13.11.22

EXOTIQUES !

On peut entreprendre une collection d'iris sans autre but que d'amasser des fleurs. On peut aussi se fixer pour objectif de rassembler des variétés de telle ou telle catégorie, de tel ou tel modèle... Quand j'ai commencé à réunir des iris, je me situais sans doute dans la première série : je m'étais pris de passion pour cette fleur et je souhaitais avoir la possibilité de jouir d'un vaste choix. D'où l'acquisition chaque année du plus grand nombre possible de nouvelles variétés, dans la mesure évidemment de mes moyens ! Au bout de quelques temps cependant je me suis intéressé aux iris que je jugeais les plus originaux, et en ce domaine les catalogues des pépiniéristes français m'ont paru un peu conventionnels. Le choix qu'ils proposaient n'avaient pas pour but de permettre à leurs clients déjà bien pourvus, de satisfaire leurs envies de fantaisie ou d'originalité. Ce n'est pas ces iris-là qui allaient étoffer leur chiffre d'affaire ! Logiquement les catalogues proposent des variétés superbes, qui poussent bien, et qui sont de nature à satisfaire le plus grand nombre, chaque producteur orientant ses choix en fonction de ses goûts personnels et de son souhait de se distinguer de ses confrères. Dans cette perspective les catalogues français des années 1980 et 1990 offraient un choix remarquable, qui faisait honneur la sensibilité et au professionnalisme de leurs éditeurs. Mais à ce moment j'étais tenté par des plantes que l'on ne trouvait pas ailleurs. J'imaginais que d'autres collectionneurs étaient dans le même état d'esprit, et je me suis lancé dans la recherche de ces personnes. Cette recherche a été couronnée de succès. De nombreux collectionneurs français ont pris contact avec moi pour me proposer les oiseaux rares de leurs collections , en échange de ce que j'avais de plus exceptionnel à leur offrir. Parallèlement j'ai aussi échangé avec des iridophiles étrangers, essentiellement européens, mais aussi beaucoup plus exotiques : américains, sud-africains, puis ouzbeks et russes... En Europe même je ne me suis pas contenté de nos voisins allemands, anglais et italiens, mais j'ai contacté des collègues belges, suisses puis à la faveur de la fin de l'Union Soviétique, tchèques, slovaques, ukrainiens... Des relations cordiales et même amicales se sont développées un peu partout en France et dans le monde. Et ma collection d'iris s'est enrichie de fleurs hybridées ici et là, chez des amateurs éclairés comme chez de véritables professionnels. Tout ce qui m'est parvenu ainsi n'a pas toujours été d'une qualité parfaite, mais des variétés très intéressantes sont aussi apparues. Surtout j'étais à peu près toujours le seul en France à les cultiver. Cela a été l'occasion de découvrir des iris différents, voire parfaitement exotiques, dont certains méritent qu'on fasse leur connaissance de façon un peu plus approfondie. 

 Commençons par nos proches voisins. La Grande-Bretagne précisément. Curieusement, ce grand pays d'iris, qui fut même le premier d'entre tous au tournant du 20e siècle, n'est plus guère représenté dans nos catalogues. Pour se procurer des variétés anglaises, les opportunités sont rares. Dans les années 1980/90 Lawrence Ransom en proposait quelques-unes. C'est ainsi que j'ai pu acquérir 'Early Light' (Nora Scopes, 1983), joli jaune éclairci au centre de sépales, ou 'Buckden Pike' (B. Dodsworth, 1985), d'un blanc crémeux avec une matière charnue, Médaille de Dykes anglaise de 1987. 



 Dans les années 1980, trouver des iris en provenance d'Allemagne n'était pas chose facile, parce qu'aucun pépiniériste français n'en proposait. C'est par l'entremise d'une amie allemande que j'ai pu me procurer un certain nombre de rhizomes de variétés obtenues outre-Rhin. Parmi ceux-ci : 'Berthalda' (E. Woerfel, 1984), 'Mandy G' (M. Beer, 1991) ou 'Kräehenwinkel Gold' (H. Moos, ca 1985). le premier provient d'un amateur éclairé, ancien dirigeant de la société allemande des iris, le second, d'un noir en avance pour son époque, est l'enfant d'un obtenteur prolifique dont les production sont souvent à l'honneur dans les compétitions européennes, le troisième, non enregistré, sort du jardin de l'un des plus anciens et des meilleurs obtenteurs de son pays, dont les hybridations se sont fait remarquer à Florence et ailleurs. 




 Passons en Italie, une grande nation pour les iris mais qui a longtemps souffert de ce que ses obtenteurs ne prenaient pas la peine de faire enregistrer leurs plantes. Dans les années 1980/1990 il était difficile de se procurer des variétés italiennes. On en n'est plus là aujourd'hui où de nombreux hybrideurs italiens n'hésitent plus à faire connaître leur talent dans toutes les compétitions européennes. Ma première acquisition a été 'Beghina' de Gina Sgaravitti, un « vieil » iris qui, par je ne sais quel hasard s'est retrouvé dans plusieurs jardins français. J'ai été attiré par sa couleur peu commune et j'ai apprécié sa vigueur et sa floribondité. Puis je me suis lié d'amitié avec Augusto Bianco et nous sommes ainsi convenus qu'il m'enverrait de temps en temps quelques-unes de ses obtentions pour qu'elles soient testées dans des conditions de culture autres que celles de leur Piémont natal. De nombreux iris qui sont apparus à son catalogue ont connu auparavant le sol de Touraine. C'est le cas pour une variété qui, finalement, n'a pas été retenue pour un problème de rigidité des tiges, mais qui au plan de la fleur proprement dite était une jolie chose. Pour ma pratique personnelle je lui ai donné le nom « de jardin » de 'Dorabella', par allusion à l'une des héroïnes de l'opéra « Cosi Fan Tutte ». Une autre personne qui m'est chère est Valeria Romoli, qui fut longtemps la maîtresse des lieux du concours de Florence et qui s'est aussi exercée à l'hybridation. Son 'Verde Luna' (1996) m'a séduit par sa couleur peu courante. Il a bien prospéré dans la douceur tourangelle. 




