Qu’est-ce qui peut pousser un individu apparemment normal à s’intéresser
aux iris au point de vouloir fabriquer les siens ? C’est très surprenant
qu’on puisse ainsi passer du statut de simple amateur de jardin à celui de
passionné d’iris, et plus encore à celui de créateur de nouvelles variétés. Le
forum de la SFIB, sur Internet, est une source d’information à ce sujet. La
rubrique « Débutants » accueille les appels de nouveaux amateurs, et
dans leur message on découvre quelle est leur motivation.
Il n’y a pas beaucoup de plantes qui excite autant l’envie de créer que
cette espèce majestueuse qu’on appelle « iris ». On n’a pas au même
degré l’envie de créer une nouvelle variété de haricot ou de pomme de terre. La
création de légumes n’est en réalité que le fait de spécialistes. Pour rester
dans le domaine floral, on ne cherche guère à fabriquer un nouveau narcisse ou
un nouveau delphinium. Les roses elles-même sont surtout créées par des
rosiéristes professionnels, même si quelques amateurs – comme notre ami J. C.
Jacob – pratiquent cet art avec quelque succès. En revanche un très grand
nombre de jardiniers est attiré par la création d’iris. La tâche peut pourtant
sembler difficile, et il faut de la patience pour attendre le résultat de ce
qu’on a entrepris. Cela n’empêche pas les hybrideurs amateurs d’abonder. Et ce
qui est le plus étonnant c’est que ce ne sont pas forcément des collectionneurs
chevronnés qui se lancent dans l’aventure ; des personnes qui ignorent à
peu près tout de la génétique en général et de celle des iris en particulier
sont tentées de féconder une fleur d’iris par une autre.
Je ne sais pas ce que ces apprentis téméraires pensent de ce qu’ils ont
fait quand ils constatent les résultats de leurs croisements, mais j’imagine
que la déception de n’obtenir qu’une fleur au mieux médiocre, est largement
compensée par l’excitation de voir éclore quelque chose dont on est
complètement le créateur. Au fond, tout cela se rapproche étrangement de ce qui
se passe lorsqu’on fait un enfant : on mélange les gênes de deux
personnes, pour des motifs qui n’ont rien de scientifique, et un être nouveau
va apparaître, que l’on va chérir, soigner, choyer passionnément, quelle que
soit sa perfection, et souvent même encore plus profondément quand il est
imparfait.
Dans la création (d’iris ou d’autre chose) il y a une grande part de
rêve. Et le rêve est à portée de la main quand on croise deux iris. Le simple
amateur comme l’hybrideur chevronné projette ses désirs de création vers la
plante qu’il imagine. Ils sont en fait tous les deux très proches de la
Perrette de la fable qui, en route pour le marché, échafaude un splendide
scénario à partir de la réalité bien tangible du pot qu’elle transporte sur sa
tête. Simplement, l’amateur ignorant ne s’attend à rien de précis : son
rêve est d’ordre général ; le rêve du professionnel qui a tout étudié
avant de réaliser un croisement est évidemment plus réfléchi, mais la part de
merveilleux qu’il conserve est assez grande pour garantir les joies de la surprise
au manipulateur averti des brucelles. Entre l’amateur et le professionnel, il
n’y a en réalité pas beaucoup de différence ; ce n’est qu’une autre forme
de curiosité. Celle-ci est générale chez l’amateur, plus aiguisée chez le pro,
mais dans un cas comme dans l’autre la part des impondérables est telle que la surprise sera forcément au
rendez-vous quand les premières fleurs nouvelles s’ouvriront.
L’amateur d’iris (l’irisarien comme disent les
Américains) n’est pas seulement un jardinier, ni même un botaniste. Certes, il
est un peu cela, mais on le qualifierait mieux en disant de lui qu’il est un
champion de l’imaginaire. En effet la passion qui le possède se prolonge bien
au-delà de la période de floraison de sa plante préférée. Il est évident que l’amour
d’une fleur aussi fugitive ne se nourrit pas seulement de la contemplation
d’une iriseraie épanouie dans la fraîcheur humide et ensoleillée d’un matin de
mai ; la part du rêve y est au moins aussi importante et
précieuse que celle du réel.
Même quand il se consacre à des tâches bien
concrètes, voire ingrates, comme épandre de l’engrais, arracher des mauvaises
herbes ou encore retirer des feuilles mortes, il a toujours dans l’œil la
vision de ce jardin idéal où ses plantes bien-aimées croissent, splendides et
pures, comme dans l’enclos du paradis que décrit Zola dans « La faute de
l’abbé Mouret ».
Dans l’une des
ses nouvelles Guy de Maupassant écrit, à propos d’un personnage, petit
comptable terriblement ordinaire : « La faculté des rêves, que chacun
porte en soi, ne s’était jamais développée dans la médiocrité de ses
ambitions. » Ce n’est certainement pas cette situation qui guette celui
qui est touché par la grâce de l’iridophilie. Au contraire, quand il a
l’occasion de s’exprimer, il montre à l’évidence qu’il est emporté par la part
des songes.
Illustrations :
Quatre
obtentions d’amateurs débutants ;
·
‘Aube Rose’ (Murati, 2005)(parents inconnus)
·
‘Chaux-Neuve’ (Bettinelli, 2008) (Edith Wolford X inconnu)
·
‘Ciel d’Eté’ (Tauzin, NR) (Breakers X Horizon Bleu)
·
semis Bersillon 0252 A ((Edge of Winter x Pledge Allegiance) X
Mesmerizer)
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