11.1.03

SE SONT-ILS TROMPÉS ?

Quelqu’un que j’aime bien, et qui se reconnaîtra s’il lit ce texte, me fait part de son étonnement de voir que c’est MESMERIZER qui a remporté la Dykes Medal cette année. Pour lui, cet iris est « mal foutu », et ne mérite pas la récompense qu’il a reçue. Moi, qui admire MESMERIZER, cette opinion m’a étonné. Je ne cultive pas cette variété, mais je l’ai vue à plusieurs reprises dans des jardins d’amis et je ne lui ai pas trouvé de gros défauts. La plante m’a parue « normale », et la fleur, bien proportionnée par rapport à la taille des tiges, est à la fois belle, originale, et tellement prometteuse ! Ce n’est pas que je sois un fanatique des fleurs doubles, mais je conçois qu’on puisse s’y intéresser, et, en l’occurrence, on a fait un grand pas en avant avec cet iris là. La route de l’iris « flore pleno » me semble ouverte grâce à MESMERIZER, de même qu’avec son pendant bleu, SCENTED BUBBLES.

Au demeurant, l’observation de mon ami, grand connaisseur d’iris, dont la sincérité ne peut pas être mise en doute, m’amène à m’interroger. Et si les juges avaient commis une erreur ? S’ils avaient couronné une variété discutable ? Est-ce possible ?

Quand on connaît le système d’attribution des récompenses, cela semble difficile à admettre. Il est hautement improbable qu’un quelconque lobby pro-Mesmerizer, ait réussi à convaincre le panel des juges. Le long et lent cheminement pour arriver à la consécration suprême rend la chose quasiment impossible. Mais d’autres raisons ont pu entraîner la conviction des juges : l’effet de mode et le souci de marcher avec son temps, la difficulté de trancher entre des variétés de valeur équivalente, l’opportunité de rendre un hommage posthume à un hybrideur de génie…

L’effet de mode a certainement eu un impact. Distinguer un cultivar à éperons (pour ce type j’ai inventé le terme de « rostrata »), c’est aller avec l’air du temps : de plus en plus d’hybrideurs enregistrent des iris de ce type, pas toujours de très bon goût d’ailleurs, et ceux qui font de la résistance sont de moins en moins nombreux. Dans le type également récent des iris « broken colors » les enregistrements se multiplient et les juges semblent apprécier car les HM et AM attribués à ces iris deviennent abondants : il est probable qu’un « broken colors » obtiendra la DM dans quelques années. Mais déjà deux iris à éperons de Monty Byers avaient été couronnés : THORNBIRD en 97 et CONJURATION en 98. Etait-il nécessaire d’en rajouter ?

Les autres candidats à la DM avaient de farouches partisans CLARENCE (Zurbrigg 91) et FANCY WOMAN (Keppel 95) notamment. Chacun dans leur genre, se sont des variétés remarquables, et, surtout, elles proviennent d’obtenteurs qu’il serait justifié d’honorer. Alors, à défaut de se départager sur ces deux là, les juges ont-ils opté pour un outsider, lequel, de plus, permet de donner un signe marqué de reconnaissance posthume à Monty Byers, qui n’a plus aucune chance ensuite d’être salué.

Sans doute toutes ses considérations ont pu et du jouer. Mais MESMERIZER n’a-t-il pas les qualités nécessaires pour emporter seul la décision ? La plante est-elle disgracieuse ? Pousse-t-elle difficilement ? Sa médaille est-elle en conséquence usurpée ? Personnellement je ne le pense pas, mais l’autorité de mon ami en cette matière me met le doute à l’esprit. Et je me demande si, dans le passé, les juges se sont trompés. J’ai regardé dans le classement des vingt dernières années.

