LA FOI DU JARDINIER
Croire et espérer. Pour être un jardinier heureux, il faut en même temps de la foi et de l’espérance. Ces deux vertus théologales sont indispensables à qui possède un jardin dont il veut qu’il soit beau, agréable et gratifiant.
Pourtant, que d’obstacles se dressent sur sa route ! Celui pour qui le jardinage se résume à arracher quelques brins d’herbes et à revenir avec les bras chargés de fleurs ou de légumes n’a qu’une image de carte postale dans la tête. C’est un peu comme lorsque Madame de Sévigné déclarait : « Savez-vous ce que c’est que faner ? C’est ramasser de l’herbe en batifolant dans la prairie ! » Le pain sort du four : il sent bon et il grésille encore… Le résultat est là, mais où sont les déceptions, l’anxiété et la peine ?
Le jardinier doit avoir l’espoir chevillé au corps. Il imagine, il rêve du résultat, il voit son jardin réussi, ses bordures couvertes de fleurs, son potager regorgeant de superbes légumes… Mais il lui faut affronter tous les obstacles que la nature dresse contre son rêve.
Prenez l’amateur d’iris. Dans la chaleur d’août il a soigneusement préparé son terrain, détruit les mauvaises herbes, engraissé la terre, pioché, retourné, ratissé. Il a choisi avec ferveur les variétés nouvelles qu’il a l’intention de planter. Il reçoit son colis, le déballe, et constate que sur dix variétés commandées, trois ne sont pas livrées, stock épuisé… Justement celles sur lesquelles il comptait le plus, qu’il avait tellement hâte de posséder ! Bon, tant pis, ce sera pour l’année suivante !
Il a planté ce qu’il a reçu. Il a arrosé méthodiquement ses chers rhizomes. Il a eu le plaisir de voir la feuille centrale s’élever rapidement au-dessus des moignons des autres. Il a désherbé autour de ces trésors pour que, l’hiver venu, ils ne disparaissent pas parmi une végétation parasite et disgracieuse. Les fortes pluies, la neige, le gel sont passés. Le jardinier songe à la saison des fleurs qui arrivera dans quelques semaines : déjà les pousses nouvelles grandissent de chaque côté des rhizomes plantés. De tous les rhizomes ? Non ! Il y en a deux qui n’ont qu’une malheureuse pousse, qui ne grandit guère, ceux-là ne fleuriront pas, c’est garanti. Il faudra attendre un an de plus… Mais l’année prochaine, ils auront eu le temps de s’implanter solidement, ils seront magnifiques, avec plusieurs tiges florales, c’est sûr ! Mais ceux qui ont leurs trois pousses sont en pleine forme ! Il est temps de leur donner un peu d’engrais pour les booster. Il est également temps de retirer de nouveau ces fameuses herbes qui s’insinuent malignement partout. C’est agaçant, mais l’idée de voir des hampes solides se dresser dans le jardin, avec plein de boutons lourds de promesses, fait oublier les efforts dans le vent glacé de mars, entre deux averses.
La St Georges approche. Déjà les iris hâtifs montrent la pointe de leurs sépales enroulés autour des pétales que l’on ne voit pas encore. Une nuit bien claire, un coup de gel, adieu mes beaux iris !… Mais, du moins les autres, ceux qui ne fleuriront qu’à la mi-mai, n’ont pas souffert. Cela va être formidable. Demain, il devrait faire plus doux, Laurent Romejko l’a assuré !
Pour faire plus doux, il a fait plus doux ! En deux jours le thermomètre a dépassé les 20°. Un soleil royal inonde le jardin. Un soleil qui n’a fait que devenir chaque jour plus brûlant. Du coup les iris se sont empressé de fleurir : ils ont même pris de l’avance par rapport au calendrier prévisionnel. Pourvu qu’ils tiennent le coup jusqu’à la venue des amis qui vont faire une longue route pour les voir, dans quinze jours !
Le soleil n’a pas cessé de chauffer. Les fleurs, au lieu de durer trois ou quatre jours comme c’est normal, commencent à se recroqueviller dès la fin de leur seconde journée. Au moins les iris tardifs, les plus majestueux, seront au mieux de leur forme à la date fatidique…
On pourrait continuer sur ce ton presque indéfiniment. L’espoir fait vivre, mais la nature s’amuse à le mettre à rude épreuve ! Heureusement, en plus de l’espoir, le jardinier cultive la foi. L’amateur d’iris, plus peut-être que les autres. Il croit à ce qu’il fait. Il croit que les « moyennes de saison » ne sont pas des élucubrations de météorologistes. Il croit que les plantes qu’on lui décrit comme « florifères » et « poussant bien » sont bien en possession de ces qualités. Il croit que les efforts qu’il fait pour que ses chers iris soient beaux et en bonne santé serviront à quelque chose… Et il a raison ! A un moment ou à un autre il sera gratifié d’une floraison somptueuse. Parce que les déconvenues, un jour ou l’autre, cèderont à la chance et que les mauvais jours sont toujours suivis des bons.
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