2.12.22

BON APPÉTIT !

S'il était cuisinier, Joë Ghio aurait sans doute ses trois étoiles. Il improvise, mais il sait où il va ! C'était sûrement le cas quand il a entrepris de réaliser la magistrale salade génétique qui a abouti à son iris baptisé 'Puccini' (98) ! 

 Coucher sur le papier le pedigree de cette variété n’est pas quelque chose de simple et facile. Pas moins de 34 variétés différentes interviennent, souvent à plusieurs reprises, de sorte que les parenthèses s’ajoutent aux parenthèses dans un imbroglio qui doit bien amuser le spécialiste du genre qu’est Joë Ghio, lui qui jongle avec tout cela avec une incroyable dextérité. En tout cas le résultat est là : croisées et recroisées ces trente quatre variétés ont donné naissance à un iris particulièrement original et nouveau, ce 'Puccini' qui se présente avec des pétales bien blancs (mais avec un filet d’or à la crête des styles), des barbes mandarine et des sépales dont le fond blanc est orné d’or aux épaules et parcouru de fines veinures violacées. C’est là toute la nouveauté de cette fleur. Une nouveauté qui a amené Keith Keppel, autre utilisateur de la même série de croisements, à donner au modèle ainsi créé le nom de « distalata », de « distal », néologisme américain qui me paraît signifier « éparpillé » ou quelque chose comme ça. 


 'Puccini' a pour partie maternelle une variété nommée 'Prototype', enregistrée en 2000 seulement, de sorte qu’elle n’apparaît pas sous son nom dans le pedigree de 'Puccini', mais dans le détail de ses composants. Pour faire simple on peut donc résumer 'Puccini' à : (Prototype x 88-180 P) X 92-75 D4, sachant que la partie mâle de ce 92-75 D4 est aussi… 88-180 P !! 


 Mais qu’est-ce qui se cache derrière ces numéros de semis plutôt rébarbatifs ? 

 Les éléments majeurs se trouvent dans 88-180 P (et par conséquent dans 92-75 D4) et s’appellent 'Fancy Tales' et 'Strawberry Sundae'. Penchons-nous un peu sur ces deux variétés dont la seconde, au moins, n’est guère connue chez nous. 


 'Fancy Tales' (Shoop 80) se présente avec des pétales blancs et des sépales en dégradé de mauve violacé avec des épaules pêche. C’est une variété sur les origines de laquelle Shoop est resté peu disert, se contentant de dire qu’il s’agit d’un semis dans lequel on remonte à 'Whole Cloth', 'Wine And Roses' et à des semis amoenas roses. 'Strawberry Sundae' (Schmelzer 77) est un amoena orange clair dans le pedigree duquel on retrouve ce 'Wine And Roses' cité ci-dessus. Il ne peut pas faire de doute que le coloris de 'Puccini' (et de sa « mère » 'Prototype') tienne dans ces deux variétés-là. Le blanc des pétales vient de 'Whole Cloth', les griffures pourpres en bas des sépales, de même que les épaules marquées de jaune, proviennent de 'Wine And Roses' et des semis amoenas rose ou orange, même si ce n’est pas évident quand on regarde 'Wine And Roses', mauve vif et grenat. 


Voilà pour le point de départ. Mais Ghio ne s’est pas arrêté à ces deux variétés, il a poursuivi son travail et tenté, d’année en année, d’améliorer le résultat obtenu. 


 Au départ il y a donc eu 'Prototype', le bien nommé. Puis est venu 'Puccini'. Ensuite est apparu 'Expose' (2003). Pour celui-là, Ghio a pris l’élément maternel de 'Puccini', il y a ajouté 'Romantic Evening', une des variétés les plus recherchées du moment pour ce qu’elle apporte en brillant des couleurs, en grâce de la fleur et en vigueur de la plante, et un élément nouveau, 'Impulsive' (Ghio 2001). Et cela c’est une idée de génie car cet 'Impulsive' descend de 'Cinnamon Sun', une des premières variétés à présenter les fameuses griffures violacées, tenues elle-même de 'Peach Sundae' par qui l’on remonte encore une fois à 'Wine And Roses'. Voilà donc cette particularité présente deux fois, dans 'Puccini' et dans 'Impulsive'. Comme il fallait s’y attendre, 'Expose' enrichit la panoplie, notamment grâce à une fleur plus ondulée et à la teinte abricot des épaules qui a gagné du terrain sur les sépales. En 2005, Ghio a proposé une étape supplémentaire sous le nom de 'Magic Happens' où les griffures violettes sont accentuées, les couleurs plus vives et la fleur encore mieux formée et ondulée. Joë Ghio ne s’avance pas sur le pedigree de cette variété, sans doute a-t-il perdu les éléments d’identification, mais je parie volontiers qu’il a repris les éléments précédents auxquels il a ajouté quelque chose : une sorte d’épice qui rend le plat encore plus appétissant ! 


 Ghio est ainsi à l'origine d'un plat qui a rencontré un succès phénoménal. Tous les bons hybrideurs ont mis à leur catalogue (ou à leur menu !) au moins un iris distallata. Peu à peu cependant ce modèle a perdu de son attrait. On est est maintenant passé à autre chose, mais la cuisine reste toujours aussi bonne.

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