 Des voisins de l'Italie, la Suisse et la Slovénie, j'ai trouvé de quoi satisfaire ma curiosité internationale ! Au nord de Lausanne, au pied du Jura, le château de Vullierens est la propriété du Docteur Bovet, qui y a développé une importante collection d'iris, avec l'aide d'un grande spécialiste Gaby Martignier. En 1985 j'ai fait l'acquisition de quelques-unes de leurs hybridations et je n'ai pas regretté mon achat. Il a contribué à ma connaissance du monde des iris et à mon jugement des iris eux-mêmes. Cet achat comprenait ‘Etoile’, qui me rappelle que les iris n’ont pas toujours eu des pétales gaufrés, des sépales rigides et horizontaux et tout plein de gracieuses ondulations. Au demeurant les fleurs simples, « tailored » comme on dit, ne manquent pas de charme sur une variété comme celle-là. Isidor Golob, slovène, est un iridophile averti et un homme charmant. Il crée des iris à son image, sans prétention, qui témoignent de sa passion. 'Juna Somero' (1997) est l'une des premières variétés qu'il ait enregistrées. Il a entre autres la particularité de porter un nom exprimé en espéranto ; il est peut-être le seul dans ce cas ! 



 La Slovénie fait partie des Etats dits « de l'Est ». Dans cette situation on trouve aussi la Slovaquie qui s 'est distinguée en étant la patrie de Ladislaw Muska, un précurseur en matière d'iris dans cette partie de l'Europe. J'ai lié avec lui des liens d'amitiés que seule sa mort a pu défaire. Pendant des années nous avons échangé des iris, ce qui a valu à ma collection d'être très certainement la plus riche de France en matière de variétés Est-européennes. Celles qui me plaisent le plus sont sans doute 'Xochipili' (1997) et 'Don Epifano' (1995) mais dans sa vaste production il y en a beaucoup d'autres qui mériteraient d'être plus connues, comme cette 'Madame Chirac' (2000) dédiée à l'épouse de notre ancien Président ! 



Même pendant la sombre période du communisme, la République Tchèque – à cette époque la Tchécoslovaquie – possédait une activité iridophile remarquable. C'est ainsi qu'en 1985 'Libon', variété obtenue par Vojtech Smid, a remporté le Florin d'Or. Parallèlement, le jardin pragois de Pruhonice acquérait une réputation internationale, sous la direction de Milan Blazek, éminent spécialiste des iris et hybrideur à ces heures. Dès que les relations internationales ont été rétablies, de nombreux hybrideurs se sont manifestés. Zdenek Seidl est l'un des plus actifs et ma collection recelait plusieurs de ses variétés, comme 'Pozdni Leto' (1997), d'un joli jaune pêche, ou 'Modre Pondeli' (1997), amoena mauve. 



 De même qu'en République Tchèque, un vaste mouvement iridophile s'est développé en Pologne. J'ai fait la connaissance d'une personnalité originale bien connue là-bas, le comédien et metteur en scène Lech Komarnicki. Ce n'est pas de l'artiste dramatique dont nous allons parler de lui ici, mais du collectionneur d'iris, obtenteur curieux de croisements insolites. Plusieurs échanges de variétés m'ont permis d'acquérir, par exemple, 'Evelyn Likes Me' (2005), 'Exploding Sun' (2003), ou 'Tajemnica' (2005), bien avant qu'ils ne soient enregistrés. 



 Je suis entré en relation avec un homme qui allait devenir une personnalité du monde des iris : Sergueï Loktev. Cet ancien garagiste a tout plaqué pour se consacrer entièrement aux iris. Il a fait le tour du monde, dans les conditions les plus rocambolesques, pour visiter les jardins des meilleurs obtenteurs. A ses tout débuts, il m'a envoyé un colis de variétés datant de la toute fin de l'URSS, en particulier des obtentions d'un ancien officier de l'armée rouge, Vitali Gordodelov, retiré dans le nord du Caucase. Parmi celles-ci le mauve 'Graf Tolstoï' (1995) et le blanc 'Elbruz Almazny' (1995), bien représentatif de ce que l'on faisait à l'époque et dans les conditions locales. 



 On ne peut pas terminer cette énumération sans parler des iris d’Ouzbékistan, œuvre d'Adolf Volfovitch-Moler, et principalement de ceux qui ont créé la surprise en s'imposant à Florence en 1995, 'Simfoniya' (1996) et 'Ikar' (1995). Nos échanges m'ont permis de cultiver une grande partie de ses obtentions : 'Abadiyat','Aelita', Askiya' 'Aziat', 'Babiye Leto', 'Carnival Night', 'Chimgan', 'Happy Childhood', 'Morskoy Priboy', 'Rah', 'Rah Rah Boy', 'Tashkent', Vdokhnoveniye', 'Vecherniye Platiye', 'Vecherniaya Skazka', 'Vodevil', 'Vostochny Ornament', 'Zolotaya Korona'. Une série spécialement précieuse! 




 J'aimais beaucoup ces variétés peu courantes, non pas parce qu'elles étaient d'un caractère exceptionnel, mais parce qu'elles étaient représentatives du monde des iris dans son intégralité et dans ses particularités...




Aucun commentaire: