13.3.22

APPELLATIONS CONTRÔLÉES

Je me souviens du temps où l'on ajoutait à l'eau de rinçage du linge « blanc » qui sortait de la lessiveuse une sorte de bonbon – un azurant - qui avait pour mission de faire paraître le blanc encore plus blanc. Ce phénomène n'est pas exactement reproductible en matière d'iris, même si c'est bien à partir de fleurs bleues que l'on obtient la plupart de iris de couleur blanche. Il n'empêche que le blanc s'obtient par effacement des couleurs et qu'il apparaît sous l'effet de gènes inhibiteurs des pigments. L'action de ces gènes s'exerce sur les pigments anthocyaniques. Elle est plus ou moins efficace et elle peut intervenir sur différentes parties de la fleur : pétales ou sépales dans leur entier ou en partie, au cœur de la fleur ou au contraire vers les bords, intégralement ou partiellement, sous forme de pointillés ou de rayures... On a donné aux plantes qui portent ces marques différents noms suivant que l'absence de coloration est plus ou moins pure ou plus ou moins étendue. Ces noms ne sont pas tous précisément et officiellement définis, si bien que leur attribution dépend largement de l'appréciation que l'obtenteur fait de la coloration de la fleur qu'il présente. C'est un peu fâcheux et cela mériterait que l'AIS s'empare du sujet et établisse des définitions précises. 

 J'ai dénombré, si je n'en oublie pas, sept dénominations correspondant à sept dispositions des décolorations , sans compter deux situations où la disposition traditionnelle se trouve inversée. 

 On ne peut trouver meilleur connaisseur du modèle plicata que Keith Keppel et voici la définition qu'il en donne : « C'est un modèle avec un fond blanc ou coloré par des pigments caroténoïdes (jaune, rose, orange), des bords piquetés ou pointillés, voire entièrement teintés d'une couleur sombre et contrastée. » Ces dessins sont ce qui reste des pigments anthocyaniques (bleu, violet) après l'action des gènes qui empêchent leur développement. Ce modèle a subi bien des transformations depuis que les hybrideurs s'en sont emparés. Mais ces fondamentaux sont restés les mêmes. L'action des gènes inhibiteurs des pigments anthocyaniques aboutit toujours a dégager les fonds qu'ils soit colorés de jaune ou franchement blancs. 

Deux plicatas typiques : 


'Chimgan' (A. Volfovitch-Moler, 1995) variété classique 


'Australian Friend' (R. Dejoux, 2020) variété moderne où le fond est porteur de pigments caroténoïdes 

 Autre appellation bien connue : amoena. De nos jours, obtenir un iris aux pétales blancs et aux sépales colorés est à la portée de tous ceux qui hybrident, mais il n’en a pas toujours été ainsi, et si le travail est maintenant facile, il fut un temps où cette disposition des couleurs était exceptionnelle. C’est en grande partie grâce aux travaux de Paul Cook et de ce que celui-ci à obtenu à partir de l’apparition de ‘Progenitor’ que nous disposons de ces iris bicolores où s'opposent toutes les couleurs d'origine caroténoïde d'un côté et le blanc de l'autre. Le mot amoena est entré complètement dans le vocabulaire des iris et désigne donc ces fleurs où les pigments bleus sont bloqués soit dans les pétales soit dans les sépales. Car existent les fleurs où les couleurs se trouvent interverties et que l'on l'appelle « amoena inversé » 


'Modre Pondeli' (Z. Seidl, 1997) 


'Zone d'Ombre' (S.Ruaud, 2012) 

 Toutes les autres appellations restent plus ou moins controversées. A commencer par celle qui n'a pas de dénomination proprement dite ; je veux parler de ce modèle que l'on dit « Emma Cook » du nom de la variété la plus emblématique de toutes celles qui le portent. Dans ce cas les pigments bleus sont presque totalement éliminés et n'apparaissent plus qu'à l’extrême bord des sépales. On n'a pas attribué de nom (en latin botanique ou pas) à ce modèle. Sa relative rareté est peut-être à l'origine de cette anomalie. 