En 83 RUFFLED BALLET l’a emporté devant VICTORIA FALLS et ENTOURAGE. Il avait fini deuxième l’année précédente et sa récompense était prévisible. Cependant cette victoire n’a pas eu d’effet sur sa commercialisation, qui est restée plutôt médiocre, ce qui veut dire que les juges n’ont pas été du même avis que le public. VICTORIA FALLS s’est vengé l’année suivante et justice a été rendue à cette variété de haute qualité. Le triomphe de BEVERLY SILLS en 85 était amplement mérité et l’énorme succès commercial de cet iris est là pour démontrer qu’il avait toutes les qualités pour l’emporter. En 86 les juges ont choisi SONG OF NORWAY, devant COPPER CLASSIC et LACED COTTON. Cette fois, je ne suis pas certain qu’ils aient été bien inspirés. SONG OF NORWAY est-il un iris blanc ? Bleu ? Amoena inversé ? Sa couleur n’est pas nette, même un peu grisâtre. Son port est raide et ses fleurs assez peu gracieuses. Son principal mérite tient dans la teinte bleue de sa barbe. COPPER CLASSIC est autrement intéressant, au moins pour son coloris unique. LACED COTTON a une fleur profondément laciniée, superbe, et de plus possède des aptitudes génétiques intéressantes. Le choix de SONG OF NORWAY est peut-être du à l’impossibilité de séparer les deux autres !

Pas de DM en 87 ni en 89. Mais le choix de TITAN’S GLORY en 88 n’est pas discutable. En revanche celui de JESSE’S SONG en 90 peut sûrement l’être. Sans doute doit-il sa gloire au fait que son concurrent le plus dangereux était le petit intermédiaire AZ AP (Ensminger 79), et que jamais un intermédiaire n’a réussi à triompher jusqu’à présent. Un autre plicata, EVERYTHING PLUS, l’a emporté en 91. Ses concurrents immédiats étaient le brillant EXTRAVAGANT (Hamblen 83) et le fameux bleu TIDE’S IN (Schreiner 83). C’est sans doute celui-là qui était le plus méritant, notamment en raison de ses aptitudes génétiques largement utilisées par la suite. De 92 à 95 les choix des juges ont été incontestables. Aussi bien DUSKY CHALLENGER que EDITH WOLFORD, SILVERADO et HONKY TONK BLUES ont marqué leur époque et porté aux nues la qualité Schreiner. Mais BEFORE THE STORM était-il vraiment le meilleur de 1996 ? Encore une fois la fleur, surprenante par sa couleur sombre pratiquement noire, manque de souplesse, et la plante a la réputation de souvent pousser difficilement. Le tout petit BUMBLEBEE DEELITE aurait sans doute plus justement mérité de l’emporter n’eut été le fait qu’il ne soit pas un grand iris.

On entre ensuite dans l’ère Byers, avec THORNBIRD puis CONJURATION. Le choix de THORNBIRD a été vivement contesté, voire même déploré par les adversaires à la fois des iris à éperons et par ceux de son coloris très inhabituel. Pour moi, THORNBIRD, qui marque une rupture, est un choix justifié. Je ne pense pas la même chose de celui de CONJURATION. Je reproche à celui-ci sa raideur, la disproportion entre ses tiges très élevées et ses fleurs plutôt petites, et l’intérêt mitigé de ses éperons bien riquiqui. Mais, cette année là, la concurrence était assez faible, tant en ce qui concerne ACOMA, banal, que CITY LIGHTS, un peu trop délicat. HELLO DARKNESS était bien le meilleur en 99. Nettement plus intéressant que son aîné BEFORE THE STORM. Le succès de STAIRWAY TO HEAVEN en 2000 a constitué une surprise. Je ne suis pas apte à émettre un avis à son sujet car je ne l’ai vu qu’en photo et je ne sais rien de ses dispositions botaniques. En tout cas il ne semble pas devoir faire une grande carrière commerciale, car s’il est présent dans la plupart des catalogues américains, il n’a pas une bonne distribution en Europe. En 2001 YAQUINA BLUE a ramené au premier rang le savoir-faire de l’entreprise Schreiner. Il est probable que celle-ci triomphera encore une fois en 2003 car on ne voit pas de réel concurrent à CELEBRATION SONG qui a fait jusqu’à aujourd’hui un parcours sans faute.

De cette énumération il ressort que les juges américains n’ont pas toujours fait le meilleur choix, même si les variétés distinguées ne sont jamais des plantes médiocres. Alors pourquoi ne se seraient-ils pas égarés en désignant MESMERIZER ? En ce qui me concerne je ne suis pas convaincu de leur erreur, mais la question peut bien être posée !

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