30.12.11

L’HORTICULTEUR DE MALÉTABLE



Dans les guides touristiques on parle de Malétable comme de la commune où un curé a fait construire une église à ses frais. C’est vrai que cela n’est pas banal car au milieu du 19eme siècle les curés de campagne n’étaient généralement pas riches. A Malétable, c’était différent. Mais savez-vous où se trouve Malétable ?

C’est un tout petit village d’une centaine d’habitants, situé dans le Perche, à quelques kilomètres de Mortagne, dans le département de l’Orne. Un charmant village, d’ailleurs, avec un petit ruisseau qui serpente dans la campagne, et passe au pied d’une gentilhommière solidement bâtie sur une hauteur pour profiter de la rivière sans en subir les inconvénients. Un grand parc, autour, avec quelques topiaires et bordures d’iris pallida… Est-ce pour rappeler que dans cette commune Marie Guillaume de Bure est mort en 1842 ?

La belle demeure qui vient d’être décrite était-elle la campagne de notre homme ? Je n’en suis pas certain, mais cela se pourrait bien. On peut tout au moins l’imaginer car l’âge de la bâtisse, ses proportions, son grand jardin auraient parfaitement convenu à un riche bourgeois imbu de botanique et d’horticulture.

Vous connaissez Marie Guillaume de Bure ? Non ? Mais si, vous savez bien, c’est celui qui, le premier a sélectionné et cultivé des iris issus de semis naturels. Il a même donné son nom à un iris plicata qui, pendant très longtemps, a connu une grande célébrité. C’est l’iris Buriensis qui, semble-t-il a maintenant disparu.

Marie Guillaume de Bure (1781/1842) n’était nullement prédestiné à obtenir la notoriété dans le domaine de l’horticulture. Il se distingua cependant dans ce domaine et, en dehors de son mariage à 32 ans avec une toute jeune fille originaire du Bourbonnais, et la naissance d’un fils unique, Albert (1822/1904), ne se signala en aucune autre manière. Il était le benjamin d’une famille de libraires et d’éditeurs ayant pignon sur rue dans le 7eme arrondissement de Paris. Il y avait longtemps que les de Bure donnaient dans l’édition mais leur fortune s’est arrondie au mariage du père de Marie Guillaume avec l’héritière de la famille d’Houry, autre famille de l’édition qui avait obtenu au 18eme siècle le privilège d’imprimer chaque année l’Almanach Royal, ce qui constituait un revenu impressionnant. Doté d’une fortune considérable , le père de Marie-Guillaume, François-Jean Noël (1743/1802) était devenu une sorte de banquier dans le milieu de l’édition. Mais cette belle situation allait s’effondrer quand, au cours de la Révolution, ses débiteurs ne purent plus le rembourser. S’ensuivit une faillite retentissante, qui fut prononcée en 1791, et allait bouleverser la vie de toute la famille. Pour se sortir d’affaire sa femme demanda le divorce de manière à sauver ses biens propres, quant à lui, il disparut de la circulation et fut même considéré comme décédé ! En réalité il s’était réfugié dans un village du Loiret où il travaillait comme prote dans une imprimerie…

Le père de l’iridophilie moderne avait deux frères, André et Laurent, ses aînés. André, né en 1772 est mort à 23 ans en 1795. Laurent, né en 1775, un an après la mort de Louis XV, a vécu jusqu’en 1864 sous Napoléon III. En 1795, à 17 ans, il s’est engagé comme simple soldat dans les armées de la Révolution. Il restera dans l’armée jusqu’à la fin de l’épopée napoléonienne et ne regagnera la vie civile qu’en 1816.
Ce sera pour se reconvertir dans la profession familiale, libraire-éditeur. C’est à un des ses descendants que je dois les informations à la base de la présente chronique.

Celui dont on peut dire qu’il est le fondateur de la dynastie est le grand-père de Marie-Guillaume de Bure, Jean de Bure (1702-1786). Cet homme s’était créé une sorte d’empire dans la librairie et l’édition avec plusieurs établissements à Paris et des magasins dans la proche banlieue (peut-être à Massy où Marie-Guillaume cultivait aussi des iris). Si vous passez par la rue Séguier, vous verrez, au coin du quai des Grands Augustins, un superbe immeuble, l’hôtel Feydau et Montholon, où hôtel des Didot, qui vient d’être restauré. C’est là que se trouvait au 18eme siècle, la maison d’édition de Bure.

Bien qu’apparemment sans activité professionnelle, Marie-Guillaume avait suffisamment de fortune pour vivre de ses rentes et s’adonner sans crainte du lendemain à sa passion pour les iris. A Malétable, il semble que l’on ait oublié son existence car dans aucun document je n’ai trouvé d’allusion à notre homme. C’est bien dommage. Il faudrait sans doute que la SFIB, qui a la charge de la défense et de l’illustration de l’iridophilie en France, fasse tout son possible pour que cette minuscule commune retrouve la mémoire de Marie-Guillaume de Bure et devienne, pourquoi pas, la capitale française des iris.

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