Le grand froid est certainement le plus dangereux ennemi des grands iris.
Cela s’explique fort bien au plan génétique. En effet nos grands iris actuels
ont pour lointains parents, d’une part des espèces diploïdes originaires de la
région méditerranéenne, d’autre part des iris tétraploïdes découverts au
Moyen-Orient. Peu à peu les espèces diploïdes ont progressé vers le Nord,
s’implantant dans des régions moins clémentes, mais qualifiées tout de même de
« tempérées » ; elles n’ont pas colonisé les régions au climat
continental. Quant aux espèces tétraploïdes, elles n’ont quitté leur milieu
d’origine, sec et chaud, qu’au début du XXeme siècle, pour être cultivées en
premier lieu en France, dans le Languedoc, puis en Grande-Bretagne. Elles ont
toujours été fragiles au froid et c’est cette fragilité qui est une des raisons
pour lesquelles elles ont été croisées avec les espèces européennes réputées
plus résistantes. Quoi qu’il en soit, nos iris modernes ne sont pas des plantes
insensibles au gel. Il faut cependant que celui-ci soit violent, ou accompagné
de circonstances particulières comme une humidité importante, pour détruire les
iris. C’est tellement vrai que, malgré de fréquents ravages, les grands iris
ont été cultivés dans des régions qui ne leur sont a priori pas favorables. En
Europe ce sont la Pologne, les Pays Baltes, la Russie ; aux USA ce sont
les états de la Grande Prairie (Minnesota, Kansas, Nebraska, Oklahoma) ou des
Rocheuses (Wyoming, Montana, Utah, Idaho) ; au Canada, l’Ontario. Dans ces
régions, on ne compte plus les cas de destruction massive par le grand froid.
Les frères Sass, dans le Nebraska, en ont plusieurs fois fait les frais. Si la
Maison Schreiner a quitté St Paul (Minnesota) pour Salem, c’est pour cette
raison et si Paul Black est parti d’Oklahoma City c’est parce que le froid et
la pourriture avaient presque détruit tout son travail. Plus près de nous, Lech
Komarnicki, dans le nord de la Pologne a vu ces dernières années, son travail
sur les TB anéanti au moins deux fois, au point qu’il s’est dirigé vers les
iris de Sibérie et leurs hybrides, qui tolèrent mieux les basses
températures.
N’y a-t-il donc aucune parade ? En fait, à ma connaissance, personne
n’a encore trouvé le moyen simple de lutter efficacement contre le gel profond.
Alors ? Comment font les Russes et les Ukrainiens ? Les uns et les
autres usent de moyens artisanaux, comme le paillage ou le mulchage des
bordures, ils bénéficient aussi de l’avantage d’un enneigement important :
une épaisse couverture de neige, qui reste en place plusieurs semaines, protège
parfaitement car sous la couche, la température ne descend guère en dessous de
–5°, ce qui est tout à fait supportable. Lech Komarnicki me disait il y a
quelques semaines que ce qu’il redoute avant tout c’est le froid sec, car dans
ces conditions les TB gèlent dès –15°.
A défaut de neige, le paillage est la seule protection que l’on puisse
envisager. Mais il a ses limites et sa mise en œuvre est plutôt pénible car dès
la fin des frimas il va falloir enlever l’excédent de paillage pour laisser aux
plantes l’air et la lumière dont elles vont avoir besoin pour pousser et
débarrasser les bordures de leur disgracieuses couvertures. Compte tenu des ces
inconvénients, est-il vraiment nécessaire de prendre ces précautions ?
Tout dépend, en fait, de la fréquence des grands froids et du risque encouru.
Dans la région de Grenoble, à altitude moyenne, Jean Peyrard fait pousser
toutes sortes d’iris et affirme n’avoir que peu de pertes bien qu’il ne prenne
aucune dispositions particulières. Alors ?
S’il y avait une protection vraiment simple et efficace, il y a longtemps
que les irisariens l’auraient utilisée. Mais les meilleurs, et les plus
exposés, n’ont rien trouvé de mieux que d’expatrier leurs collections ! C’est
un peu radical comme méthode, et pas à la portée de tout le monde ! C’est
pourquoi après chaque hiver glacial on entendra les amateurs d’iris déplorer
les dégâts du gel, puis avec une persévérance admirable, reconstituer peu à peu
leurs iriseraies sinistrées.
P.-S. C’est Antoine Bettinelli, un amateur vosgien, collectionneur d’iris
et de maintes autres plantes, et photographe hors pair, qui m’a proposé le
sujet de cette chronique, il y a quelques mois. Je l’en remercie bien amicalement.
Illustrations :
-
‘Prairie
Sunset’ (H. Sass, 1939)
-
‘Carnival
in Rio’ (P. Black, 1985)
-
‘Poranna
Mgielka’ (L. Komarnicki, 2010)
-
‘Postoronniy’
(S. Loktev, 2007)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire