29.2.20

SUPÉRIORITÉ AMÉRICAINE ?

Serait-ce comme en gouvernance ou en politique ? Un sorte d'alternance salutaire. Parce que, tout de même, c'est bien comme cela que les choses se passent. En matière d'iris, bien entendu. Depuis le début de l'hybridation forcée, le petit monde des iris a connu une véritable alternance. La première période a été celle de la France. Elle a duré, grosso modo, de 1830 à 1870. Le mouvement lancé par Marie Guillaume de Bure (1781/1842), ce benjamin d’une famille de libraires et d’éditeurs ayant pignon sur rue, qui occupait son oisiveté à cultiver et sélectionner des iris, a été poursuivi par son élève, le jardinier personnel du roi Louis-Philippe, Antoine-Henri Jacques (1782/1866), et une famille de véritables horticulteurs parisiens, les Lémon, de Belleville. La guerre de 1870, avec l'occupation de Paris par les Prussiens, a mis un terme à cette première aventure. Mais la ferveur pour les iris ne s'est pas pour autant arrêtée.

 Ce sont les Anglais qui ont pris la place. Mais ils ont abordé la question par une autre face. Les Français avaient choisi de sélectionner dans une grande quantité de semis les variétés qui présentaient des caractères originaux ou intéressants. En Grande-Bretagne on s'est penché sur la création de nouveaux croisements interspécifiques réalisés manuellement par des jardiniers ou des scientifiques curieux de créer des plantes franchement nouvelles. Ils avaient le champ libre : les continentaux européens n'étaient pas dans le coup, les Américains ne faisaient que s'éveiller à l'iridophilie. Les premiers à s'être fait connaître sont Peter Barr (1825/1909) et ses fils Rudolph (1861/1920) et William. Mais plusieurs autres horticulteurs comme George Reuthe leur emboîtèrent le pas. Notamment cet éminent professeur de Cambridge nommé Michael Foster (1836/1907), à qui l'on doit l'introduction des iris tétraploïdes dans la génétique des hybrides.

 La main passe. C'est justement grâce à ces iris tétraploïdes que les hybrideurs français sont revenus au premier plan au début du XXe siècle. Fernand Denis (1858/1935) a suivi le chemin tracé par Michael Foster et utilisé I. ricardi (une forme de I. mesopotamica rapportée de Palestine par A. Ricard) pour créer sa propre lignée d'iris tétraploïdes. Une autre famille d'hybrideurs français, les Verdier, qui avaient réussi à se maintenir malgré les difficultés dues à la guerre franco-prussienne se trouva là au bon moment pour profiter du mouvement . Il en est de même pour la famille Millet, de Bourg-la-Reine et surtout pour la fameuse famille Vilmorin, avec la personnalité de Philippe de Vilmorin (1872/1917) accompagné de son fidèle Séraphin Mottet. Ferdinand Cayeux (1864/1948) a très vite rejoint ces grands maîtres des iris et a même pris parmi eux une indétrônable première place. Ceux-là ont amené la France à reprendre le flambeau pour tout le début du XXe siècle, et jusqu'à la seconde guerre mondiale.

Une deuxième fois la guerre a tout bouleversé. L'Europe a eu d'autres occupations que les iris à partir de 1939 et le leadership est alors passé aux Américains qui se tenaient depuis longtemps en embuscade et chez qui la culture des iris avait pris une importance considérable depuis les années 1920. A vrai dire, s'il n'y avait pas eu en Europe des personnalités aussi marquantes que Amos Perry ou William D. Dykes en Grande-Bretagne, ou Ferdinand Cayeux en France, il y a longtemps que les Etats-Unis auraient été considérés comme la nouvelle patrie des iris. D'excellents hybrideurs s'y étaient fait un nom : Amasa-James Kennicott (1838/1863) avait donné l'exemple, bientôt suivi par un grand nombre d'autres comme Bertrand Farr (1848/1924), Grace Sturtevant (1865/1947) ou Benjamin Yoe Morrison (1891/1966)...

Les variétés américaines ont envahi le marché mondial. Dans les années 1960 elles ne laissaient que très peu de place aux iris européens, en pleine remise en marche, et aux plantes de l'hémisphère sud qui, n'ayant pas eu à surmonter les dégâts de la guerre, pouvaient montrer les aptitudes de leurs obtenteurs. Ailleurs dans le monde, rien. Dans la check-list des années 1960 on peut lire les noms d'obtenteurs que tout le monde connait encore et dont certaines variétés ont toujours leur place dans les collections. Paul Cook, Tom Craig, Fred DeForest, Geddes Douglas, Orville Fay, David Hall, Walter Luihn, Tell Muhlestein, Gordon Plough, Fitz Randolph, Nate Rudolph, Kenneth Smith, Ed Watkins, figurent dans la liste des obtenteurs avc bien d'autres qui n'en sont qu'à leurs débuts mais qui deviendront célèbres dans les décennies suivantes. Au cours de celles-ci la place dominante des variétés américaines ne va pas s'amenuiser, au contraire, même si peu à peu des obtenteurs d'autres nation vont se faire une place au soleil. Jean Cayeux en France, Jean Stevens en Nouvelle-Zélande, Brian Dodsworth en Angleterre font partie de ces nouveaux obtenteurs non-américains.

 Cependant peu à peu les choses vont évoluer. Ce n'est pas que les Américains vont régresser, mais ce sont les gens d'ailleurs qui vont être de plus en plus nombreux et de plus en plus maîtres de leur art. Barry Blyth et Graeme Grosvenor en Australie, Harald Moos en Allemagne, Nora Scopes en Angleterre, Richard Cayeux puis les Anfosso en France vont s'imposer. On verra progressivement les grands concours internationaux couronner des variétés d'Europe et même de contrées aussi anecdotiques que l'Ouzbékistan. Et tout cela, c'était avant la disparition du rideau de fer et l'entrée en lice d'obtenteurs russes, tchèques, slovaques, polonais, ukrainiens, slovènes...

Aujourd'hui peut-on encore parler de supériorité américaine ? Tous les connaisseurs d'iris ont chaque année les yeux braqués sur les résultats de la Médaille de Dykes US. Cette récompense est toujours considérée comme couronnant la meilleure variété mondiale. Il est vrai qu'accordée après une compétition qui peut durer dix ans, après des éliminations dignes d'un tournoi de tennis du Grand Chelem décidées par des juges qui ont reçu une formation spéciale et un diplôme, on peut dire que la variété qui triomphe, même si le règlement avantage les variétés issues de grandes pépinières, frise sûrement la perfection. Mais aussi prestigieuse qu'elle soit, cette distinction ne concerne que des variétés nées aux USA ou au Canada. Les variétés non-américaines ne peuvent pas, statutairement, la recevoir. Il n'y a pas encore de Championnat du Monde des Iris. Et encore, une compétition mondiale n'est pas envisageable à l'heure actuelle, pour différentes raisons liées à plein d'impératifs contradictoires, aux susceptibilités nationales et au obstacles financiers et linguistiques. Il faut donc se contenter de ce qui existe : le parcours des honneurs américain, les concours européens, les compétitions de l'hémisphère sud... Et c'est à chacun de se faire son propre classement et à désigner son champion du monde personnel.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je crois qu'une compétition internationale sur le renouveau des iris , comme surtout ceux à éperons , qui sont fortement isolés de part leur véritable modernité , tout comme aussi les remontants , pour lesquels il n'existe pas de concours spécifique, hors saison printanière , afin de leur attribué une notoriété méritante authentique pour les régions à climat tempéré .Je pense donc qu'il peut y avoir matière à réflexion pour rendre une meilleure équité internationale pour le jugement de l'évolution de l'iris ;il faut surtout obtenir les moyens financiers qui ne seraient plus insurmontables .
D.TAUZIN

Sylvain Ruaud a dit…

Aucun concours en effet ne privilégie les iris remontants. Parce qu'organiser un concours coûte très cher et qu'on ne peut pas recommencer l'opération deux fois dans l'année, et également parce qu'une compétition pour des variétés ayant un caractère aussi capricieux serait trop risqué.
Pour les iris à éperons, ils triomphent dans les grandes compétitions dès lors qu'ils présentent par ailleurs toutes les qualités requises. Organiser un concours pour eux seuls n'est pas envisageable à la fois pour des raisons financières et pour le fait qu'ils ne seraient pas assez nombreux en compétition.

SEBASTIEN CANCADE a dit…

Je ne vois pas comment organiser un concours d'iris remontants. Il me semble, du moins chez moi, que rares sont ceux qui d'une part sont fidèles d'année en année surtout avec les sécheresses que nous connaissons tous désormais, et d'autre part fleurissent à un moment précis, la période s'étalant ici d'Octobre à Décembre. Faire un concours pour voir fleurir deux ou trois iris n'en vaut à mon avis guère la chandelle mais ce n'est qu'un avis personnel.

Seb