Une
chanson « réaliste » des années 1930, à propos de
l'addiction au tabac, contient cette phrase : « Du gris
que l'on prend dans ses doigts et qu'on roule... ». En la
détournant un peu on peut s'en servir pour aborder le sujet des iris
aux fleurs grises que certains hybrideurs ont découvert – sinon
cherché – dans leurs semis.
On
pourrait commencer par définir ce que l’on entend par iris gris.
Le gris, théoriquement, est un mélange de noir et de blanc, qui va
du blanc cassé au gris anthracite. Mais on appelle également gris
le mélange précédent lorsqu’il contient une part de bleu ou de
mauve, voire de brun et même de rose. Autant dire que les gris sont
multiples ! En plus il faudrait ajouter à ce panel les couleurs qui,
pour une raison ou une autre, ne sont pas nettes ou franches. Le cas
n’est pas rare chez les iris, où bien souvent des semis présentent
un effet fumé ou une teinte brumeuse qui confère de l’étrangeté
à la fleur… Qui recherche quelque chose de différent peut se
risquer à retenir une telle obtention.
Quoi
qu'il en soit l’iris gris vraiment gris est rare, il en existe
néanmoins un certain nombre et il me semble que la fréquence de
leur apparition suit une courbe ascendante. Ils méritent donc que
l’on parle d’eux..
Au
commencement il y a 'Jean Cayeux' (F. Cayeux, 1931). On ne peut pas
parler d'iris gris sans évoquer cette variété qui, si elle n'est
pas à proprement parler d'un gris franc, incline néanmoins vers
cette couleur, et sous certains éclairages elle en est proche. Comme
on va le voir chez les autres iris gris, il n'est pas évident de
constater les prémices de cette coloration dans les antécédents.
C'est sans doute le fait que le gris n'est que la conséquence d'un
hasard hypothétique. Il faut attendre encore une trentaine d'année
pour voir apparaître un iris que je trouve absolument gris, c’est
une variété italienne, obtenue dans les années 60 par une
amatrice, Gina Sgaravatti, qui ne l’a jamais enregistré. Il
s’appelle 'Beghina', et, malheureusement, on ne connait pas son
pedigree.
Evoquons
ensuite 'Ghost Story' (Ghio 1974) dont le pedigree est (Cambodia
X (Claudia Rene x (Commentary x Claudia Rene))), où l'on retrouve
l'un des croisements basiques du travail de Joë Ghio.
C’est une fleur vraiment grise, fortement marquée de chartreuse
aux épaules et sur les côtes des pétales. Aucun de ses descendants
TB n'a reproduit son coloris
Par
la suite il faut retenir une variété de Clarence Mahan, qui a
enregistré en 2003 ce qui me paraît être une proche réplique de
'Beghina'. Celui-là, qui n’a pas basculé du côté obscur de la
Force, s’appelle 'Obi-Wan Kenobi'. Comme 'Beghina' il a cette base
gris perle, surtout présente sur les pétales car les sépales sont
imprégnés de gris-bleu, et ces barbes franchement jaunes. Parmi ces
antécédents on trouve un certain 'Joan’s Pleasure' (Zurbrigg 92)
qui lui a légué nombre de ses traits dont une couleur brumeuse très
caractéristique. Il reste cependant une exception dans le travail de
cet hybrideur discret.
Dans
le pedigree de 'Ozone Alert' (Burseen, 1997), comme dans celui de
'Obi-Wan Kenobi', on trouve une alliance de bleu et de jaune, avec du
pourpre chez le premier, et du gris –déjà – chez le second,
mais c'est ce dernier qui a tiré le profit le plus net de ces
teintes grisées. Son obtenteur, original à bien des égards,
n'hésite pas à surprendre son monde, et un grand nombre de ses iris
présente des caractères hors du commun. 'Ozone Alert' est dans ce
cas. C'est sans doute la fleur la plus grise que j'aie vu à ce jour.
Mais son descendant 'Pixel Hue' (2002) n'est pas mal non plus.
Pourtant
d'autres fleurs, récentes, ont enrichi la collection. Prenons par
exemple 'Mansonia' (A. Bianco, 2006), descendant de l'australien 'Inca
Queen' (Blyth, 1983). La teinte grisée s'étend sur toute la fleur
qui, dans la douceur de son coloris, apporte une touche tendre au
jardin. Encore une fois il n'y a pas grand-chose qui puisse laisser
entrevoir l'apparition d'une teinte grise. Certes on peut la
rattacher à 'Inca Queen', mais cela n'est pas évident !
Terminons
ce tour d'horizon par où on l'a commencé, c'est à dire dans les
rangs de la pépinière Cayeux. Cette fois ce sera avec 'Ciel Gris
sur Poilly' (R. Cayeux, 2011), qui porte bien son nom. Le gris n'y
est pas une couleur uniforme, les sépales sont plus mauve que gris,
mais les épaules, infuses de jaune olive, font planer sur l'ensemble
une atmosphère brumeuse très peu courante dans le monde des iris.
Là encore il semble bien que la coloration soit largement le fait du
hasard, cependant certains des descendants de cette variété
réflètent les origines grises de leur parent.
On
ne peut pas dire qu’en matière de couleur d’iris le gris soit
particulièrement vendeur, et Richard Cayeux lui-même reconnaît
qu'il a hésité à commercialiser son 'Ciel Gris sur Poilly' ! Cette
couleur n’est pas celle qui va déchaîner les passions comme le
font certains modèles récemment apparus – amoena inversés,
distallatas...- . C’est donc le plus souvent fortuitement
qu’un iris gris est sélectionné par un obtenteur : une sorte
de défi ou un désir de se singulariser... L'affaire peut se montrer
intéressante et le succès de 'Ciel Gris sur Poilly' auprès des
collectionneurs et peut-être même du grand public en apporte une
preuve.
Illustrations :
-
'Jean Cayeux'
'Ghost Story'
'Obi-Wan
Kenobi'
'Ozone Alert'
'Mansonia'
'Ciel Gris
sur Poilly'