' Dolce Acqua' (A. Bianco, 2002) 

 Pourquoi parle-t-on d'iris « luminata » ? Parce que ce modèle se caractérise par une zone claire absolument pure de part et d’autre de la barbe. Pas une seule trace de la couleur de couverture. On dirait que cette fleur a la lumière au cœur. L'absence de coloration intervient également sur la partie extérieure des pétales. Cette appellation n'est pas nouvelle et la fleur, qui est pour ainsi dire le contrepoint du modèle plicata, est bien connue des amateurs, surtout depuis que Keith Keppel lui a donné une nouvelle jeunesse. 


'Brocart' (JC. Jacob, 2016) 

 Une autre appellation qui a acquis suffisamment de célébrité pour n'être plus discutable est celle du modèle glaciata. C'est aussi K. Keppel qui en est le champion. Chuck Chapman soutient l'idée selon laquelle il existerait plusieurs degrés d’inhibition des pigments anthocyaniques dans une fleur d’iris et que le modèle baptisé « glaciata » se situerait au degré 4, le plus élevé. Cette théorie a pour elle d’être séduisante par son côté systématique, satisfaisant pour un esprit ordonné. Elle est aussi vraisemblable mais elle n’est pas scientifiquement démontrée. Un glaciata parfait n'a pas de trace d’anthocyanine. Le fond peut donc être absolument blanc, mais il peut aussi être coloré par des pigments caroténoïdes qui ne sont pas concernés par le gène glaciata. La fleur serait alors plus ou moins colorée en rose ou mandarine. 


'Snow Lion' (M. Smith, 2005) 

 Et qu'en est-il du modèle « distallata » ? Il est d'apparition récente : la variété 'Prototype' a été obtenue par Joë Ghio en 2000. Mais il a subi rapidement une évolution qui l'a nettement transformé. Il a connu une brève période d'engouement qui est maintenant un peu retombée. Sa dénomination se base sur le néologisme américain « distall » qui signifie « dispersé ». Il n'y a pas encore d'appellation officielle de ce modèle. La description de la version primitive parle d'une fleur dont les pétales sont blancs (ou tout au moins très clairs), de même que les sépales, mais ceux-ci s’agrémentent d’une couche centrale de couleur, qui peut être du jaune ou de l’orangé clair, à laquelle s’ajoutent de fines rayures sombres, partant de la barbe et s’étirant plus ou moins vers le bord. Ces rayures sont les restes des pigments anthocyaniques. Mais un autre modèle, qui n’a pas de nom, et qui est une évolution de ‘Ring Around Rosie’ (Ernst 2000), a été ajouté au cocktail et l'a profondément modifié. De sorte que les rayures qui justifiaient l'appellation « distall » ont pris de l'importance, et que sur le modèle « distallata » d'aujourd'hui elle ont pris bien plus d'importance. Ce qui n'empêche pas qu'elles sont de nature anthocyanique... 


'Croustillant' (S. Cancade, 2017) nouvelle version du modèle 


'Prototype' (J. Ghio, 2000) version primitive 

 Il reste à dire un mot du modèle « zonal ». Il est mal défini et chacun peut mettre un peu ce qu'il veut derrière ce terme. Il tente de définir un iris de teinte bleue ou violacée, dont le centre des sépales est orné d’une large tache absolument blanche. C'est une disposition intermédiaire entre le type « glaciata », chez qui les pigments anthocyaniques sont totalement inhibés, et le type « luminata », où cette inhibition est limitée à la zone située au cœur de la fleur et dans la partie supérieure des sépales. Cette description convient à des variétés présentant sous les barbes une vaste plage blanche, qui confère à la fleur une clarté très agréable mais qui n'a cependant pas la pureté d'un vrai luminata. La distinction est assez subtile d'où un usage restreint du terme « zonal ». Mais on rencontre aussi des fleurs où c'est le cœur qui est coloré de bleu ou violet alors que les parties extérieures sont dépourvues de coloration. 


'Suky' (C. Mahan, 1988) 

 Le tour des termes utilisés pour définir les différentes inhibitions des pigments anthocyaniques doit être terminé. Plusieurs sont des termes qui, parce qu'ils sont bien utiles, mériteraient d'être précisés. C'est à l'AIS de s'emparer du sujet et de donner une définition à laquelle chacun pourrait se référer ; une appellation contrôlée en quelque sorte. 

 Illustrations : 
'Chimgan' 
'Australian Friend' 
'Modre Pondeli' 
'Dolce Acqua' 
'Brocart' 
'Snow Lion' 
'Croustillant' 
'Prototype' 
'Suky' 
'Zone d'Ombre'

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