivement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de cette zone. Le jaune, comme dans 'Domaine de Courson' (R. Cayeux, 2013) ; le rose, comme chez le tout nouveau 'My Pretty' (T. Johnson, 2021) ; le bleu sur de nombreuses fleurs parmi lesquelles je choisis, arbitrairement j'en conviens, 'Good Morning America' (N. Sexton, 1979), déjà ancien mais en tous points remarquable. 

Traces et griffures 

Pendant très longtemps les veinules blanches ou brunes apparaissant naturellement sous les barbes et sur les épaules des iris unicolores ont été considérées comme des défauts qu'il fallait s'efforcer de faire disparaître. Les hybrideurs ont donc travaillé à ne sélectionner que des fleurs au maximum exemptées de ces traces jugées disgracieuses. Cela a abouti à des fleurs absolument unicolores, très belles et, il faut bien le dire, très élégantes. Mais comme c'est le cas en bien des domaines, quelqu'un a trouvé que les rayures blanches pouvaient avoir leur charme et apportaient un certain renouvellement à des fleurs qu'en fait on ne faisait que reproduire quasi à l'identique. Retour donc des épaules marquées de blanc ! Dans la riche collection des iris de la Maison Cayeux, on trouve les deux situations : 'Ouragan' (1995) est un bleu moyen, uniformément bleu, y compris la barbe et quatre ans plus tard, 'Grand Amiral' (1999) s'orne d'un ligne blanche sous les barbes. Mais il y a plus ! Le tout nouveau 'Jawbone Flats' (T. Johnson, 2021) laisse les filaments blanc envahir une grande partie des sépales 

 Chez les plicatas 

Avec les traces blanches de 'Jawbone Flats' on s'approche du modèle plicata qui, à l'origine consistait en une fleur violacée aux pétales marqués de blanc sur les côtes et aux sépales centrés de blanc mais où la violet ou bleu va croissant en s'approchant du bord. Ce modèle standard a été reproduit des quantités de fois, avec une présence plus ou moins marquée de la pigmentation anthocyanique. Il était triomphant chez 'Going my Way' (Gibson, 1971), il est toujours présent dans 'Me and my Shadow' (P. Black, 2021). Mais il a subi bien des transformations depuis ses origines. Dans un sens comme dans un autre. Cela veut dire que la couleur peut y être presque exclusivement présente, comme chez 'Chief Hematite' (J. Gibson, 1983), ou en être presque complètement exclue, c'est selon l'efficacité du gène inhibiteur des pigments. C'est le cas chez le « vieux » 'Gigi' (Schreiner, 1971) comme chez le « jeune » 'Hey Soul Sister' (T. Johnson, 2021). Et une infinité de nuances se rencontre parmi les milliers de plicatas qui existent aujourd'hui. Sans compter les associations modernes de couleurs comme chez le célèbre 'Flamenco' (K.Keppel, 1975) ou les combinaisons de modèles comme les amoena-plicata à la façon de 'Spinning Wheel' (Nearpass, 1974). 

 (à suivre)...

 Illustrations :

- 'Good Morning America'


- 'My Pretty'


- 'Jawbone Flats'


- 'Me and my Shadow'


-' Hey Soul Sister'


 


2.4.21

LA FLEUR DU MOIS

'CRÈME GLACÉE' 

R. Cayeux, 1995 

'Cameo Wine' X ('Neige De Mai' x 'Gypsy Dream') 

Ce n'est certainement pas le chef d’œuvre de Richard Cayeux. Mais c'est l'une de ses toutes premières obtentions et je suis à peu près sûr qu'il y tient particulièrement. D'ailleurs il en a fait l'illustration de la couverture et de la jaquette de son ouvrage « L'Iris, une Fleur Royale » et dans la description qu'il donne de cette variété dans son catalogue de 1994, on ressent son attachement mais aussi ses doutes : « Nous avons longuement hésité à vous présenter cet iris du fait d'une tige relativement courte et d'un nombre modéré de boutons. Il s'agit cependant d'un délicieux amoena aux pétales blanc pur et aux sépales très rose ornés d'une belle barbe rouge qui constitue une précieuse étape dans la création d'amoena rose parfaits. » 

