18.12.21

EXPERTISE OU POPULARITÉ

Il est intriguant de constater que très souvent les résultats des compétitions qui comportent à la fois une notation par un jury professionnel et une notation par le public sont très différents. Il arrive même que le palmarès du public « oublie » certaines variétés classées par les juges. Une réflexion à ce sujet va faire l'objet de la présente chronique. 

Les juges officiels disposent d'un véritable barème où sont notés les différents critères sur lesquels ils doivent baser leur jugement, ainsi que le nombre de points qu'ils peuvent attribuer à chacun de ces critères. Ils considèrent bien entendu la fleur qu'ils doivent apprécier, ses dimensions ; ils vérifient sa forme, ses couleurs et notamment leur pureté, leur répartition, le bon goût de leur association, sa texture, sa tenue, la durée de sa floraison... Mais ils ont aussi bien d'autres choses à regarder, car ce qui fait l'intérêt d'un iris, c'est également les qualités qu'il présente pour le jardin, voire pour la fleur coupée. Le juge va se pencher sur la plante : son aspect général, son feuillage, sa taille, ses proportions, son port, sa santé ; il va examiner sa solidité, ses aptitudes à résister aux intempéries, à se tenir au fur et à mesure de son vieillissement, il va compter le nombre de ses boutons, leur répartition le long de la tige... Le parfum que sa fleur exhale fait aussi partie de ce qu'il va devoir apprécier, de même que quelques autres caractères auxquels un simple amateur ne penserait pas forcément mais qui ont leur importance au point de vue horticole. Ce travail d'expert doit être rigoureux car il ne suffit pas qu'un iris attire l’œil, il faut qu'il présente de l'intérêt pour le jardinier … et pour le marchand, qui vont souhaiter l'un et l'autre à peu près la même chose, c'est à dire que la plante pousse sans problème, qu'elle soit fidèle chaque année au rendez-vous, qu'elle résiste aux agressions qu'elle va nécessairement subir et que sa multiplication soit abondante. 

De son côté le spectateur qui va déambuler dans le jardin où se déroule le concours est là pour admirer des fleurs et les apprécier en ce qu'elles ravissent son regard. Souvent même ce qui va paraître important pour le juge n'apparaîtra pas aux yeux du visiteur. On entend parfois dire : « Regarde celui-ci avec ses tiges toutes tordues, je n'en voudrais pas chez moi ! » Alors que le juge va considérer que des tiges bien rectilignes vont avoir l'inconvénient d'obliger les fleurs latérales à s'incliner sur un côté pour pouvoir s'épanouir et de ce fait donner une apparence de guingois à la plante, ce qui va diminuer sa note ! D'une façon générale celui qui visite le jardin du concours sera essentiellement attiré par la couleur de la fleur. Une fleur qui tire l’œil disposera d'un atout indéniable. Mais encore faut-il que cette couleur (ou association de couleur) ne soit pas trop originale. Certains modèles ont plus de succès que d'autres. Les plicatas ne sont pas les favoris du public ! De même que certains variegatas. Mais un joli rose, avec des pétales bouillonnés, recueillera bien des suffrages populaires alors que les juges professionnels vérifieront que les bouillonnés ne tendront pas à perturber l'éclosion de la fleur ; et une tige portant de nombreuses fleurs ouvertes en même temps donnera au public l'impression d'une plante riche en fleurs alors que le juge craindra la brièveté de la floraison ou la verse sous le poids des pluies de printemps. Un iris de haute taille, avec de grosses fleurs, sera remarqué par les visiteurs, qui n'envisageront pas les effets du vent qu'un juge prendra en considération dans sa note... 

En revanche les choix d'un jury populaire porteront davantage sur les traits immédiats comme la couleur de la fleur, la richesse de la floraison ou la prestance de la plante. Des caractéristiques qui ne sont pas négligeables. D'ailleurs, même parmi les plus éminents irisariens il arrive qu'on entende dire qu'il vaudrait mieux juger les iris « au feeling ». C'était en particulier l'opinion d'un grand spécialiste comme Ben Hager lui qui a reçu trois Médailles de Dykes (juges de profession) et au moins une President's Cup (jury populaire). 

Tout ceci fera nécessairement la différence d'appréciation , de sorte que le palmarès d'un concours jugé exclusivement par un jury populaire ne sera pas identique aux résultats du même concours noté par des experts. Cela crée parfois des incompréhensions, essentiellement au sein du jury populaire dans lequel l'attitude grave et minutieuse des juges « de la profession » passe quelque fois pour des simagrées. 

 En vérité les deux formes de jury se complètent. On constate même quelquefois qu'une même variété triomphe dans des compétitions des deux types. C'est le cas de 'Bride's Halo', 'Conjuration' 'Dusky Challenger', 'Jurassic Park', 'Ruffled Ballet', 'Shipshape', 'Stepping Out', 'Titan's Glory'... Enfin, les variétés primées sous l'une et l'autre formule font en générales d'aussi belles carrières commerciales. 

Illustrations : 


'Blue Rhythm' (DM, 50), (Franklin-Cook Cup, 1950 


'Queen of Florence' (Fiorino d'Oro, 1975), (President's Cup, 1976) 


'Ruffled Ballet' (DM, 83), (Franklin-Cook Cup, 1982) 


'Edith Wolford' (DM, 93) (President's Cup, 1986)

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