13.9.19

L'ITALIE, GRANDE ENFIN

Pour résumer la situation, voici ce que j'ai écrit dans un autre article à propos de l'iridophilie en Italie : « Au plan de l’hybridation, l’Italie connaît, un peu comme la France, de plus en plus d'hybrideurs intéressants. Augusto Bianco a élevé peu à peu son entreprise au rang des plus importantes d’Europe, et s'est lui-même distingué plusieurs fois dans les grandes compétitions. Des gens comme Luigi Mostosi, Roberto Marucchi, Lorena Montanari ou Tiziano Dotto ont été rejoints par des jeunes qui entendent bien trouver leur place au soleil. Au plan commercial plusieurs nouvelles pépinières spécialisées se sont ouvertes ces temps derniers ce qui démontre bien l'appétence grandissante des Italiens en matière d'iris. » On peut tout de même développer cela pour donner à l'Italie sa place actuelle dans le monde des iris.

Au début, c'est à dire dans les années d'après la seconde guerre mondiale, l'Italie s'était créé une place tout à fait originale. Alors qu'ailleurs dans le monde les hybrideurs prenaient conscience de mettre de l'ordre dans leur travail, en enregistrant scrupuleusement leurs variétés dans les fichiers de l'AIS, l'Italie se distinguait en faisant, en quelque sorte bande à part. L'hybridation y était l'apanage de quelques grandes bourgeoises ou aristocrates qui y voyaient un loisir de qualité qui pouvait mettre en valeur la beauté de leurs jardins. Leurs hybridations ne sortaient guère de ces derniers et elles ne voyaient pas la nécessité d'officialiser par une déclaration en bonne et due forme une activité bien plus ludique que scientifique ou simplement commerciale. Elles étaient peu nombreuses ces jardinières éclairées qui pratiquaient l'hybridation. La première à s'être fait connaître fut Mary Senni, une américaine qui épousa en 1907 le comte Giulio Senni et qui, au cours des années 30 à 50, a joué un rôle de premier plan près du grand public en diffusant des informations sur les progrès de l’hybridation des iris en Europe comme aux Etats-Unis par le biais des articles qu’elle publiait dans la Revue « Il Giardino Fiorito ». La comtesse Senni était en contacts étroits avec les hybrideurs les plus importants de l’époque, si bien qu'en 1931 une variété lui a dédiée par l'obtenteur français Millet. Dans le même temps elle pratiquait elle-même l’hybridation dans son jardin romain et ses propres variétés ont reçu un accueil favorable de la part des connaisseurs.

Plus près de nous plusieurs autres dames lui ont emboîté le pas. A commencer par Gina Sgaravitti. Elle s'est fait connaître en France par son 'Beghina' qui, par je ne sais quel hasard, s'est retrouvé dans plusieurs jardins. D'origine vénitienne, son mariage avec Teresio Sgaravitti l’a amenée à Rome où elle avait à s’occuper d’un vaste jardin qui, au fil des années, est devenu une sorte de pépinière, avec même un catalogue exclusivement dévolu aux iris ! Flaminia Goretti, épouse de George Specht, a consacré sa vie aux iris et c'est grâce à elle, en grande partie, que le Jardin d’Iris de Florence, le Concours International et la Société Italienne des Iris ont été créés. Nita Radicati, épouse Stross, a pris part à la création du Jardin d’Iris de Florence et a dirigé la Revue « Il Giardino Fiorito ». Avec son ami G. G. Bellia, elle est à l’origine de la création du jardin expérimental de San Bernardino di Trana, près de Turin, devenu depuis le Giardino Botanico Rea, qui accueille une superbe collection d’iris historiques et qui vient d’être réhabilité. Ceux qui s’intéressent à la littérature connaissent forcément l’écrivain italien Italo Calvino, dont le conte « Le baron perché » a fait le tour du monde. Ils ignorent sûrement que sa mère, Eva Mameli Calvino, s’était fait un nom dans le domaine de la botanique et, en particulier, dans celui des iris ; au cours des années 30/50 elle leur a consacré un grand nombre d’articles dans la Revue « Il Giardino Fiorito ». Elle s’est aussi essayée à l’hybridation allant jusqu’à envoyer plusieurs de ses obtentions au nouveau Concours de Florence qu’elle avait contribué à lancer. Ces dames sont restées fort peu connues en dehors du petit cercle des iridophiles italiens, et cette situation est en grande partie due au fait que, jusqu’à une date récente, l’hybridation était, en Italie, considérée comme un passe-temps, pratiqué par des intellectuels et autres gens de la bonne société qui n’accordaient à leurs obtentions qu’une modeste attention.

Pour faire la jonction entre ces prémices et la période moderne, je ne vois que Giuseppe Giovanni Bellia, un Turinois amateur d'iris, hybrideurs à ses heures, mais agissant dans le même esprit que les personnes citées plus haut. Ses obtentions, non enregistrées, s'étalent des années 196o aux années 1980 avec des variétés restées confidentielles et seulement présentes dans quelques précieuses collections italiennes.

Il faut attendre l'émergence d'Augusto Bianco, au début des années 1990 pour constater le départ de l'hybridation à une échelle d'abord artisanale mais qui s'est développée rapidement. Néanmoins les variétés italiennes ont été longtemps réservées aux amateurs de leur pays d'origine. Elles ont eu du mal à se faire connaître au-delà des Alpes. Mon jardin s'est longtemps enorgueilli de détenir de nombreuses obtentions signées Bianco, acquises par échanges amicaux, avant qu'elles n'essaiment ailleurs en France. Le triomphe de 'Vento di Maggio' (2011) au concours de Florence en 2013 ne s'est produit que tardivement, après plusieurs tentatives (1) et le succès de plusieurs autres obtenteurs, apparus bien après Bianco !

