9.2.07

L’IRIDOPHILIE EN DANGER ?

Une vive polémique secoue actuellement le petit monde américain des iris. Dans les jardins d’Amérique, les maladies des iris semblent se développer de façon alarmante. Au point que de nombreuses voix s’élèvent pour reprocher aux variétés modernes d’être trop sensibles à la pourriture et au brunissement des feuilles. Les protestataires font la comparaison avec les variétés anciennes qui, d’après eux, résisteraient très bien à ces maladies.

Certains voient dans cette situation la conséquence de deux choses : la course au succès et le laxisme des juges.

Course au succès.

Il est évident que pour espérer faire un succès commercial, il est nécessaire de proposer aux amateurs des variétés originales : couleurs nouvelles, aspect différent, formes exceptionnelles. Si on recommence cent fois la même chose, les clients ne verront pas l’intérêt d’acheter ce qui n’est qu’une pseudo nouveauté. Mais ces nouveaux iris sensationnels se révèleraient souvent fragiles et sensibles aux maladies… D’où la demande de variétés certes originales, mais testées pendant suffisamment de temps et sous des climats différents, de façon à être assuré qu’elles sont costaudes. Problème : celui qui se montrerait à ce point scrupuleux ne serait-il pas distancé par des confrères plus prompts à engranger des bénéfices ?

Laxisme des juges.

Ce serait normalement aux juges à procéder à ces observations de robustesse. Mais, paraît-il, la population de ces arbitres serait vieillissante et beaucoup de juges voteraient pour telles ou telles variétés non pas parce qu’ils les ont appréciées de visu, mais parce qu’elles ont une bonne réputation médiatique ! L’accusation est dramatique et va certainement durcir la controverse.

Quelques personnalités de l’AIS, dont l’ancien Président Terry Aitken, ont tenté de ramener le débat à de justes mesures, mais les plus actifs des détracteurs persistent dans leurs critiques et réclament plus de rigueur de la part des hybrideurs et plus d’engagement des juges.

De notre côté de l’Atlantique, la question de la conscience professionnelle des juges est difficile à apprécier, mais on peut avoir une opinion sur les causes de la recrudescence des maladies. Personnellement, j’en vois deux : l’abus de fongicides, pesticides et engrais chimiques ; la culture trop intensive.

Fongicides, pesticides etc.

A trop utiliser les produits chimiques de toutes sortes, les amateurs d’iris américains n’ont-ils pas fragilisé leur propre terre et rendu les maladies résistantes, comme le deviennent certains microbes en cas d’abus d’antibiotiques ? Pourquoi certaine variété considérée là-bas comme sujette aux maladies se porte-t-elle à merveille en France ? Pourquoi, d’une façon générale, les cas d’attaque de la pourriture du rhizome sont-ils relativement rares chez nous, et devenus une véritable plaie aux USA ? On peut se rendre malade à force de vouloir éviter la maladie !

Culture intensive.

Beaucoup d’amateurs américains sont friands de nouveautés : ils se jettent sur les nouvelles variétés et délaissent très vite celles qu’ils ont porté un temps jusqu’aux nues. Ce « turn over » important, dans des jardins qui ne sont pas toujours gigantesques, impose de replanter dans des bordures qui ne sont pas restées sans iris pendant quelques années. C’est un fait avéré que replanter sans laisser la terre évacuer les enzymes secrétés par les iris qui y ont poussé, ne favorise pas du tout la force des remplaçants. Cela peut être une des raisons de la fragilité constatée un peu partout.

Par ailleurs, c’est évident que les cultivars modernes sont atteints de consanguinité à un niveau très élevé. Prenez le cas de ‘Conjuration’ (Byers 89 – DM 98) : dans son pedigree il y a 6 fois ‘Mary Randall’, 5 fois ‘Frosted Starlet’, 4 fois ‘May Hall’ et ‘Palomino’ etc. La consanguinité n’est pas un facteur de robustesse !

Pour conclure.

Enfin, sur ce sujet délicat, les réflexions de Michelle Bersillon, iridophile avertie, font preuve d’une grande sagesse : « En tant qu’hybrideur, ma responsabilité personnelle est de faire de mon mieux pour observer mes semis et écarter ceux qui sont manifestement faibles et sensibles à la maladie. Ça peut paraître simple, mais le travail d’un hybrideur est plutôt compliqué, après tout. Il nous faut penser à élever des iris qui soient les meilleurs en tous points :davantage de boutons, meilleure substance, fortes tiges, floraison garantie, meilleure forme, des ondulations, des bords dentelés etc. Sans parler des nouvelles couleurs et associations de couleurs ! Je ne crois pas qu’exiger que les iris du monde entier soient obligatoirement testés dans des jardins américains ad hoc avant leur enregistrement et leur introduction garantisse d’avoir des cultivars plus résistants. Une partie du travail de l’hybrideur est justement de sélectionner et re-sélectionner ses semis puis de décider de ceux qui sont effectivement dignes d’être enregistrés et mis sur le marché. S’il n’en était pas ainsi, il serait réduit à n’être qu’une paire de mains destinée à étaler du pollen ! Ensuite il est aussi de la responsabilité de celui qui introduit l’iris – qui n’est pas forcément son obtenteur – de choisir les meilleures plantes pour son catalogue. Après cela ce sera aux juges, et à ceux qui achèteront les iris, de décider quelles plantes resteront sur le marché : les juges par leurs votes et les acheteurs par leurs commandes.

Au demeurant, peut-on espérer que tous les iris barbus vont donner de bons résultats sous tous les climats et est-ce même raisonnable de l’imaginer ? Par exemple, peut-on penser qu’une plante obtenue et sélectionnée dans le Sud de la Californie ou dans le Midi de la France poussera bien dans des endroits comme le Michigan, l’Ontario ou le Nord de l’Angleterre, et vice-versa ? Même s’il en était ainsi, il existe des micro-climats qui permettent à certains de faire pousser des cultivars avec lesquels d’autres, dans la même région, n’auront aucun succès. C’est une sage façon de procéder que d’étudier d’où vient un iris quand on songe à en faire l’acquisition, et aussi de bien connaître son jardin.
»

Que ceux qui portent de graves accusations commencent donc par regarder dans leur jardin et s’interrogent sur leurs propres comportements avant de jeter l’anathème sur des gens qui ne sont forcément pas insensibles à des impératifs commerciaux, mais qui, surtout, pratiquent leur activité iridophile avec sérieux et passion.

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