Pendant de très nombreuses années, les hybrideurs et pépiniéristes américains ont proposé chaque année à leurs client un nombre de nouveautés de dépassant guère la quinzaine. C'était le cas des grandes entreprises comme Schreiner ou, en son temps, Cooley. Quelques autres atteignaient la dizaine, beaucoup d'autres se contentaient d'une poignée de variétés nouvelles. Le commerce étant ce qu'il est, plus chacune de ces variétés se trouvait distribuée, et par conséquent visible dans les jardins, plus elle accroissait le nombre de notes qu'elle était susceptible de recevoir dans la course aux honneurs. Cela conférait un avantage aux iris commercialisés par les grandes firmes, pour peu qu'ils soient de qualité et/ou précédés d'une certaine renommée. Les autres, quelque soient leurs mérites, subissaient la contrainte de leur manque de visibilité. Néanmoins le travail des juges s'en trouvait simplifié : ils n'avaient à juger qu'un nombre somme toute restreint de variétés, et cela n'a jamais affecté la validité des résultats.
Depuis quelques années les choses ont bien changé. Il est devenu assez facile d'obtenir, dans un semis, un nombre élevé de cultivars qui réunissent les qualités permettant de les enregistrer et de les mettre au commerce. Les hybrideurs se trouvent donc devant le dilemme suivant : ou bien je mets au compost de quantités d'iris de valeur qui, en d'autres temps, auraient fait le bonheur de leur obtenteur, ou bien je garde toutes ces belles plantes et je les propose à la vente. Et cette mise sur le marché va pouvoir intervenir assez peu de temps après la sélection puisque, pour satisfaire les futurs acheteurs, il ne sera plus nécessaire d'attendre qu'un stock important se soit constitué. C'est une aubaine que certains ont immédiatement exploitée. Car aux Etats-Unis – comme d'ailleurs dans les autres pays, mais avec encore plus d'acuité – l'attrait de la nouveauté est considérable. En proposant un large choix on ira dans le sens des désirs des clients, et les achats se trouveront évidemment répartis sur chacune des variétés présentées, ce qui rend possible une commercialisation rapide puisqu'il n'est plus nécessaire d'attendre des années avant de disposer d'assez de rhizomes pour satisfaire tout le monde.
A l'heure actuelle où en est-on ? La phénomène n'a fait que prendre de l'ampleur car après Mid-America qui a lancé le mouvement, tous ceux qui en avaient la possibilité ont suivi l'exemple. A l'heure de l'ouverture des ventes pour la saison 2021, un rapide tour des catalogues montre un nombre impressionnant de nouvelles mises sur le marché : chez Schreiner (qui nous avait habitué à une moyenne de 15 nouveautés) on atteint les 26, auxquelles s'ajoutent celles de Joe Ghio qui se contente désormais de pratiquer l'hybridation, soit 16 iris. A noter que les iris nains ou médians, rares jusqu'à présent chez Schreiner, figurent en abondance dans le nouveau panel. Chez Sutton on tourne autour de 36 nouveautés, chez Stout on se limite à 21 dont de nombreux nains ou médians, Keith Keppel se contente de 15 variétés, mais il n'a pas la capacité de faire plus à lui tout seul !Cependant le record absolu revient à Mid-America, de l'équipe Black and Johnson, qui aligne au total 176 iris de quatre obtenteurs différents!
Une telle profusion va forcément perturber le marché, mais ce n'est pas là le seul inconvénient. Du point de vue de l'horticulture cela entraîne une durée de vie réduite de chaque cultivar. En effet les surfaces de chaque pépinière ne sont pas indéfiniment extensibles. Il faut donc sacrifier très rapidement des iris qui n'ont pas eu le temps de vieillir (et de perdre de leur attrait, ni même de leur valeur marchande) et qui n'auront pas eu le temps de se répandre à travers le monde de manière à devenir célèbres et véritablement appréciés. L'iris devient ainsi une marchandise banale qui n'a plus pour raison d'exister que de procurer des recettes à leur obtenteur. On peut parler d'obsolescence programmée ! Son rôle dans l'amélioration de l'espèce sera considérablement limité : les croisements qui en seront issus seront mathématiquement peu nombreux et par conséquent les chances de découvrir un nouveau modèle, de nouvelles couleurs, de nouvelles formes de fleurs vont devenir plus rares, voire exceptionnelles...
Un autre casse-tête se profile, à relativement brève échéance : celui qui va impacter la course aux honneurs et la sélection des meilleurs iris. Tous les classements qui ponctuent cette course sont le résultat du travail des juges américains. Ces personnes agréées après une formation scrupuleuse, visitent les jardins où elles vont voir et pouvoir apprécier les divers variétés en course. Des juges, il y en a dans toutes les régions et ceux-ci visitent les jardins qui se trouvent à proximité de leur lieu de résidence : ils ne parcourent pas tout l'immense pays à la recherche des variétés listées sur le document qui leur est remis chaque année. Ont donc le plus de chances d'être notées les variétés largement diffusées à travers l'Union. Les autres, moins bien distribuées ou émanant de petits obtenteurs, ne seront vues que de temps en temps et ne recevront donc que peu de points. C'est ce qui va se passer quand les variétés en compétition, même si elles émanent de grandes pépinières ne pourront se rencontrer qu'en de rares jardins. Chacune n'aura que peu de points et il y aura très fréquemment des ex-aequos. Comment dans ces conditions attribuer les places et les médailles ? Le risque sera pour les variétés trop rares, même si elle sont très belles et très prometteuses, le bénéfice ira à celles qui auront pu être plus largement distribuées, même si ce ne sont pas les meilleures, et l'on pourra avoir de vrais doutes sur la valeur des récompenses attribuées... Dans ces circonstances peut-être faudra-t-il modifier le règlement des compétitions.
La mode actuelle à la multiplication des nouveautés ne frappe pas seulement les Etats-Unis, mais elle atteint aussi l'Europe. Mais dans nos contrées les conséquences sont moins graves puisqu'il n'y a pas de courses aux honneurs. Elles peuvent même être favorables dans la mesure où les mises sur le marché pourront intervenir plus rapidement et où le choix à la disposition des amateurs plus vate et plus diversifié. Cela peut même éviter d'avoir recours aux importations hors de l'Union Européenne, à un moment où les tracasseries sanitaires deviennent vraiment contraignantes.
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