Le réveil de l'Italie s'est d'abord manifesté en 1999 quand 'Settimo Cielo' (V. Romoli, ) a pris le dessus sur l'américain 'Swingtown' au concours florentin. Madame Romoli, charmante et cultivée, s'inscrit dans la lignée des dames des années d'après-guerre, avec en plus une pleine conscience de la nécessité de donner une existence officielle à ses obtentions. Son travail, néanmoins, reste celui d'une grande amatrice particulièrement éclairée.

Plusieurs autres amateurs s'étaient fait aussi connaître en récoltant des récompenses annexes au concours de Florence, avant, pour certains d'atteindre le haut du podium. En voici la liste, de 1996 à 2003 :
Antonella Affortunati : 'Samuele' ; 'Bagnolo' ; 'Battiloro' ; 'Capoliveri'
Mauro Bertuzzi : 'Nebbia di Romagna' ; 'Recondita Armonia' (2) ; 'Fiore di Maggio' ; 'Macedonia' ; 'Notte di Lugo' ; 'Anemico'
Tiziano Dotto : 'Egeo'
Stefano Gigli : 'San Giovanni' ; 'Castelfranco' ; 'Viola di Nuovo' ; 'Ale Viola' (2) ; 'Amico Mio' ; 'Barbablu' ; 'Tramonto' ; 'Vinaccia'
Roberto Marucchi : 'Libarna' ; 'Sorriso di Alice' ; 'Cheyenne my Dog' (2); 'Mattinata Fiorentina' Lorena Montanari : 'Valeria Romoli' ; 'Fratello Sole' ; 'Ballerina Silhouette'
Luigi Mostosi : 'Citta di Bergamo' ; 'Traffic Light'
Stefano Paolin : 'Vymarna'
Valeria Romoli : 'Buongiorno Aprile' ; 'Verde Luna' ; 'Celeste Aïda' ; 'Zefiro Rosa' ; 'Agrodolce' ; 'Luna Rossa'
Leonardo Urbinati : 'Montefiore'
S. Volani : 'Tabarro'

 Les obtenteurs italiens n'ont fait, depuis 2003, que croître et embellir, s'illustrant largement dans la compétition pour le Fiorino d'Oro :
Mauro Bertuzzi (déjà cité) : 'Tenue Tenerezza' ; 'Aria di Maggio'
Angelo Bolchi : 'Lingua di Drago' ; 'Voglio Tempo'
Davide Dalla Libera : semis DAL 758-4/7 ; DAL 08-4/2 ; 'Spicy Violet' ; 'Red Surge' ;
Tiziano Dotto (déjà cité) : 'Sara' ; 'Esabella' ; 'Baba Jaga' ; 'Almast'
Angelo Garanzini : 'Pietra Focaia' ; 'Anima Cara' (2) ; 'Rubizzo' ; 'Anima Triste'
Simone Luconi : 'Lucomone I°' ; 'Donella G.'
Roberto Marucchi (dejà cité) : semis U 39-1
Lorena Montanari (déjà citée) : semis 7/06 A ; 'Come un Uragano' ; 'La Vita e' Bella' ; 'Buon Compleano' ; 'Il Canto delle Sirene'
Valeria Negri : 'Notte Profumata'
Stefano Paolin (déjà cité) : 'Canto del Cherubino'

Le succès des obtenteurs italiens s'est répandu en dehors de Florence. En 2015 'Alto Cielo' d'Angelo Garanzini s'est classé second à Paris.

Les longues listes ci-dessus apportent la preuve qu'en Italie, désormais, les iris ont pignon sur rue. Et cela se confirme par le fait que plusieurs nouvelles pépinières se sont ouvertes récemment, ce qui démontre qu'il n'y a pas que les professionnels (ou semi-professionnels) qui interviennent, mais que le grand public est également intéressé. Il reste néanmoins une bonne habitude à prendre : l'enregistrement systématique des variétés nouvelles, car beaucoup de celles qui sont ici citées sont restées dans l'anonymat...

 (1) Variétés ayant reçu une récompense annexe (1996/2012) :
1997 = 'Piero Bargellini'
1998 = 'Te alla Pesca'
2000 = 'Rosa Vanitosa'
2001 = 'Marcel Hayat'
2003 = 'Bianca Micheletta' ;
2004 = 'Dolce Acqua' ; 'Dragone' ;
2005 = 'Tango Bond'
2009 = 'Certosino' ; 'Ci Sei' ;
2011 = 'Tenebroso' ; 'Sahariana' ;

Par la suite les variétés suivantes ont été primées :
2017 = 'Delizia Tropicale' ; 'Campo di Marte' ; 'Rosso di Sera'
2018 = 'Mille Tre' ; 'Mille Due' ; 'Valdarno' ; 'Long Play'.

(2) Vainqueur du « Premio Firenze »

Illustrations : 

'Dolce Acqua' (Bianco, 2002) 


'Recondita Armonia' (Bertuzzi, 2007) 


'Sorriso di Alice' (Marucchi, 2008) 

'Notte Profumata' (Negri, non enregistré) 


'Donella G.' (Luconi, non enregistré)

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