15.12.18

LE JOUR OÙ LA PLUIE VIENDRA

Toutes les espèces d'iris n'ont pas les mêmes exigences ni les mêmes réactions en ce qui concerne leur besoin en eau. Tout dépend, en fait, de la situation dans les régions dont elles sont issues. Un iris des régions désertiques n'aura pas les mêmes exigences qu'un autre provenant de zones tropicales. Iris bucharica, qui tient son nom de la région de Boukara en Asie Centrale, et Iris nelsonii, qui pousse en Louisiane, sont forcément foncièrement différents en ce qui concerne leur besoin en eau.

 Disons pour commencer un mot des véritables iris d'eau, ceux qui poussent dans les fossés, au bord des lacs et des étangs ou dans le espaces marécageux. En Europe on parle des iris faux-acores (I. pseudacorus) aux fleurs jaunes, chantés par les poètes et révérés par les historiens qui y voient l'origine de la Fleur de Lys, emblématique de la monarchie française. En Amérique ce sont les I. versicolor qui jouent le même rôle et jouissent de la même attention. Ceux-là sont de couleur bleu tendre, ou bleu-violet et, pour certaines espèces (I. kermesina), d'un rouge pourpré spectaculaire. Là-bas on les appelle « blue flag », ils sont regardés comme les fleurs typiques du pays et le Québec en a même fait son emblème.

Pour ce qui est de l'immersion, on pourrait croire que les iris de Louisiane en soient friands puisque les espèces que l'on a croisées pour leur donner naissance proviennent de contrées quasi tropicales, chaudes et humides, et poussent le plus souvent dans les bayous inondés. Mais dans la pratique, ils prospèrent en terrain humide, certes, mais surtout légèrement acide et riche en matières organiques. Ce sont de gros gourmands ! Et il leur faut de l'eau car ils redoutent particulièrement la sécheresse. D'où leur aptitude à prospérer à l'ombre de grands arbres au feuillage léger qui laissent passer une douce lumière, et leur évite une évaporation trop intense. Après les grands iris barbus, ce sont les iris les plus cultivés actuellement. Les plus grands hybrideurs qui se sont consacrés à eux se situent en Australie, ce qui peut paraître paradoxal, mais le sud de la grande île est particulièrement arrosé et ils y ont trouvé des conditions qui leur conviennent parfaitement, de sorte qu'ils en ont fait leur véritable pays d'adoption.

Sans qu'ils vivent franchement dans l'eau, les plus avides d'humidité doivent être les iris du Japon. Quand je vois une de ces fleurs, je ne puis m'empêcher de penser à ces artistes chinois qui font tourner des assiettes au sommet de fines baguettes avec une grâce et une habileté étonnantes. Les fleurs très aplaties de ces iris se balancent au vent à l'extrémité de tiges fines et solides, au-dessus des plans d'eau où ils poussent. Mais ce ne sont pas des iris d'eau ! Ils se développent très bien, et même plutôt mieux, dans des terrains acides, riches en éléments nutritifs, pourvu que l'humidité y soit maintenue pendant tout la période printanière et en particulier pendant la période de la floraison. Cependant ils montrent toute leur élégance lorsqu'ils sont légèrement immergés au moment où ils sont en fleur. C'est alors un spectacle purement japonais qui laisse une impression inoubliable. En dehors de ce moment, leurs besoins en eau ne sont pas sensiblement plus importants que celui de bien d'autres plantes.

On a tendance à considérer les iris de Sibérie comme des iris d'eau. Ce n'est pas exact. En effet s'ils admettent volontiers les espaces marécageux, ils se plaisent aussi dans les terrains hors d'eau pourvu que ceux-ci soient bien arrosés et maintenus frais, et que le sol soit riche en humus et surtout bien meuble : pas de terrain argileux et compact. Ce sont des iris qui aiment l'humidité, mais ce ne sont pas des iris à immerger. Leurs jolies petites fleurs, le plus souvent dans les tons de bleu, créent une ambiance délicieuse au printemps dans les jardins humides mais bien ensoleillés. Des hybrideurs passionnés leur ont consacré leurs travaux, de sorte qu'on en trouve aujourd'hui de toutes les couleurs propres aux iris, ce qui accroît leur popularité. Ils connaissent aujourd'hui un véritable engouement au point que l'un d'entre eux, 'Swans in Flight' d'un blanc immaculé, a enlevé la Médaille de Dykes.

Jusqu'à présent nous avons vu les espèces ou variétés d'iris qui ont besoin d'une humidité abondante. Mais il existe aussi des iris qui poussent en milieux arides. Ce sont ceux qui sont originaires des steppes d'Asie Centrale ou des zones plus ou moins désertiques du Moyen-Orient. Ces espèces, et les hybrides qui en descendent, ont la particularité de disposer de six barbes (trois sur les sépales et trois sur la face interne des pétales). Ce sont les Hexapogons, I. regelia, I. Oncocyclus...Leurs hybrides sont regroupés sous le nom d'iris Arils et, s'ils sont croisés avec des iris barbus classiques, sous celui d'Arilbreds. Ces iris-là n'ont pas besoin de beaucoup d'eau. Au contraire il leur faut un sol bien drainé, léger et enrichi en humus et en engrais. Leur culture n'est point facile mais leurs couleurs surprennent par leur originalité et leurs motifs exotiques. Le réchauffement que chacun constate de nos jours leur est tout à fait favorable et on peut leur prédire un bel avenir pour peu que les hybrideurs puissent remédier à leur délicatesse.

Chacun sait que nos iris de jardin ne sont pas non plus gourmands en eau. Ils se contentent le plus souvent de celle que le ciel leur envoie (1). Leurs longues feuilles étroites et pointues recueillent la moindre humidité atmosphérique et celle-ci glisse le long de ces toboggans naturels pour alimenter le rhizome. C'est pourquoi ils souffriront vite d'un excès d'eau si celle-ci stagne à leur pied et c'est aussi pourquoi ils poussent si facilement sur les terrains en pente, et même sur les talus. Ce sont des plantes qui sont bien adaptées au climat européen tempéré, mais si le changement climatique devait tirer leur environnement vers des conditions plus méditerranéennes, ils auraient sans doute plus de mal à survivre. Les amateurs et les hybrideurs des pays baltes verraient leurs difficultés s'amenuiser alors que ceux d'Europe de l'Ouest, devraient peut-être se tourner vers les iris de Louisiane !

Souvent les amis des iris scrutent le ciel d'été et guettent le jour où la pluie viendra. Ce jour-là leurs variétés en sommeil commenceront à ce réveiller, et ce sera pour eux le retour de l'espérance d'une floraison printanière réussie. Finalement la pluie fait plus plaisir au jardinier iridophile qu'à l'iris lui-même !

 (1) Une alimentation en eau abondante, pourvu qu'elle soit méticuleusement contrôlée, n'est pas dangereuse pour ces iris. Les rhizomes en profiteront pour grossir et prendre une allure avantageuse mais pas forcément garante d'une résistance à toute épreuve.

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