4.11.11

LES CLEFS DU ROYAUME





Nous allons évoquer cette fois certains de ces « key breeders », comme disent les auteurs américains, qu’on peut désigner en français par le nom de « variétés de base ». Il s’agit de ces iris qui ont été à l’origine d’un nouveau modèle de fleurs ou d’une avancée significative dans un modèle déterminé. Ces variétés-là sont des clefs du royaume des iris.

Parce que si l’on a quelque fois l’impression que les hybrideurs ne font que reproduire à l’infini un certain modèle, il arrive qu’ils mettent sur le marché des variétés franchement nouvelles ou qui apportent quelque changement dans un domaine qu’on estimait éculé.

Prenez le cas de ‘Sky Hooks’ (Osborne, 1980). Des iris à éperons, il y en a eu avant lui (il descend de toute une lignée de « space age » obtenus par Lloyd Austin), mais par ses qualités propres il a apporté un plus que les hybrideurs du monde entier ont exploité assidûment. On peut donc lui attribuer le qualificatif de « variété de base », même s’il n’est pas lui-même le premier de la lignée. Pourquoi a-t-il été aussi abondamment exploité en hybridation ? Je vois quatre raisons :
· La qualité et l’élégance de ses éperons (même s’ils ne sont pas vraiment spectaculaires) ;
· La forme parfaite de sa fleur ;
· Son coloris doux et agréable ;
· Sa grande fertilité, dans les deux sens.
Ces qualités, il les a transmises à ses descendants avec une grande régularité et dans leur liste on trouve ‘Conjuration’ (Byers, 1989 – DM 1998), ‘Mesmerizer’ (Byers, 1991 - DM 2002), et ‘Thornbird’ (Byers, 1989 – DM 1997) : rien que du beau monde ! On peut ajouter qu’à la génération suivante, descendant de ‘Conjuration’, il y a ‘Aurélie’ (R. Cayeux, 2002 – FO 2007).

La paternité du modèle « distallata » appartient à la fine équipe Ghio/Keppel. Ces deux vieux briscards, souvent complices, ont élaboré une savante salade génétique dont est issu ce nouveau modèle de fleur où le blanc pur des pétales, souvent bordé de jaune d’or, s’allie à des sépales également blancs mais lavés de rose ou de bleu et griffés de grenat ou de pourpre. La variété de base pourrait être ‘Prototype’ (Ghio, 2000), à moins que ce ne soit ‘Quandary’ (Keppel, 2001), même si ‘Puccini’ (Ghio, 1998) est apparu avant les autres bien qu’il soit un descendant du premier nommé. Votons pour ‘Prototype’ au nom si opportunément choisi. Ce qui singularise cette variété et en font une autre « variété de base », ce sont ces pétales blancs, très légèrement frisés, ces sépales, blanc rosé, qui sont finement veinés d’amarante sur le tiers inférieur, et ces épaules fortement marquées de jaune pêche. Ces traits qui proviendraient de ‘Fancy Tales’ (Shoop, 1980) ont déclenché un véritable engouement. A tel point qu’on a l’impression, aujourd’hui, qu’un hybrideur (surtout américain) se croirait déshonoré s’il ne mettait pas à son catalogue « son » distallata !

Quelque chose de voisin était apparu au même moment chez un autre grand hybrideur, Richard Ernst. Il s’agit de ‘Ring Around Rosie’ (2000). Dans ce modèle on retrouve les pétales blancs, finement ourlés de jaune clair, et les sépales blancs bordés de jaune pêche. Mais au lieu des griffures propres au modèle ‘Prototype’, ce sont des picots façon plicata qui occupent le centre des sépales.

‘Prototype’ et ‘Ring Around Rosie’ sont cousins et cela se voit. Les obtenteurs n’ont pas tardé à réunir les deux lignées, de sorte que maintenant on peut dire qu’elles n’en forment plus qu’une. Voici donc un modèle, très populaire qui a une origine bifide très originale.

Une autre direction, qui rencontre un succès planétaire, est celle indiquée par ‘Decadence’ (B. Blyth, 2004). Mais peut-on dire que ce ‘Decadence’ soit une « variété de base » ? En fait il semble n’être que l’aboutissement d’une recherche en vue d’obtenir un iris aux pièces florales frisées et bouillonnées : en quelque sorte un faux iris double. Dans une récente chronique j’ai détaillé les origines de ce ’Décadence’ et remonté cinq générations, au fil desquelles les ondulations et les crêpelures se sont peu à peu accentuées. Néanmoins l’appellation « variété de base » peut lui être affectée puisque Blyth lui-même et un grand nombre d’hybrideurs – plus souvent amateurs que professionnels, il faut le reconnaître – se sont jetés à sa suite dans l’espoir de reproduire ces fameux bouillonnés. Malheureusement pour eux, cette abondance de frous-frous n’est pas le trait que ‘Décadence’ confie le plus généreusement à ses descendants, et sur la soixantaine de rejetons directs que je lui connais, à peine un tiers en sont dotés. Comme quoi on peut être chef de file et ne pas donner franchement l’exemple !

Au cours de l’histoire des iris il y a eu beaucoup d’autres « variétés de base », les exemples choisis aujourd’hui ne sont là que pour donner une idée de ce que sont ces iris dont on retiendra le nom au cours des temps car ils ouvrent certaines des portes du royaume.

Illustrations :
· ‘Sky Hooks’ (Osborne, 1980)
· ‘Prototype’ (Ghio, 2000)
· ‘Ring Around Rosie’ (Ernst, 2000)
· ‘Italian Master’ (Blyth, 2009) – descendant de ‘Decadence’.

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