8.7.22

LES OUBLIÉS

AIS Board of Directors Award 


 Parmi les nombreuses distinctions distribuées par l'AIS figure cet «AIS Board of Directors Award ». C'est une récompense qui n'a pas de périodicité arrêtée puisqu'elle a été instituée pour réparer l'injustice qui survient de temps en temps, lorsque une variété particulièrement valeureuse, une étape majeure dans la développement de l'iridophilie, n'a pas reçu la Médaille de Dykes qu'elle aurait amplement méritée. Il est donc évident que le BDA ne peut pas être attribué régulièrement. D'ailleurs elle ne l'a été remise que quatre fois depuis son institution en 1972. 

 La première variété à le recevoir a été 'Snow Flurry' (Clara Rees, 1939). Il a fallu un tiers de siècle pour que cette plante formidable reçoive enfin une distinction qui, si elle n'est pas la plus prestigieuse, accorde une certaine reconnaissance à la variété dont les gènes doivent se trouver dans à peu près tous les iris actuels. 


 Clara Rees a croisé 'Purissima', un tétraploïde blanc, avec le rose (et français) 'Thais', et obtenu seulement deux graines. Il n’y a qu’une de ces deux graines qui a germé, mais le produit a dépassé toutes les espérances : Un iris blanc, tétraploïde, impeccablement coiffé, ondulé, bref une fleur parfaite. Aussitôt qu’il a vu cet iris en fleur, le producteur Carl Salbach a été à ce point subjugué qu’il a acheté la totalité du stock pour le mettre en culture et l’introduire sur le marché. 'Snow Flurry' n’est pas une plante très fertile, il produit peu ou pas de pollen, mais heureusement il se comporte en bonne génitrice et les enfants qu’il a eus son tous formidables. Avec lui Madame Rees avait obtenu le plus fameux iris blanc des temps modernes. Il est d'autant plus surprenant que, chacun ayant reconnu ses aptitudes, les juges d'alors ne lui aient pas fait l'honneur de la DM. Mais les choses sont ce qu'elles sont et la reconnaissance a fini par arriver... 

 Le second récipiendaire de l'AIS Board of Directors Award a été 'Tobacco Road' (Rudolph Kleinsorge, 1941). 


 Tous ceux qui s’intéressent aux iris bruns connaissent ‘Tobacco Road’ (Kleinsorge 41), tout au moins de nom. En effet celui-ci apparaît si souvent dans les pedigrees qu’on ne peut pas l’ignorer. C’est un nom qui dit quelque chose aux bibliophiles et aux cinéphiles car « La Route au Tabac », suite de nouvelles d’Erskine Caldwell et le film que John Ford en a tiré sont des monuments dont chacun a forcément au moins entendu parler un jour. Cependant la renommée de la variété éponyme, plus qu'à ces souvenirs littéraires, fait référence à l’image du tabac que véhiculent les pétales de la fleur, bruns comme les feuilles séchées de la plante. Dans le numéro du printemps 1976 du bulletin de l’AIS  on peut lire à son sujet : « Il faut admettre que ‘Tobacco Road’ n’est pas exempt de défauts : il pousse difficilement dans les régions chaudes ; il résiste mal à la pourriture, surtout quand l’hiver a été rigoureux. Ce n’est même pas le premier iris brun ; c’est à son grand parent ‘Jean Cayeux’ qu’on peut donner cette distinction, et d’autres iris de Kleinsorge, comme ‘Buckskin’ ou ‘Aztec Copper’, peuvent être qualifiés de brun – de même que quelques autres iris des années 30, comme ‘Copper Lustre’, vainqueur de la Dykes Medal, qui présente ce coloris et quelque chose en plus. Mais la fleur ! Des sépales larges, arrondis, doucement évasés ; des pétales jointifs et résistants – et par-dessus le marché des tiges bien branchues. Il donne son meilleur sous le paisible climat du Nord-Ouest de l’Oregon et du Washington. A voir sa robustesse on était convaincu que la perfection a existé. » Une perfection que les juges n'ont pas reconnue et qui a fait que 'Tobacco Road' est resté au niveau de l'AM. Trente-quatre ans plus tard la réhabilitation est intervenue... 

 Il n'y a pas que chez les grands iris de jardin que l'injustice a frappé. Le SIB 'White Swirl' (Fred Kassebeer, 1957) en a également souffert. Comme c'est souvent le cas pour les histoires extraordinaires, celle de 'White Swirl'' mérite d'être contée. Dans un post du 25/02/2019 dans le blog de l'AIS, Bob Hollingworth l'a fait. Il raconte qu'on ne sait pas trop bien quels sont ses parents, mais que dès son apparition les amateurs ont compris qu'ils avaient affaire à quelque chose d'exceptionnel. Cette fois les juges n'ont pas hésité et ils ont attribué en 1962 un « Morgan Award », l'équivalent à cette époque d'un AM pour les Iris de Sibérie. À cet iris blanc, teinté de jaune au cœur, avec une forme nouvelle et spécialement gracieuse on pouvait prédire l'accession à la DM, hélas à cette époque, cette suprême distinction n'était pas accessible aux iris autres que TB ! Ce n'est qu'en 1987, trente ans après son apparition que 'White Swirl' a recueilli la reconnaissance du monde des iris. 


 Ce n'est qu'en 2021 trente trois ans après sa dernière attribution que l'AIS Board of Directors Award est réapparu. C'est le remarquable SDB 'Chubby Cheeks' qui en a bénéficié, et c'est une décision amplement méritée. 'Chubby Cheeks' (Paul Black, 1984) est un SDB plicata qui n'est jamais passé inaperçu. Voici ce qu'en dit son obtenteur : « Quand les semis issus du croisement ('Concord Touch' x 'Daisy') X 'Soft Air') ont fleuri, ils représentaient tout ce que je pouvais en attendre. Ils offraient toute la gamme d'un fond blanc pur avec de nets dessins plicata violet à un fond crème avec des marques brunâtres. Beaucoup avaient des bandes de couleur encerclant les dessins plicata et ont donné naissance à ce qu'on appelle les « plicatas cerclés ». Il y en a un qui sortait vraiment du lot. C'est le semis n° 824E Baptisé plus tard 'Chubby Cheeks'. Il avait un entourage d'un violet grisé délicat sur un fond d'un blanc chaud. La forme pleine, riche, arrondie et ondulée était une avancée significative et devint sa marque de fabrique. On ne pouvait pas l'appeler autrement que 'Chubby Cheeks' (1) et c'est comme ça qu'il a commencé à être connu, un nom bien choisi ne fait jamais de mal. » 


 Il est évidemment anormal que des variétés aussi importantes que celle-ci aient autant de mal à recevoir la récompense suprême. Mais les grands iris ont une telle importance dans l'activité des hybrideurs comme dans les goûts des amateurs, qu'il est très difficile qu'il en soit autrement. Un progrès est déjà intervenu lorsque la médaille est devenue accessible à toutes les catégories d'iris, mais le nombre de voix qu'une variété peut obtenir est fonction du nombre de fois qu'elle aura pu être vue par les juges. Tant que les TB seront outrageusement majoritaires la difficulté persistera et ils rafleront les récompenses. Il est donc essentiel qu'un trophée comme l'AISBDA soit là pour reconnaître la haute valeur de certains iris d'autres catégories. 

 (1) On peut traduire « chubby cheeks » par « gros joufflu »

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