Il est vrai que cette recherche d'amoena rose est une route semée d'embûches. Bien des hybrideurs ont été tentés par ce défi, mais bien peu sont parvenus à obtenir une plante et une fleur de qualité. Celui qui a poursuivi cette recherche avec une persévérance acharnée est l'Australien Barry Blyth qui y a consacré toute sa vie d'hybrideur mais n'a jamais été totalement satisfait de ses obtentions. C'est sur ce chemin que se situe 'Cameo Wine' (1962) qui a beaucoup de traits communs avec son descendant 'Crème Glacée'. 'Cameo Wine' n'est pas un amoena rose mais un bitone avec des pétales rose pastel et des sépales d'un rose orchidée plus soutenu. Pour s'approcher davantage dy but, Richard Cayeux a utilisé le croisement ('Neige De Mai' x 'Gypsy Dream') qui allie un unicolore rose, 'Gypsy Dream' (G. Shoop, 1970) et un blanc pur à barbe rouge, 'Neige de Mai' (J. Cayeux, 1973). Le résultat est une plante rablée de 0,75m portant des sépales rose orchidée léger au-dessus de pétales blancs et des barbes rouge minium qui ravivent l'ensemble. Le modèle amoena est bien là, ce qui peut être à perfectionner c'est la profondeur de la couleur rose, un peu pâle dans le cas présent. 

Dans la langue anglaise il existe deux mots pour qualifier la couleur rose : le mot « rose » qui désigne un rose où se devine un fond de jaune, et le mot « pink » pour le rose sous-tendu de bleu. Le premier dérive vers une teinte saumonée, le second tend vers le rose orchidée. Mais lequel est le vrai rose ? En ce qui concerne les amoenas roses on trouve les deux coloris, mais le plus fréquemment rencontré est le rose saumoné. Richard Cayeux travaille dans les deux directions. 

Depuis 'Crème Glacée', il n'a pas été très productif, ce qui prouve bien que même les plus grands hybrideurs ont du mal à obtenir quelque chose de valable. Je crois qu'il n'y a rien eu jusqu'en 2017 date à laquelle sont apparus simultanément deux fort belles variétés : 

'Cornet Rose', issu du croisement 'Château D'Auvers Sur Oise' X ('Joli Cœur' x 'Blazing Sunrise'). Un amoena dans les tons de rose saumoné, un peu dans le style de Barry Blyth, où le modèle provient de 'Blazing Sunrise' (P. Black, 1983) et de sa longue lignée d'amoenas roses ou orangés ; 

'Rose Désir', dont le pedigree un peu diffcile à lire est 'Sugar Magnolia' X (('Sugar Magnolia' x 'Yes') x ((('In Town' x 'Night Edition') x 'Futuriste') x semis# 96 150)) et où 'Sugar Magnolia' (Schreiner, 1998) apporte son rose dit « vénitien » et ses lointaines origines australiennes. 

Le premier est de la famille des roses saumonés qui remonte au lointain « Sunset Snows' (J. Stevens, 1965), le second fait partie des roses « pink ». C'est ce rose-là que Barry Blyth semble préférer et qu'il a tenté d'obtenir tout au long de sa carrière d'hybrideur. Ses derniers succès en ce sens s'appellent 'Bashful Love' (2014) et 'Choose a Dream' (2017), mais ses confrères, qu'il s'agisse de Paul Black ou de Richard Cayeux, sont parvenus à des résultats aussi encourageants et 'Rose Désir' en est la preuve. 

'Crème Glacée' était un début. Il n'a pas eu de descendance directe, mais le travail a continué et les variétés que l'on nous propose aujourd'hui sont significatives du travail effectué. 

Illustrations : 

'Crème Glacée' 


'Cameo Wine' 


'Cornet Rose' 


'Rose Désir'

CELLE QU'ON CROYAIT ETERNELLE

« Est-ce qu'on peut ravoir à l'eau de Javel, 

des sentiments, 

la blancheur qu'on croyait éternelle, 

avant » (Alain Souchon) 

Avec le bleu, le blanc est la couleur la plus importante chez les iris. C'est notamment celle des illustres iris de Florence, celle qui figure sur le blason de la ville, mais qui a été évincée pour la culture des rhizômes à parfum par les iris de Dalmatie, bleu pâle, qu'on trouve de nos jours par champs entiers sur les collines de Toscane. Le blanc se rencontre dans une grande majorité des fleurs d'iris, le plus souvent sous forme de traces ou de griffures sous les barbes ou aux épaules, mais qui parvient aussi à coloniser la surface totale de la fleur. Les iris plicatas classiques étalent leur blancheur cernée de bleu ; les iris amoenas se partagent entre la couleur des pétales et le blanc des sépales ; les modernes distallatas de l'origine laissent leur blanc de base se rayer de bleu ou de pourpre ; les étonnants luminatas réservent au blanc pur l'intimité de leur cœur, et les éclatants glaciatas, abandonnant toute trace de pigments, offrent à leurs admirateurs la blancheur la plus immaculée. La couleur blanche, c'est à la fois la parfaite simplicité et la sophistication la plus élaborée. Pour cette chronique, nous allons examiner chacune des situations énoncées ci-dessus. 

