Chacun peut remarquer que le monde des iris connaît un développement exponentiel. L'univers dans lequel il se situait il y a cinquante ans a pris une extension considérable, en particulier au cours des vingt dernières années. En fait le point de départ de ce phénomène date de la chute du mur de Berlin et, donc, de la fin de l'empire soviétique. Qui aurait pu imaginer qu'un événement politique, quelle que soit son importance, aurait des répercussions jusque dans le domaine de l'horticulture ? Pourtant, on est obligé de constater que dès que les échanges ont pu avoir lieu entre les deux blocs qui scindaient auparavant le monde, ils ont concerné l'horticulture comme le reste et l'iridophilie en particulier. Cela ne veut pas dire qu'on ne s'occupait pas d'iris dans l'est de l'Europe et en Russie, mais ceux qui voulaient cultiver cette plante, comme sans doute tous ceux qui avaient une volonté analogue, avaient tellement peu de moyens que leurs efforts, exceptionnels, les situaient à peu près au niveau des années 1920 ailleurs dans le monde. Dès lors qu'ils ont pu, sans recourir à des combines dérisoires, se procurer des variétés occidentales de valeur, ils ont commencé à réaliser des croisements ingénieux et tout les irisariens ont été très surpris quand le florin d'or de Florence a été attribué en 1995 à une variété obtenue en Ouzbékistan.
Cependant, ce que la fin de l'ère soviétique peut justifier pour l'Europe de l'Est et l'empire russe n'a pas forcément eu les mêmes répercussions en France et pourtant la coïncidence est troublante.
Avant les années 1970, et depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'activité iridistique en France se limitait à celle de Jean Cayeux. Celui-ci avait enregistré quatorze variétés depuis 1950. C'était une situation de monopole involontaire qui n'avait guère d'autre justification que de refléter l'état d'un pays qui se reconstruisait et avait d'autres préoccupations que de créer de nouvelles fleurs. Au cours des années 1970 il y eut vingt-et-un enregistrements Cayeux, dont certaines variétés fondamentales comme 'Condottiere', enregistré en 1978, mais rien d'autre : le marasme se poursuivait. Ce n'est qu'à la toute fin de cette décennie que le paysage de l'iridophilie française s'est mis à évoluer, avec l'entrée en lice de la famille Anfosso. Ce fut une sorte de révolution d'autant plus que ces nouveaux venus manifestaient une créativité séduisante et proposaient des iris intéressants comme 'Sonate d'O' (P. Anfosso, 1979) ou 'Lorenzaccio de Medicis' (P.C. Anfosso, 1979). Néanmoins, la production française restait infiniment réduite. La « check-list » des années 1970 est presque intégralement emplie de variétés américaines, avec une petite place pour les iris australiens de Barry Blyth qui avait déjà pignon sur rue.
On est resté dans cette situation au cours des années 1980. Sauf qu'à ce moment sont apparues les variétés de Jean Ségui. Ses premiers iris enregistrés remontent à 1981, lorsqu'il a mis sur le marché les quatre « B » qui sont 'Baladin', 'Balançoire', 'Baliverne' et 'Ball Trap', ainsi que l'amoena jaune 'Sur Deux Notes'. En 1982, viendra le riche variegata 'Corbières' ainsi que l'un de ses meilleurs, le bleu outremer 'Trapel', apprécié pour la richesse de son coloris et la vigueur de la plante, et le très recherché 'La Belle Aude', rose un peu raide mais solide et sans problèmes. On est ainsi passé de deux (si l'on considère que la famille Anfosso ne fait qu'un) à trois obtenteurs. En fait d'autres hybrideurs exerçaient en France mais ils n'agissaient que pour leur plaisir et n'envisageaient pas d'enregistrer leur production, de sorte que tous les iris ainsi apparus n'ont pas (ou rarement) quitté leur jardin d'origine. Ce n'est d'ailleurs pas forcément une situation regrettable. En effet, ceux qui auraient souhaité pratiquer l'hybridation avec sérieux ne disposaient à l'époque d'aucune documentation sur la génétique des iris, les pigments, les modèles et leur caractère, récessif ou non... Les seules informations disponibles l'étaient en américain et l'on sait que les langues étrangères ne sont pas le fort de nos compatriotes, et si les choses, de ce côté, ont favorablement évolué grâce notamment à Internet, ce n'était pas le cas il y a quarante ans. Et les bulletins « Iris et Bulbeuses » de l'époque n'étaient pas riches en informations de cette sorte. Comment, dans ces conditions choisir les bons parents, quels semis sélectionner ?
Il faut attendre 1991 pour voir apparaître un nouvel hybrideur professionnel (ou presque !). En la personne de Lawrence Ransom dont la première variété enregistrée, 'Opéra Bouffe' date de cette année. Jusqu'à sa disparition Ransom nous gratifiera de nouveautés pratiquement parfaites caractérisées par leur élégance et leur éclectisme.
À partir de ce moment, c'est à une véritable libération des envies d'hybrider à laquelle nous assistons. Depuis longtemps la revue « Iris & Bulbeuses » insistait envers les adhérents de la SFIB pour qu'ils osent faire enregistrer leur travail. C'est alors qu'ils ont commencé à le faire. Luc Bourdillon a commencé en 1996, Christian Lanthelme en 1997, Michèle Bersillon en 1999, Gérard Madoré en 2001, Bernard Laporte en 2004, Jean-Claude Jacob en 2006, Alain Chapelle en 2007, Sébastien Cancade en 2008... Et depuis la liste s'est considérablement allongée. Avec des non-professionnels la plupart du temps, mais plusieurs, par la suite ont fait de l'iris, si ce n'est leur profession, du moins une activité importante, facilités en cela par la possibilité d'offrir sa production à la clientèle par un site Internet peu coûteux. Aujourd'hui on compte plus d'une vingtaine d'hybrideurs domiciliés sur le territoire français faisant régulièrement enregistrer leurs iris. Parmi ceux-ci quelques-uns ont eu la chance d'obtenir des récompenses flatteuses au plan international. Cette expansion réjouissante a été rendue plus facile par trois évolutions :
- les échanges par les réseaux sociaux ont créé une véritable émulation qui s'est traduite par l'idée que l'obtention de variétés nouvelles de qualité était possible sans des moyens matériels considérables et seulement moyennant l'acquisition d'un minimum de connaissances techniques et génétiques ;
- la facilité accrue d'obtenir de jolies choses par les croisements de variétés modernes : jadis il fallait réaliser un grand nombre de semis pour obtenir des plantes répondant aux critères de sélection, et sur les iris sélectionnés rares étaient ceux qui, en fin de compte, se révélaient enregistrables ;
- une attirance nouvelle chez des jeunes gens pour le genre iris, développée par la possibilité de voir, grâce à Internet, des milliers de photos d'iris, et, leur nombre s'accroissant, la visite des collections d'iris d'amateurs éclairés et des pépinières plus ou moins spécialisées. À ce titre une compétition comme FRANCIRIS© a certainement contribué à cet engouement.
Le petit monde français des iris s'est ainsi largement développé. Il est maintenant à situer sur le même plan que ceux qui furent les leaders mondiaux pendant une cinquantaine d'années, je veux dire les Etats-Unis et l'Australie. Aujourd'hui on trouve d'excellents iris à peu près partout dans le monde. Il aurait été étonnant que cela ne fut pas possible dans un pays qui, dans ce domaine, n'a jamais été en reste quand les circonstances ne l'ont pas tenu involontairement à l'écart.
Illustrations :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire