LE TIERCÉ GAGNANT DE M. COOK
Il en est dans le monde des iris comme il en est dans le monde tout court : le hasard est toujours là. Il intervient quand on ne l’attend pas et peut être à l’origine d’événements considérables. J’ai déjà raconté les incroyables coups de chance de Clara Rees, avec SNOW FLURRY et de Lois Kuntz avec DEBBIE RAIRDON. Mais dans le genre, le geste du destin qui favorisa Paul Cook est au moins aussi extraordinaire.
Paul Cook, l’une des plus éminentes figures de l’hybridation, a commencé son travail avec les iris au début des années 30. Son nom est cité dans tous les domaines de l’hybridation, mais tout spécialement lorsqu’il est question d’iris bleus. En effet, dès 1939 il s’était lancé dans un programme destiné à améliorer la vivacité du coloris de ces iris. C’est dans ce but qu’il a acheté à l’obtenteur Rex Pearce un lot de graines qui devaient être celles d’I. mellita, et qui se sont révélées comme étant celles d’I. reichenbachii, une espèce d’iris nains originaires des Balkans, très florifère, dans les tons de jaune avec de fortes taches brunes sur les sépales. Paul Cook a réalisé en 1944 un croisement entre un de ces I. reichenbachii et le grand iris bleu SHINING WATERS (Douglas circa 35). Le résultat n’a pas été brillant en nombre de graines, mais l’un des semis obtenus, croisé de nouveau avec SHINING WATERS, a donné un iris amoena bleu de grande qualité. Cook a alors réalisé que ce petit iris de rien du tout, issu de ces graines d’ I. reichenbachii, possédait le pouvoir d’inhiber le pigment bleu dans les pétales de ses descendants. Il l’a enregistré en 1951 en lui donnant le nom de PROGENITOR.
PROGENITOR n’a jamais remporté la moindre distinction, mais il est à l’origine des iris néglectas, amoenas et bicolors actuels, et par conséquent de toutes leurs variantes comme celles que l’on rencontre chez les plicatas. Et les trois champions de cette immense descendance se nomment MELODRAMA (Cook 56), EMMA COOK (Cook 57) et WHOLE CLOTH (Cook 58).
MELODRAMA, l’aîné, est un iris néglecta, mauve bleuté ou bleu jacinthe pour les pétales, indigo clair pour les sépales, un peu plus clair sous les barbes mauve pâle, le plus ondulé des trois. Il tient son côté violacé au pollen de DREAMCASTLE, variété rose orchidée. Le cadet, EMMA COOK, ainsi nommé en l’honneur de l’épouse de Paul Cook, est le plus clair de la nichée : les pétales sont d’un blanc à peine bleuté, de même que les sépales qui comportent un large liseré en dégradé de bleu s’intensifiant vers le bord (l’effet d’inhibition s’est étendu largement sur les sépales), il est légèrement ondulé. Le petit dernier, de loin le plus célèbre, WHOLE CLOTH, est un vrai amoena : pétales blancs, sépales bleu violacé clair, barbes jaunes, fleurs presque sans ondulations.
MELODRAMA est à l’origine d’une foule d’iris bitones, bicolors ou plicatas, soit en descendance directe, soit par l’intermédiaire de ces descendants. A commencer par le bleu-mauve A PROPOS (Babson 64), les variegatas GYPSY LULLABY (Brown O. 60), BON VIVANT (Plough 63), AMIGO’S GUITAR (Plough 64) ou COSMOPOLITAN (Hamblen 72), les bicolors TOUCHE (Hamblen 69) ou DUALTONE (O. Brown 77) et des plicatas comme ODYSSEY (Babson 71) ou SPINNING WHEEL (Nearpass 74). Au moins trois de ses produits ont obtenu des récompenses majeures : DREAM LOVER (E. Tams 71) et EVERYTHING PLUS (Niswonger 84) ont reçu la Médaille de Dykes, le premier en 77 et le second en 91, et QUEEN OF FLORENCE (Mallory 76) porte ce nom en l’honneur du Florin d’Or qui lui a été accordé en 75 alors qu’il ne portait encore qu’un numéro de semis. Il est possible d’ajouter SOSTENIQUE (Blyth 75) qui fut le récipiendaire de la DM australienne en 86.
EMMA COOK est présent dans le pedigree de nombreuses variétés très diverses comme ARPEGE (Schreiner 66), SCINTILLATION (Schreiner 81), LIVE MUSIC (Schreiner 83), GYPSY WOMAN (Schreiner 84) qui ont eux-mêmes engendré plein de belles variétés comme l’amoena-plicata ART FAIRE (Schreiner 93), l’éclatant STARSHIP ENTERPRISE (Schreiner 99), et le brillant plicata allemand RENATE LEITMEYER (Beer 2001). Cependant c’est en France que sont nés les principaux rejetons d’EMMA COOK, en raison de l’usage qu’en a fait la famille Cayeux. CONDOTTIERE (78), tout d’abord, qui descend à la fois d’EMMA COOK et de WHOLE CLOTH, et dont la propre descendance est impressionnante, mais aussi GURLI (78) et VAHINÉ (79) dans le genre néglecta, ou JOLI CŒUR (99) délicat amoena rose. Enfin il faut parler des la grande famille des tricolores qui va d’ALIZÉS (87), plus amoena que tricolore, à PARISIEN (94), en passant par BAL MASQUÉ (91), VIVE LA FRANCE (91), REBECCA PERRET (92) – qui ressemble sans doute le plus à son ancêtre EMMA COOK--, et MARBRE BLEU (93).
WHOLE CLOTH est à l’origine d’un nombre incroyable d’iris de toutes sortes. On ne peut qu’en citer quelques-uns, en commençant par MISS INDIANA (Cook 61) qui reste l’un des plus brillants amoenas, avec une forme parfaite, et qui a eu lui-même une riche descendance avec DREAM LOVER (Tams 71) dont j’ai parlé ci-dessus. Les Français CASCADEUR (Cayeux 69), FANTAISIE (Cayeux 68), viennent de WHOLE CLOTH, comme les célèbres LATIN LOVER (Shoop 69), LILAC CHAMPAGNE (Hamblen 65), LORD BALTIMORE (Nearpass 69), MILESTONE (Plough 65), NAVAJO BLANKET (Schreiner 78)… Mais arrêtons-nous sur une famille issue de WHOLE CLOTH qui a eu un succès remarquable. Avec ROCOCO (Schreiner 59), Keppel a obtenu DIPLOMACY (65), que Ghio a associé à STEPPING OUT pour donner VENERATION (69). Il a par la suite croisé cette variété avec un de ses semis à la généalogie très complexe, englobant des blancs (SPANISH PEAKS) des bleus (CAHOKIA – CHIVALRY), des « noirs » (BLACK FOREST) et plusieurs de ses propres obtentions dans les tons de bleu (FROSTED STARLIGHT, PENTHOUSE, MAHALO), pour obtenir d’un côté DIALOGUE (73) et de l’autre MYSTIQUE (75). DIALOGUE a remporté le Florin d’Or en 76 et MYSTIQUE s’est vu décerner la DM en 1980 ! Les deux variétés ont indéniablement un air de famille, le premier est plus nettement amoena, le second tout à fait néglecta, mais tous les deux ont cette couleur extraordinaire, ce bleu spécifique qui a créé un choc lors de leur apparition sur le marché. C’est en regardant des photos de DIALOGUE et de MYSTIQUE que m’est venue l’idée de me pencher sur leur origine, car je leur trouvais quelque ressemblance avec MELODRAMA dont l’image figure également dans ma collection. Et il apparaît que ce dernier figure effectivement dans le pedigree des deux précédents, par l’intermédiaire de MAHALO (Ghio 64), qui est le produit de MELODRAMA et de TWILIGHT SONATA (Ghio 62), un iris indigo vif qui n’est pas pour rien dans la couleur exceptionnelle des deux demi-frères.
Voilà une étude généalogique passionnante qui, partant d’un petit iris botanique sans histoire, aboutit aux plus luxueux iris modernes par l’effet d’un hasard qui fait penser, en moins dramatique, à cette boutade selon laquelle une feuille de cerisier tombée à Tokyo peut être à l’origine d’un cyclone sur les Bahamas.
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