RUSSIE : UN NOUVEAU MONDE DES IRIS
I. L’émergence
Avant la désagrégation de l’URSS, on ne se doutait pas que derrière le rideau de fer des amateurs un peu illuminés pratiquaient l’hybridation des iris. On ne s’est aperçu de l’existence de ces fanatiques que lorsqu’ils ont commencé à enregistrer leurs obtentions auprès de l’AIS. C’est à dire en 1995.
Cette année-là, la CII, la Société Russe des Iris, qui se voulait encore la représentante de tout l’ancien bloc soviétique, a fait enregistrer des variétés obtenues bien avant le retour de la Russie dans le monde libre. Il s’agissait de variétés de la moscovite Irina Driaghina, avec parmi elles ‘Fioletovy Nizkorosly’, un joli petit iris pourpre (60 cm), issu de l’antique ‘Sable’. Le couple Nadegda et Vitali Gordodelov rattrapait 20 ans de travail dans l’ombre en proposant 47 variétés dont ‘Graf Tolstoï’ (photo). Piotr Hattenberger, un autre habitant de Moscou, inscrivait deux nouveautés, Viktor Koroliov, 4, Galina Shevchenko, 13, et Viktor Sheviakov, 32. Sergei Loktev se lançait avec son ‘Drevni Rim’ (photo), premier d’une famille devenue immense.
La machine était lancée et sa vitesse allait s’accroître très rapidement.
Que dire de ces iris ? Qu’il s’agit de variétés qui étaient le reflet des géniteurs utilisés. C’est à dire quelques variétés américaines des années 50 ou 60, parvenues on ne sait comment dans un univers où tout ce qui provenait des Etats-Unis était considéré comme suspect. Il a sans doute fallu proposer des avantages en nature aux douaniers pour qu’ils laissent passer ces sulfureux produits ! Est-ce pour éviter d’avoir des explications embarrassantes à donner que tous les iris proposés par la famille Gordodelov ont été déclarés « de parents inconnus » ? C’est probable : Vitali était un retraité de l’Armée Rouge, et, au fin fond du Caucase, là où demeurait le couple, la libéralisation n’était peut-être pas encore bien acceptée. Mais prenez le cas de ‘Drevni Rim’ : son pedigree est ‘Bang’ X ‘Stepping Out’. ‘Bang’ (T. Craig) date de 1955, et ‘Stepping Out’ de 1964. ‘Surskiye Zori’ (Sheviakov 95), un bitone brun-rouge, est issu de ‘Heather Hawk’ x ‘Latin Lover’, deux iris des années 60. Tous les autres ont des pedigrees du même genre. De ce fait les variétés russes ont paru, au moment de leur enregistrement, plutôt ringardes, mais il fallait les replacer dans leur contexte. D’ailleurs, pour ne parler que de celles que je connais, je puis dire qu’en dépit d’un aspect quelquefois démodé, ces iris étaient robustes et plutôt intéressants.
Robustes, il est évident que pour naître et se développer dans le climat de la Russie, ils devaient forcément l’être : un peu comme l’étaient à la même époque les variétés des frères Sass, nées dans la région la plus rude des Etats-Unis.
Le petit livre « Registrations and Introductions » de 1996 comprend 75 inscriptions en provenance de Russie et d’Ukraine, avec un premier lot de semis obtenus par Nina Miroshnichenko, dont le gris ‘Khmuroye Utro’, qui démontre déjà l’intérêt de cette dame pour les coloris peu courants.
Il n’y a eu « que » 50 nouveaux enregistrements en 97. Le rattrapage des années de plomb était à peu près terminé. L’année 99 a vu l’enregistrement de 90 cultivars, dont certains issus de croisements entre variétés récentes. De plus, si les TB constituent encore la majorité, les hybrideurs abordent d’autres catégories (SDB, IB, BB…). On est au début d’une nouvelle ère.
