7.5.21

LES SAISONS

L'hiver 

  Je regarde par la fenêtre qui est à côté de moi. Le ciel est gris, les arbres sont agités par une bise vigoureuse qui arrache les chatons des noisetiers après les avoir bien secoués pour en faire s'envoler le pollen. C'est l'hiver. Au jardin, dans les bordures d'iris, on ne voit encore que des moignons rabougris qui attendent des jours meilleurs pour lancer vers le ciel les épées vertes de leur feuillage. Souffrent-t-ils par ces températures négatives ? 

Nos grands iris des jardins, que l'on appelle TB en langage international, ont pour origine un grand nombre d'espèces de plantes provenant de diverses régions du monde. L'élément de base, c'est I. germanica, mais l'apport de I. aphylla est important et celui de I. mesopotamica (ou de ses cousins proche-orientaux) primordial. Forcément toutes ces espèces ont apporté des aptitudes, des forces et des faiblesses qui influencent le comportement de nos iris. Du point de vue climatique, avec I. germanica on a le type parfait de la plante adaptée aux climats tempérés de l'hémisphère nord. En compagnie de I. pallida, autre plante des régions tempérées d'Europe, il constitue le fondement de ce cocktail très élaboré que représentent nos iris d'aujourd'hui. En ajoutant les gènes de I. aphylla, plante des montagnes du sud de l'Europe, on renforce la résistance au grand froid. C'est d'ailleurs pour contourner l'effet des morsures du gel que les feuilles disparaissent et ne laissent apparentes que les amorces du feuillage de l'année suivante. Pour faire face à l'hiver, nos grands iris ont donc toutes les armes nécessaires. La neige peut être à la fois un danger et un secours. Côté secours, elle maintient un température basse mais constante autour des rhizomes, ce qui leur évite les accidents dus au gel profond. Mais côté danger il y a l'humidité. Car nos iris recèlent des trésors génétiques qui proviennent de régions qui ignorent les ondées. Ils sont venus du Moyen-Orient, de Turquie d'Asie, de Palestine, d'Irak... Autant de contrées à la limite de situations désertiques. Il y pleut peu et l'eau qui tombe sur ces terres assoiffées est rapidement absorbée. Plus encore qu'au froid, la présence de gènes d'iris originaires de cette région confère à nos hybrides modernes une aversion confirmée à l'eau stagnante. C'est pourquoi il faut tout faire pour que l'eau ne séjourne pas autour des rhizomes. L'hiver, c'est surtout l'humidité permanente qu'il faut éviter. 

 Le printemps 

Quand les beaux jours reviennent, la saison la plus ingrate est passée. Dès les premiers jours de mars les iris vont se réveiller et se lancer dans une croissance effrénée. En deux mois les tiges vont devoir s'élever de 90cm. Cette poussée va exiger la mise en œuvre de nutriments importants. Ils se trouvent dans les réserves que constitue la chair des rhizomes, dans les éléments que les racines vont chercher dans le sol et dans l'eau que les averses printanières vont apporter. Cependant certains incidents peuvent se produire à cette saison et compromettre la floraison. Le plus grave est le gel printanier. Ce n'est pas à craindre dans la zone méditerranéenne, mais ailleurs, plus on s'oriente vers le nord, si. Les variétés hâtives sont les plus sujettes au gel. En effet, dès la mi-avril les tiges florales portent des boutons qui commencent à s'arrondir. Les frimas du matin peuvent atteindre les délicates parties florales en train de se développer et les détruire sans pardon. Passé le 10 mai, et les journées dites des saints de glace, les iris sont sauvés. Les fleurs vont pouvoir s'épanouir, mais certains dangers les guettent ! D'abord la « verse ». Les tiges, hautes, et les fleurs, lourdes, peuvent avoir pour conséquence de précipiter vers le sol les hampes pas assez robustes ou dont le réseau racinaire est insuffisant, pour toutes sortes de raisons. Ce phénomène est surtout fréquent chez les iris de plantation récente, dont les racines peuvent être faibles et dont les tiges peu nombreuses ne vont pas se soutenir les unes les autres. Et d'autres dangers menacent. Les vers ou les escargots qui vont dévorer en partie les tiges et les rendre cassantes, les cétoines qui adorent les pétales de fleur et peuvent massacrer bien des touffes, surtout les plus claires qui les attirent particulièrement. Par bonheur ces incidents laissent tout de même, le plus souvent, beaucoup de fleurs s'épanouir et conférer à nos jardins cette splendeur qui enthousiasme tous ceux qui passent par là. 