Longtemps l’iris de Florence (I. florentina) a été une des richesses de la région du Chianti et même de toute l’Italie du Nord, jusqu’à la région de Vérone, au pied des Alpes. La ville de Florence en a tiré gloire et fortune et s’en est servie pour illustrer ses armes. Cependant, après des siècles de présence continue, la découverte de ce que l’iris de Dalmatie (I. dalmatica) était deux fois plus riche en irone, principe actif du parfum, a précipité sa disparition, du moins en tant que plante industrielle. Voilà pour la partie botanique de nos iris blancs, continuons avec la partie horticole. 

 Une seule couleur 

Des iris blancs il y en a des centaines, peut-être des milliers. C’est l’Anglais Sir Michaël Foster qui introduisit les premiers grands iris blancs. Il y a une controverse à ce sujet : Foster lui-même a écrit que ses premiers iris tétraploïdes blancs étaient issus de I. kashmiriana, ce qui est aussi l’avis de l’Américain Robert Sturtevant, mais d’autres, dont W.R. Dykes en personne, affirment que Foster s’est trompé et que l’espèce originelle est en fait I. cypriana. A vrai dire, cela importe peu pour le simple amateur d’iris. Un bref résumé de l'histoire des iris blancs des origines à nos jours passe par : 

‘Kashmir White’ (Foster, 1912), l'un des tout premiers ; 

‘Purissima’ (Mohr-Mitchell, 1927). Le premier blanc sans traces jaunes aux épaules ; présent maintenant dans presque tous les blancs ; 

‘Spanish Peaks’ (Loomis, 1946). Un cocktail où l’on a mélangé le blanc de ‘Purissima’ et celui de ‘Gudrun’, autre variété de M. Foster, ainsi que le bleu de ‘Dominion’ ; le résultat est un blanc absolu, y compris la barbe. 

‘Winter Olympics’ (O. Brown, 1963). Issu du fameux bleu ‘Rehobeth’, il a remporté la DM de 1967 ; 

‘Madeira Belle’ (Quadros, 1970). On aborde les temps modernes avec cette variété mondialement appréciée qui se situe à la huitième génération depuis 'Kashmir White' ; 

‘Missy Yorktowne’ (Innerst, 1984) (Lemon Mist X Madeira Belle) n’a eu qu’un instant de gloire, le jour où il a obtenu le Florin d’Or à Florence en 1987, mais c'est un blanc parfait ; 

‘Wedding Vow’ (Ghio, 1972). Ce descendant de ‘Purissima’ a parcouru 10 générations en 45 ans seulement ; 

‘Bubbly Mood’ (Ghio, 1984) (Social Whirl X Ruffled Ballet). Un blanc superbe, pas assez répandu ; 

‘Arctic Express’ (Gatty, 1995) (Christmas X Ocean Pacific). Digne fils de 'Christmas' : tout aussi ondulé et immaculé, qui se situe à la quinzième génération ; 

Avec 'Frison-Roche' (R. Cayeux, 1995) on revient en Europe, au moment où celle-ci a pleinement repris sa place dans le concert du monde des iris ; 

'Blanc de Monneret' (R. Cayeux, 2017), l'un des derniers blancs de chez Cayeux, pas encore très connu, à peine marqué de jaune aux épaules. 

 Tout ceci pour ne parler que des blancs « purs ». Mais il faut aussi dire un mot de ces iris blancs agrémentés d'une barbe colorée. Et de ce côté on a l'embarras du choix car les hybrideurs s'en sont donnés à cœur joie pour introduire des barbes de couleur dans les iris blancs ! On trouve de tout : jaune, rouge, bleu, moutarde, voire pourpre tirant sur le noir. Pour les barbes jaunes, on peut prendre pour modèle l'excellent 'White Lightning' (J. Gatty, 1973) ; pour les rouges ce sera, par exemple 'Arctic Fox' (V. Wood, 1997) ; pour les bleues, plus rares, ce que j'ai trouvé de plus remarquable est 'Electric Surge' (J. Weiler, 1992) ; pour les barbes sombres, choisissons 'Beau Zam' (B. Blyth 1987), qui a hérité des barbes brunes initiées par Melba Hamblen dans les années 1970. 

(à suivre)...

Illustrations :

- 'Purissima'


- 'Missy Yorktowne'


- 'Blanc de Monneret'


- White Lightning'


- 'Electric Surge'