II. L’inflation
A partir du début des années 2000, on assiste à une multiplication formidable du nombre des iris enregistrés. Ils deviennent tellement nombreux qu’on peut se demander quelle est la réelle valeur de toutes ces plantes. D’autant plus qu’en Occident rares sont ceux qui ont pu les approcher. Leur distribution reste en effet confidentielle et limitée à leur pays d’origine. C’est ce qui différencie ces iris de ceux produits dans les autres pays de l’ex-bloc de l’Est. En effet, que ce soit de Slovaquie, de Slovénie, de République Tchèque, les variétés obtenues peuvent être librement achetées, et l’entrée de ces pays dans la Communauté Européenne n’a fait que faciliter ces échanges. Mais de Russie, rien ne sort ! Ou presque, puisque les exportations officielles sont pratiquement impossibles. Il est même difficile de récupérer des photos. Pour se procurer des iris russes, il faut contourner les obstacles et rapporter ces plantes dans le fond d’une valise en priant que les contrôles dans les aéroports ne détectent pas les intrus…
Cet isolement ne semble pas décourager les hybrideurs. 33 nouvelles variétés en 2000, 105 en 2001, 91 en 2002, 116 en 2003, 124 en 2004, 355 en 2005, 219 en 2006 !!
Les plus grands pourvoyeurs s’appellent Viacheslav Gavriline, Boris Krasheninnikov, Sergeï Loktev, Viktor Sheviakov ou Viktor Sholupov. Ces quelques hybrideurs enregistrent plus que Schreiner, Black, Ernst, Keppel et Tasco ! On trouve de tout de ce grand magasin d’iris : toutes les catégories, toutes les couleurs, tous les modèles, y compris ceux qui sont à la mode aux Etats-Unis, comme les amoenas inversés ou les luminatas.
Cette inflation n’est pas significative de qualité, mais autant qu’on puisse en juger sur photo, les fleurs semblent bien formées, correctement ondulées ou frisées. Cependant, tant que ces plantes n’auront pas participé à des concours occidentaux relevés, comme celui de Florence, elles ne pourront pas être correctement évaluées.
Quoiqu’il en soit, on peut se faire un début d’opinion en regardant les photos de certains cultivars comme ‘Edgar Poe’ (Loktev 2005), ‘Oberman’ (Loktev 2006) ou ‘Solnetchnaya Fantasiya’ (Krasheninnikov 2007).
La Russie est-elle le nouvel Eldorado des iris ? Personne n’est en mesure de l’affirmer pour l’instant. Mais il est vraisemblable que sur la masse, et chez quelques obtenteurs scrupuleux dans leur sélection, on puisse découvrir de véritables perles.
I. L’émergence
Avant la désagrégation de l’URSS, on ne se doutait pas que derrière le rideau de fer des amateurs un peu illuminés pratiquaient l’hybridation des iris. On ne s’est aperçu de l’existence de ces fanatiques que lorsqu’ils ont commencé à enregistrer leurs obtentions auprès de l’AIS. C’est à dire en 1995.
Cette année-là, la CII, la Société Russe des Iris, qui se voulait encore la représentante de tout l’ancien bloc soviétique, a fait enregistrer des variétés obtenues bien avant le retour de la Russie dans le monde libre. Il s’agissait de variétés de la moscovite Irina Driaghina, avec parmi elles ‘Fioletovy Nizkorosly’, un joli petit iris pourpre (60 cm), issu de l’antique ‘Sable’. Le couple Nadegda et Vitali Gordodelov rattrapait 20 ans de travail dans l’ombre en proposant 47 variétés dont ‘Graf Tolstoï’ (photo). Piotr Hattenberger, un autre habitant de Moscou, inscrivait deux nouveautés, Viktor Koroliov, 4, Galina Shevchenko, 13, et Viktor Sheviakov, 32. Sergei Loktev se lançait avec son ‘Drevni Rim’ (photo), premier d’une famille devenue immense.
La machine était lancée et sa vitesse allait s’accroître très rapidement.
Que dire de ces iris ? Qu’il s’agit de variétés qui étaient le reflet des géniteurs utilisés. C’est à dire quelques variétés américaines des années 50 ou 60, parvenues on ne sait comment dans un univers où tout ce qui provenait des Etats-Unis était considéré comme suspect. Il a sans doute fallu proposer des avantages en nature aux douaniers pour qu’ils laissent passer ces sulfureux produits ! Est-ce pour éviter d’avoir des explications embarrassantes à donner que tous les iris proposés par la famille Gordodelov ont été déclarés « de parents inconnus » ? C’est probable : Vitali était un retraité de l’Armée Rouge, et, au fin fond du Caucase, là où demeurait le couple, la libéralisation n’était peut-être pas encore bien acceptée. Mais prenez le cas de ‘Drevni Rim’ : son pedigree est ‘Bang’ X ‘Stepping Out’. ‘Bang’ (T. Craig) date de 1955, et ‘Stepping Out’ de 1964. ‘Surskiye Zori’ (Sheviakov 95), un bitone brun-rouge, est issu de ‘Heather Hawk’ x ‘Latin Lover’, deux iris des années 60. Tous les autres ont des pedigrees du même genre. De ce fait les variétés russes ont paru, au moment de leur enregistrement, plutôt ringardes, mais il fallait les replacer dans leur contexte. D’ailleurs, pour ne parler que de celles que je connais, je puis dire qu’en dépit d’un aspect quelquefois démodé, ces iris étaient robustes et plutôt intéressants.