 L'été 

La grande floraison est terminée ; les tiges qui ont porté avec tant de prestance les fleurs magnifiques et terminé leur rôle dans la reproduction vont se dessécher peu à peu. Le feuillage lui-même, qui avait pour rôle essentiel d'attirer l'eau du ciel vers les racines et d'apporter à la plante le carbone dont elle a besoin, va très vite perdre de sa superbe , brunir et se recroqueviller. Les iris entrent en dormance. C'est la saison qui laisse le plus de répit au jardinier. Pendant cette période les iris ne sont cependant pas sans une certaine activité. Ils ont à mener à maturation les graines qu'on a bien voulu leur laisser porter : c'est une fonction majeure mais exigeante en nutriments que la sève va devoir véhiculer du fond du sol vers les précieuses capsules. La chaleur ne nuit pas, au contraire, mais la sécheresse peut avoir de fâcheuses conséquences, même si nos iris, grâce à leurs origines balkaniques et proche-orientales, savent s'en accommoder. Un peu d'eau, de temps en temps, si besoin, sera la bienvenue. Elle sera néanmoins la cause d'une pousse active des herbes adventices. Avec ses feuilles sèches et ses herbes qui se dépêchent de venir à graine, le jardin d'iris ne va pas avoir belle allure. C'est une situation que leurs détracteurs ne vont pas manquer de reprocher aux iris. Cependant la grande affaire de l'été va être, après la maturation des capsules, la récolte des graines. Si l'on n'y prenait garde, ces graines mûres tomberaient au sol dès l'éclatement des capsules. Mais le jardinier averti saura veiller à se trouver là au bon moment pour recueillir les précieuses graines. C'est sur cet événement que se termine l'été des iris. 

L'automne 

Les iris se sont réveillés après la dormance estivale. Ils ont repris, doucement, leur croissance. Sur les côtés des rhizomes des pousses nouvelles vont se développer. Ce sont elles qui porteront les fleurs de l'année suivante. On entame un nouveau cycle. Les iris, comme toutes les plantes et même tous les êtres vivants ont pour raison d'être essentielle la reproduction. Les iris mettent tous les atouts de leur côté. Non seulement ils produisent des graines qui vont donner naissance à des plantes nouvelles, mais encore ils émettent des plantules destinées à les reproduire éternellement de façon végétative (pour peu que le hasard – ou la main de l'homme – ne vienne pas arrêter cette vie destinée à ne pas avoir de fin). Pour atteindre leur but ils ont mis tous les moyens que la nature a imaginés. Par exemple ce qu'il faut pour attirer les insectes pollinisateurs. Car la couleur des fleurs n'est pas là pour faire joli mais pour être le plus attirante possible. Et en modifiant cette couleur l'homme s'est immiscé dans la vie des plantes. Celles-ci sont des instruments dont l'homme use pour parvenir à ses fins d'ordre esthétique. En automne on assiste à une double évolution : d'une part les plantes « anciennes » continuent aveuglément leur multiplication , d'autre part les graines issues de croisements,spontanés ou organisés, vont être mises en terre et vont débuter leur existence. C'est à ce moment que les manipulations humaines vont produire leur effet. Qu'il s'agisse des croisements interspécifiques comme ceux qui ont eu lieu fréquemment dans les débuts de l'hybridation et qui interviennent encore parfois, ou des fécondations entre hybrides provoquées manuellement. L'automne est un moment crucial dans la vie des iris. Les plantes elles-même, indifférentes aux manipulations qui les affectent, vont se préparer pour le nouvel hiver. Elles vont profiter des derniers rayons du soleil pour reconstituer leurs réserves, réduire leur voilure de feuillage et protéger leurs bourgeons. Certaines, dans une hâte compulsive de floraison, vont tenter – et réussir très souvent – de développer des tiges florales et porter jusqu'au gelées des fleurs incongrues mais appréciées des jardiniers. Mais la froidure aura raison de tout cela et, dans le secret du jardin endormi, les iris vont préparer une explosion colorée dont les amateurs jouiront dès le retour des beaux jours.

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