12.1.18

LE CERCLE DES ILLUSIONS

C'est en pensant au personnage principal du roman de Yann Queffelec « Le Maître des Illusions » que m'est venue l'idée de la chronique de ce jour. Non pas qu'il y ait un lien quelconque entre cet acteur qui détruit tout ce qu'il entreprend et nos chers iris ! Non, seulement si le personnage en est le maître, nos iris sont également des champions des illusions. Ils nous leurrent.

Pour nous proposer presque toutes les couleurs possibles, les iris ne disposent que de deux sources. Les pigments caroténoïdes, qui se logent dans les cellules et donnent naissance aux coloris jaunes, roses ou orangés, et les pigments anthocyaniques, qui règnent dans le liquide intercellulaire et assurent les colorations bleues ou violacées. Mais du fait de leurs localisations différentes, les pigments ne se mélangent pas ; ils peuvent tout au plus se superposer, et c'est ce qui nous fait croire qu'il y a plein de couleurs différentes. Et si l'on ajoute les effets des gènes inhibiteurs de pigments, qui se manifestent avec plus ou moins de vigueur, dans les pétales ou dans les sépales – voire dans les deux – on conçoit que la palette des couleurs que nous percevons peut être infinie. Avec peu de moyens, les iris (mais aussi bien d'autres plantes) réussissent à être de sacrés illusionistes. On peut même les qualifier de magiciens ! A moins que la magie ne soit le fait des hybrideurs, qui croisent et recroisent tous les modèles de fleurs et déclenchent de ce fait les illusions qui nous ravissent.

Prenez, par exemple un iris du modèle « 'Joyce Terry' », c'est à dire une fleur aux pétales jaunes et aux sépales blancs cerclés du jaune des pétales. Ajoutez-lui un modèle amoena-plicata (avec des pétales blancs, et des sépales au centre blanc liseré de pointillés violets. Il n'y a pas d'incompatibilité entre les deux types de colorants. Le modèle « 'Joyce Terry' » va constituer le fond de la coloration du nouveau modèle avec ses pigments jaunes intra-cellulaires ; le modèle plicata va s'ajouter et, tout simplement le jaune du modèle « 'Joyce Terry' », en rien contrarié, va apparaître dans toute sa pureté sur les pétales, tandis que les bords des sépales seront, à nos yeux, colorés de brun-rouge, plus ou moins pur, par l'effet de leurs fond jaune recouvert par les pointillés violets du modèle plicata.


Autre exemple, à partir d'un amoena jaune (pétales blancs par l'opération du gène inhibiteur, sépales jaunes) et d'un plicata bleu (pétales marqués de bleu ou de violet, sépales aux bords piquetés dans les mêmes tons, comme l'ancien 'Jigsaw'). Le modèle amoena jaune sera au fond et le modèle plicata par-dessus. Résultat, un plicata aux pétales quasiment blancs et aux sépales jaunes, avec bordure pointillée d'un grenat, résultant de la superposition du bleu violacé sur le jaune du fond. Tout cela à sélectionner parmi les fleurs plicatas apparaissant parmi les semis, bien entendu. (voir semis 13-21A)

On peut faire plus simple encore et croire que nous avons sous les yeux un iris pratiquement rouge incarnat alors qu'il s'agit d'une fleur uniformément jaune (ou rose, ou orange) recouverte d'un film violacé. (voir semis 10-109A)

A ce jeu nous pouvons être les victimes consentantes d'une infinité d'illusions, qui vont de la plus simple comme celle dont on vient de parler, à la plus complexe, où plusieurs modèles se mêlent et interfèrent, pour notre plus grand plaisir. Les meilleurs hybrideurs actuels savent bien pratiquer ce jeu. Ils ne s'aventurent pas à l'aveuglette quand ils imaginent leurs croisements. Pendant leurs soirées d'hiver, ils préparent les croisements du printemps suivant avec, en tête, des idées bien précises de ce qu'ils voudraient obtenir. Mais la partie n'est pourtant pas gagnée !

Parce que la nature ne se laisse pas manipuler aussi facilement que le souhaiteraient les magiciens de l'hybridation. Sur le papier, comme on vient de le voir, cela paraît simple, mais il faut compter avec des paramètres diablement nombreux où les lois de la génétique, façon Mendel, se combinent avec les impondérables de la germination, de la pédologie et de la climatologie. Sans compter que des facteurs beaucoup plus terre à terre peuvent intervenir, comme l'appétit des escargots ou le mulotage des merles ! Voilà pourquoi, si l'on veut mettre le plus possible de chance de son côté, il faut semer des milliers de graines puis repiquer des milliers de plantules. Et s'armer d'une immense patience, accompagnée d'une placidité à toute épreuve. Lesquelles tireront profit du désir de savoir et de la curiosité de ceux qui ont décortiqué les mécanismes naturels.

C'est à ce prix que les illusions dont la nature sait si bien jouer, qui résultent pourtant de processus confondants de simplicité, pourront réaliser leurs merveilles.

Iconographie : 


'Joyce Terry' (Muhlestein, 1974) 


 'Jigsaw' (Tompkins, 1985) 


semis Keppel 13-21A 


semis Keppel 10-109A

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