Robustes, il est évident que pour naître et se développer dans le climat de la Russie, ils devaient forcément l’être : un peu comme l’étaient à la même époque les variétés des frères Sass, nées dans la région la plus rude des Etats-Unis.
Le petit livre « Registrations and Introductions » de 1996 comprend 75 inscriptions en provenance de Russie et d’Ukraine, avec un premier lot de semis obtenus par Nina Miroshnichenko, dont le gris ‘Khmuroye Utro’, qui démontre déjà l’intérêt de cette dame pour les coloris peu courants.
Il n’y a eu « que » 50 nouveaux enregistrements en 97. Le rattrapage des années de plomb était à peu près terminé. L’année 99 a vu l’enregistrement de 90 cultivars, dont certains issus de croisements entre variétés récentes. De plus, si les TB constituent encore la majorité, les hybrideurs abordent d’autres catégories (SDB, IB, BB…). On est au début d’une nouvelle ère.
II. L’inflation
A partir du début des années 2000, on assiste à une multiplication formidable du nombre des iris enregistrés. Ils deviennent tellement nombreux qu’on peut se demander quelle est la réelle valeur de toutes ces plantes. D’autant plus qu’en Occident rares sont ceux qui ont pu les approcher. Leur distribution reste en effet confidentielle et limitée à leur pays d’origine. C’est ce qui différencie ces iris de ceux produits dans les autres pays de l’ex-bloc de l’Est. En effet, que ce soit de Slovaquie, de Slovénie, de République Tchèque, les variétés obtenues peuvent être librement achetées, et l’entrée de ces pays dans la Communauté Européenne n’a fait que faciliter ces échanges. Mais de Russie, rien ne sort ! Ou presque, puisque les exportations officielles sont pratiquement impossibles. Il est même difficile de récupérer des photos. Pour se procurer des iris russes, il faut contourner les obstacles et rapporter ces plantes dans le fond d’une valise en priant que les contrôles dans les aéroports ne détectent pas les intrus…
Cet isolement ne semble pas décourager les hybrideurs. 33 nouvelles variétés en 2000, 105 en 2001, 91 en 2002, 116 en 2003, 124 en 2004, 355 en 2005, 219 en 2006 !!
Les plus grands pourvoyeurs s’appellent Viacheslav Gavriline, Boris Krasheninnikov, Sergeï Loktev, Viktor Sheviakov ou Viktor Sholupov. Ces quelques hybrideurs enregistrent plus que Schreiner, Black, Ernst, Keppel et Tasco ! On trouve de tout de ce grand magasin d’iris : toutes les catégories, toutes les couleurs, tous les modèles, y compris ceux qui sont à la mode aux Etats-Unis, comme les amoenas inversés ou les luminatas.
Cette inflation n’est pas significative de qualité, mais autant qu’on puisse en juger sur photo, les fleurs semblent bien formées, correctement ondulées ou frisées. Cependant, tant que ces plantes n’auront pas participé à des concours occidentaux relevés, comme celui de Florence, elles ne pourront pas être correctement évaluées.
Quoiqu’il en soit, on peut se faire un début d’opinion en regardant les photos de certains cultivars comme ‘Edgar Poe’ (Loktev 2005), ‘Oberman’ (Loktev 2006) ou ‘Solnetchnaya Fantasiya’ (Krasheninnikov 2007).
La Russie est-elle le nouvel Eldorado des iris ? Personne n’est en mesure de l’affirmer pour l’instant. Mais il est vraisemblable que sur la masse, et chez quelques obtenteurs scrupuleux dans leur sélection, on puisse découvrir de véritables perles.
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